Entretien avec un réalisateur et scénariste aussi engageant que passionné, aussi impliqué que curieux de tout, aussi pointilleux que sensible. Rencontre avec un grand classique du cinéma francophone qui sait tout aussi bien diriger les plus grands acteurs que les jeunes premiers pleins de fougue et sait faire rire aux larmes autant qu’émouvoir le public français.
Vous êtes le parrain du festival cette année: qu’est-ce qui vous a donné envie d’endosser ce rôle pour quelques jours?
Il y avait de nombreux éléments disparates (dont la démarche de Michel Dupuy,la Bretagne etc…) qui, associés les uns aux autres, me tentaient beaucoup. Pour tout vous dire, je connais très mal la Bretagne mais j’y suis heureux chaque fois que j’y viens. Alors lorsque Michel dupuy m’a annoncé qu’il avait programmé Dogora cette année, cela a achevé de me convaincre et de me décider car Dogora est un film assez particulier dans ma filmographie et j’ai besoin de l’accompagner plus que n’importe quel autre.
Michel Dupuy souhaite faire un festival qui ne soit pas réservé au seul public cinéphile mais qui s’ouvre au plus grand nombre; il lui donne une ambition pédagogique…
Faire un festival populaire est la démarche la plus noble et la plus remarquable qui soit, bien entendu, parce qu’on ne fait pas un festival pour s’adresser à des spécialistes. Le cinéma est un art populaire et c’est très bien ainsi. Quant au fait qu’il y ait une dimension pédagogique, si cela se concrétise et que ce ne sont pas que des mots et des volontés, c’est une démarche pertinente
Êtes-vous familier du milieu des documentaristes?
Je suis familier de ce monde documentaire dans le sens où j’ai toujours été très curieux par nature et à la télévision, les documentaires, c’est ce que je regarde le plus. Je regarde peu la télévision, je ne regarde pas les fictions mais les documentaires peuvent m’intéresser car ils traitent souvent de sujets captivants dont je suis très curieux. D’ailleurs que la télévision devrait être faite pour ça:c’est son essence même…
Quelles qualités, selon vous, sont nécessaires pour faire ce métier?
J’ai l’impression que cela pourrait se résumer en deux mots: humilité et curiosité. Il faut être curieux par nature pour s’intéresser au monde qui nous entoure et il ne faut se sentir supérieur à rien: quand on fait un documentaire, il faut se mettre dans la position de celui qui ne sait pas et qui a envie de comprendre.
Durant le festival a été diffusé votre film Dogora, que l’on qualifie d’impressionniste mais aussi d’humaniste. Peut-on qualifier cette oeuvre de documentaire?
C’est une question de vocabulaire. Un reportage est destiné à transmettre une information, un documentaire a forcément de près ou de loin une ambition pédagogique.Or ce film Dogora s’éloigne un peu de tout cela car il n’a rien d’autre à transmettre que de l’humain et des émotions. Il souhaitait simplement sensibiliser sur l’idée qu’il y a sur cette terre des êtres qui vivent dans des contrées où l’on n’a pas la chance de pouvoir s’épanouir dans un pays équilibré, stable, en paix. La démarche n’est évidemment pas de dire aux occidentaux qu’ils ont tort de se plaindre mais simplement de faire prendre conscience qu’il y a des hommes, des femmes et des enfants surtout qui n’ont pas la chance que nous avons.
Ce film est né du mariage de deux émotions que vous avez ressenties coup sur coup…
En effet, j’ai beaucoup voyagé dans ma vie mais je n’ai jamais autant été bouleversé par le voyage que j’ai fait au Cambodge. Et,peu de temps avant, un musicien ( Etienne Perruchon) m’avait fait cadeau d’une suite musicale sublime qui s’appelait Dogora – d’où le titre du film- et il avait ajouté » j’espère qu’un jour elle vous inspirera des images ». Et je suis allé au Cambodge sans penser réunir les deux choses mais ça a été le court-circuit positif entre cette musique qui me ratatinait d’émotion et ce pays qui me bouleversait comme ce n’est pas permis. Cette musique n’a rien d’oriental: c’est pour cela que Dogora n’a rien d’un documentaire sur le Cambodge. C’est un télescopage entre des émotions visuelles, musicales et humaines.
La bande son n’est pas synchrone, il n’y a pas de son direct….
C’est parce que je tenais à faire un film dans les conditions de liberté les plus grandes aussi quand on l’a tourné , on était quatre simplement, on tenait tous dans un break. Si on avait du enregistrer les sons ( bruits, bruissements, brouhaha, voix etc…), il y aurait eu plus de personnes, plus de matériel et l’on aurait été moins discret, plus lourd. J’ai donc tourné le film sans aucune prise de son et j’ai envoyé ensuite sur place un ingénieur du son qui a fait le même périple que nous dans les mêmes rues, marchés, usines etc…et on a mixé tout cela au montage.
