Gozrade : un ouvrage historiquement et humainement passionnant

par
Partagez l'article !

Par Julie Cadilhacbscnews.fr/ On estime que les guerres yougoslaves ont eu pour conséquence des pertes humaines  qui se chiffrent entre 100 000 et 300 000. Un conflit complexe que Joe Sacco choisit d’aborder en racontant le quotidien des civils et des politiques.

Partagez l'article !

« La Yougoslavie – Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, ainsi qu’elle se nommait initialement- est un produit dérivé de la Première Guerre mondiale, source des inimitiés entre Serbes et Croates. Alors en position de force, les Serbes élaborent une politique peu favorable à ces derniers » (Gary Broth). Lors de la seconde guerre mondiale, « Hitler pousse le parti oustachi, qu venait d’accéder au pouvoir, à gouverner la Croatie. » Ce parti massacre la population serbe avec une grande brutalité et en usant du système des camps de concentration. Entre 1945 et 1980, Josip Broz Tito, révolutionnaire et communiste, tente de maintenir les différentes ethnies de la république fédérative de Yougoslavie en paix. En 1986, Slobodan Milosevic parvient à la tête du gouvernement serbe et remet au goût du jour le martyre serbe. La guerre éclate.
« C’est ma rage contre cette guerre, plus proche du carnage que du combat entre armées, qui m’a incité à me rendre en Bosnie » explique Joe Sacco. Le 25 septembre 1995, Joe Sacco arrivait  à Sarajevo. Six semaine plus tard, il découvrait « Gorazde la délabrée, la démodée, l’inaccessible » telle que la décrit Christopher Hitchens dans sa préface de l’ouvrage. Gorazde est une ville de 57 000 habitants, enclavée au coeur d’une Serbie hostile, où l’ONU emmenait des convois humanitaires réguliers  par la Route Bleue et dont les forces séparatistes serbes restreignaient l’accès comme bon leur semblait depuis le début de la guerre en Bosnie. Durant de nombreux mois, le journaliste effectue des allers-retours entre Sarajevo et Gorazde et joue malgré lui le rôle de coursier pour les amis, les connaissances, les étrangers qui le sollicitent car ils n’ont pas encore le droit de se déplacer librement. Joe Sacco, au travers d’une bande- dessinée qui mêle ironie et tendresse pour les habitants de cette ville longtemps opprimée, nous offre un témoignage journalistique aussi précieux que passionnant. Au gré de ses rencontres et de ses discussions avec divers interlocuteurs, l’auteur nous montre une vision éclairante des conflits qui animaient cette zone géographique. Se lisant autant comme un documentaire pointilleux et précis sur la situation en Ex-Yougolasvie que comme une bande -dessinée au graphisme sensible et au scénario brillant,  on passe du rire aux larmes, trinquant avec la bande d’Edin, le professeur courageux chez lequel Joe Sacco est hébergé, compatissant avec les désirs de renouveau des Vilaines pour oublier les souffrances terribles que la guerre leur a fait endurer et attendant avec impatience les apparitions de l’incroyable Riki au coeur d’or. La force de l’ouvrage est dans la proximité créée entre le lecteur et des personnages qui confient leur expérience par l’intermédiaire du neuvième art. Joe Sacco retrace ,grâce aux témoignages de ceux qui ont survécu, la première offensive des Serbes contre Gozrade et l’évasion des femmes et des enfants qui ont du ramper jusqu’à la rivière sous le feu des mitraillettes, l’enterrement des corps massacrés et jetés dans des fosses par d’anciens voisins du quartier, le massacre arbitraire de centaines de musulmans par les tchetniks à Visegrad, égorgés et jetés dans la Drina, le travail épuisant des chirurgiens de l’Impossible dans l’hôpital de Gozrade assiégée, les victimes de la Mort Blanche…On entre dans l’Histoire par le biais de cette expérience qu’a vécu le journaliste-dessinateur aux cotés d’Edin le juste, de Riki l’insatiable chanteur degozrade refrains américains qui se bat sur le front et de tous les visages croisés au gré du hasard de ses pas et de ses verres. Le trait, précis et fin, est au service d’un scénario habilement aménagé, adaptation du journal de bord de Joe Sacco durant son séjour à Gozrade. L’édition publiée par Rackham a judicieusement choisi d’insérer en préambule quelques réflexions sur la Bosnie, Sarajevo et Gorazde de Joe Sacco dans lesquelles l’auteur justifie son projet en insérant des citations de son journal. Il explique pourquoi il a choisi de s’intéresser à cette ville, comment il a pu atteindre ses objectifs, éditorial et géographique, quelles ont été ses premières impressions de la ville encerclée, le rapport entretenu avec ses confrères et avec les autochtones, son rôle de livreur de colis et ses difficultés permanentes pour entrer et sortir de Gorazde. Plus loin, on découvre avec plaisir des  dessins du journaliste confrontés aux photographies qui les ont inspirées et, en fin d’ouvrage, une remarquable interview menée par Gary Groth permet de poursuivre la réflexion sur les enjeux d’un tel bouquin et ses indiscutables qualités.
Un ouvrage historiquement et humainement passionnant.

Titre: Gozrade

Auteur: Joe Sacco

Editions: Rackham

Prix: 21 euros

Edition Anniversaire: 26 euros

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à