Colette : j’aime être gourmande
Par Marc-Emile Baronheid – PUTSCH.MEDIA/ Un cahier de l’Herne n’est jamais une entreprise anodine. Non plus une déambulation dans les sentiers battus. Plutôt une immersion réfléchie et exigeante, dans un univers réputé, balisé en long et en large mais qui réserve encore des surprises ou recèle des territoires arpentés de manière aléatoire.
Ainsi Colette, appelée en 1944 par Cocteau « plus gros mensonge de l’époque »ou encore « vieille danseuse nue du Lesbos Palace », avant que le même proclame solennellement, onze années plus tard, dans son discours de réception de l’auteure à l’Académie de Belgique « Jamais nous ne laverons assez Madame Colette de cette fausse bonhomie dont la légende l’affuble ». Cocteau en Frégoli, ce n’est pas une révélation. L’institution fut plus retorse avec celle qui lançait avec conviction « je veux faire ce que je veux ». On lui a tenu rigueur de bâtir une œuvre à l’écart des grands mouvements littéraires et idéologiques de la première moitié du XXe siècle.
Dirigé par Gérard Bonal et Frédéric Maget, ce volume regroupe 35 contributions, des textes, des lettres, des conférences inédites de Colette, des repères biographiques et un cahier iconographique : du lourd aérien résolu à démontrer l’heureuse singularité d’une œuvre.
L’autre Colette y est auscultée, celle qui est escamotée au lycée, qui s’amuse à des provocations fanfaronnes à l’égard du féminisme naissant, qui plastronne par le truchement d’une radicalité mal perçue.
Julia Kristeva et Le Clézio signent des articles intéressants. Ils ne sont pas les seuls. Simone de Beauvoir – dont le Deuxième sexe a fait grand cas de Colette – confie dans une lettre à son cher Nelson Algren « A 75 ans, elle a conservé un regard fascinant, un charmant visage triangulaire, mais elle est devenue très grasse, impotente, un peu sourde ; malgré tout, quand elle se met à raconter, à sourire, à rire, nul ne songerait à regarder une femme plus jeune et plus jolie ».
Colette a beaucoup écrit pour les journaux et les magazines, dans divers registres. Elle signa notamment quelques articles dans Marie-Claire. Certains font l’objet d’un carnet intitulé « J’aime être gourmande », hymne à l’hédonisme, acte de foi en le lyrisme du quotidien. Ce ne sont pas, loin s’en faut, les meilleures pages de son œuvre mais, jugées à l’aune de ce qui ne cesse de nous consterner aujourd’hui dans les kiosques, force est de rejoindre Le Clézio, encore lui, lorsqu’il note qu’aucun écrivain n’a apporté une telle attention à traduire le frémissement, le fourmillement, le pullulement de la vie sous toutes ses formes. A moins, bien sûr, que vous préfériez vous mesurer aux questionnaires si actuels, du genre « Etes-vous capable de tromper votre mec avec son meilleur ami sans qu’il le soupçonne ? »
Delphine ou l’art du vertige
Parler au nom de Colette au moment où elle s’éprend d’un garçon de trente ans son cadet, était d’une extravagante témérité . Surtout sans dénaturer l’esprit de cette femme fascinante, ni verser dans l’invraisemblance. Delphine de Malherbe a tenu la gageure avec distinction. Colette est sur le point de se rendre aux avances fougueuses de Bertrand de Jouvenel, fils de son second mari. Elle a 47 ans, lui 17, la peau douce et râpeuse. Elle voudrait oublier Willy « Comment ai-je pu aimer un homme aussi malhonnête ? », sait qu’Henry de Jouvenel la trompe également, repense à sa liaison scandaleuse avec Mathilde de Morny, marquise de Belbeuf, connue sous le nom de Missy : « Une femme est une douce parenthèse qui m’élève et me prépare à l’homme qui va suivre ». La plus belle réussite de Delphine de Malherbe dans ce roman tout de connivence et de respect : donner des pages superbes de passion amoureuse et d’érotisme diapré, sans érafler Colette ni Bertrand. Le parfum capiteux d’un bouquet de douceur et de perdition.
« Colette », L’Herne, 39 euros
« J’aime être gourmande », Colette, L’Herne/Carnets, 9,50 euros
« « L’aimer ou le fuir », Delphine de Malherbe, Plon 17 euros