Ces sons sont donc utilisés comme une deuxième musique avec celle de la suite musicale d’Etienne Perruchon.
En effet, la musique et les bruits du quotidien cohabitent tout le temps et au niveau de la bande sonore, c’est assez formidable.
Dans Dogora, l’orchestre apparaît flouté: pourquoi?
J’avais besoin que lors de ce petit prélude, on oublie notre monde et la réalité. Au moment où l’on rentre dans le cinéma, on vient de garer sa voiture, on prend ses billets, ça s’éteint et là on a besoin – me semble-t-il – d’un petit sas de décompression, de « décontamination » qui passe par la musique…et pourquoi flou? parce que ce n’est pas la tête des musiciens qui m’intéresse, c’est cette musique…c’est une façon un peu abstraite de prendre les gens par la main pour les embarquer dans ce qui va suivre. Je n’ai pas osé démarrer ce film bille en tête par des images du Cambodge; il fallait d’abord déconnecter.
Envisagez-vous de refaire un film comme Dogora? Pensez-vous que la genèse d’un film de ce genre doit être forcément précédée d’une émotion forte ?
Absolument, il faut quelque chose de très fort et d’impérieux, que l’on a même du mal à déterminer bien souvent. C’est une démarche qui ne peut pas être raisonnable ou raisonnée. Quand j’ai fait Dogora, je ne savais pas trop où j’allais, il y avait quelque chose qui me dépassait un petit peu. Aujourd’hui, bien sûr , j’ai envie de refaire des travaux de ce genre mais il n’y a pas eu encore d’évidence qui me soit tombée dessus. Pour l’instant, Dogora est un film à part, unique dans ma filmographie et peut-être que ça le restera.
En 2011, on a pu voir sur le grand écran » Voir la mer »: quels souvenirs gardez-vous de la réalisation de ce film?
Je voulais faire un film léger, libre, lumineux, sensuel et j’avais envie de raconter une histoire d’amour. Je voulais revenir à un cinéma léger dans son inspiration, dans ce qu’il raconte et dans la manière dont il a été fabriqué. On l’a tourné avec de jeunes acteurs; on constituait une toute petite équipe de 14 personnes, on était sur les routes tout le temps…il y avait une liberté folle. C’est un peu bizarre de dire cela mais j’avais l’impression de faire un premier film, avec peu de moyens et de l’insouciance. L’époque ne nous porte pas beaucoup à l’insouciance, vous l’avez remarqué, du coup, par esprit de contradiction, j’avais envie de liberté, de sensualité, de désir, d’amour, de choses simples mais essentielles.
Actuellement vous travaillez sur une adaptation du roman « Le magasin des suicides » de Jean Teulé…
Absolument, nous concevons un film d’animation.
Pour vous, c’est un nouveau challenge?
Un peu oui! ce n’est pas moi qui ait eu l’idée, c’est un jeune producteur qui est venu me trouver. Je connaissais déjà le roman de Jean Teulé parce que j’adore son écriture. On m’avait déjà proposé de l’adapter et je lui ai donc répondu » oubliez ça, on ne peut pas adapter ce bouquin, c’est impossible » mais lui m’a expliqué que son idée était d’en faire un film d’animation. J’ai trouvé l’idée brillante parce que l’animation permet un univers moins réaliste, décalé, hirsute…j’ai donc plongé dans ce projet illico presto.Il y a un maître d’oeuvre qui, avec moi, co-gère l’équipe technique et les dessinateurs.
Vous avez été scénariste de bandes dessinées par le passé…
Absolument, le dessin ne m’est pas étranger du tout. Je suis en terrain de connaissance.
Comment avez-vous donc choisi d’adapter le roman?
Délibérément j’en ai fait un film musical pour qu’il y ait une espèce de gaieté décalée vis à vis de ces gens qui ont un charmant petit commerce pour vendre de la mort. Alors ça chante beaucoup mais pas que…et en faisant l’adaptation, je me suis beaucoup amusé en m’écartant pas mal du bouquin mais sans le bouquin, évidemment, je n’aurais jamais écrit ça. Quand j’ai fait lire l’adaptation à Jean Teulé, il m’a dit qu’il trouvait ça formidable , que c’était à la fois mon film et son bouquin. Au lieu de faire une illustration bébête de ce livre, j’ai pris beaucoup de liberté même si les personnages sont les mêmes et la base de l’histoire est la même. Je me suis régalé parce que l’animation offre une liberté incroyable » on peut inventer ce que l’on veut! ». C’est un film qui est basé sur une belle provocation pleine de santé.
Quand sortira le film?
Cela représente trois ans et demi de travail et le film sortira au printemps 2012.
Un grand merci Patrice Leconte.