Erwan Larher : le portrait d’un surhomme nietzschéen postmoderne libéré des idoles
Par Harold Cobert – bscnews.fr / Difficile de parler du deuxième opus d’Erwan Larher, l’un des six jeunes talents Cultura 2010 pour son premier roman Qu’avez-vous fait de moi (éditions Michalon). Difficile d’en parler sans déflorer les multiples rebondissements de l’intrigue, mais également parce que, sous ses airs de ne pas y toucher, c’est un savant mélange de conte philosophique et de thriller métaphysique, au propos dense, complexe, ambitieux.
Le point de départ ? Un homme se réveille en un lieu où tout lui est étranger. Tout, du monde dans lequel il vit jusqu’à lui-même, jusqu’à son nom et son passé, puisqu’il n’a plus aucun souvenir. S’ensuit une quête identitaire qui va entraîner le personnage principal de l’inconnu qu’il est, à tous les niveaux, au plus hautes sphères du pouvoir – dire cela n’enlève rien au suspense du roman, car, comme dans tout conte philosophique, l’itinéraire emprunté, sinueux et inattendu, importe plus que la destination.
Conte philosophique ? Oui, et la référence à Candide de Voltaire est explicite (dans le texte même). Mais, surtout, comme Candide, ce personnage sans identité part à la découverte d’un univers à la dérive, en déroute, sorte de totalitarisme en devenir à la Orwell et à la Bradbury, où la sécurité l’emporte sur la liberté, où les intérêts personnels priment sur l’intérêt général, où les riches méprisent ouvertement les pauvres, où les forts asservissent sans complexe les faibles. Les échos avec notre société et notre époque sont légions, et si le roman d’Erwan Larher revêt par certains aspects un caractère d’anticipation, il nous projette seulement quelques années en avant, une dizaine tout au plus, dans une France où, notamment, le politique et la fonction présidentielle se sont considérablement dégradés – un hasard en forme d’avertissement pour cette année d’élections ? Enfin, ce personnage en quête de lui même, c’est-à-dire de sens – celui de son existence, de l’existence en général, tant en terme de direction que de signification –, ce Candide moderne n’a pour aborder et affronter le monde extérieur que son seul bon sens. Un bon sens particulier puisque, n’ayant aucun souvenir, celui-ci n’est parasité par aucune antériorité, aucune expérience préexistante, aucun a priori. Dès lors, il apporte des solutions inédites et révolutionnaires aux problèmes auxquels il se trouve confronté. Une manière neuve et salvatrice de réenvisager des questions épineuses telles que le chômage, les rapports humains au sein des entreprises, la politique, loin des dogmatismes et des idées préconçues dans lesquels nous sommes plus que jamais enfermés.
Conte philosophique, donc, mais également thriller métaphysique. Car, un homme comme le personnage principal de ce roman, avec sa vision dépolluée de nos préjugés, est un homme dangereux, un homme à abattre pour les tenants du pouvoir en place tant il représente une menace pour leurs intérêts et leur hégémonie. D’où les cavalcades, les fusillades, les intrigues et les complots, qui confèrent au récit une tessiture et un rythme dignes d’un thriller rocambolesque. Métaphysique, enfin, comme le suggèrent le titre – « genèse » –, les différents noms du personnage principal ainsi qu’une bonne partie de l’onomastique de l’ouvrage. Mais là, chut ! pour ne pas dévoiler l’une des ultimes pirouettes du texte.
Cette Autogenèse, véritable portrait d’un surhomme nietzschéen postmoderne libéré des idoles devant lesquelles nous ne cessons de nous agenouiller et de courber l’échine – la finance, l’argent roi, les rapports utilitaires et marchants à l’autre – relève du tour de force. Sa lecture, à quelques mois de l’élection présidentielle, est salvatrice, nécessaire. Et comme l’ensemble ne manque pas d’humour ni d’ironie, jubilatoire.