Mensonges et immédiateté

par
Partagez l'article !

Par Sophie Sendra – BSCNEWS.FR / Le rire est censé être le propre de l’homme. Il fait la différence entre ce dernier et l’animal. Mais savons-nous si les animaux font des blagues ou conceptualisent l’idée de l’humour ? Bergson tentait déjà de comprendre le comique dans son ouvrage Le Rire au début du XXe siècle. Son impact sur la société, ce qui le déclenche etc. Sorte de punition infligée à ceux que nous considérons comme étrangers à nos règles, nos normes culturelles ou cultuelles, le rire est alors la représentation d’une réaction « contre » l’autre. On pourrait considérer le rire non pas comme « risible », mais comme intentionnellement « punitif ». Est-ce cela notre « humanité », cette capacité à « punir » par le rire ?
La grande question est de savoir si c’est réellement le rire qui nous détermine comme différent de l’animal. Cette question reste encore ouverte même s’il est possible de conclure que la capacité à formuler des concepts n’est pas prouvée chez l’animal.
Alors y a-t-il quelque chose qui détermine – autrement que par le rire – l’humanité du XXIe siècle ?

Mensonges

Mis à part une preuve contraire, l’animal ne ment pas. Tout en réaction, il ne calcule pas ses actions. Il peut faire preuve de tactique, de stratégie pour un but essentiel (manger, se défendre etc.), mais il ne ment pas au sens de la définition du mot « mensonge ». Ce dernier vient du latin « mentiri », de « mens » c’est-à-dire « intelligence ». L’animal fait preuve d’une intelligence, d’une capacité d’adaptation, mais le sens de « mens » n’est pas ici celui auquel nous nous attendons.
Le mensonge est la capacité de dénaturer ou de cacher une vérité à son profit, dans un but précis. Il s’agit de reconstruire une réalité de façon intentionnelle : on ne se trompe pas, on trompe l’autre (sauf dans le cas d’un « mensonge à soi », notion de « mauvaise foi » développée par Sartre).
Le mensonge est la faute morale la plus haute selon Kant. Cette idée développée au XVIIIème siècle dans Sur un prétendu droit de mentir par humanité (GF Flammarion) est quasiment visionnaire. Le titre reflète l’état dans lequel se trouve notre société.
Les animaux peuvent-ils mentir ? Non.
Le rire n’est pas le propre de l’homme c’est le mensonge.

Immédiateté

Si nous reprenions l’image célèbre de l’arbre de Descartes (concernant la philosophie et la connaissance développée dans ses Principes de la Philosophie), nous pourrions sans doute dire que les racines du mensonge sont la rhétorique, le tronc la manipulation, et les branches la communication, la politique, le profit, l’apparence et enfin l’immédiateté.
Par souci de convaincre, dirait Platon, nous nous détournons de la vérité et de ce que nous affirmons. C’est cela mentir.
Il faut être là, convaincre à tous prix, mentir pour être là avant et devant tout le monde.
Paradoxalement, l’immédiateté est censée être dépourvue de manipulation puisqu’elle est directe et sans médiation, elle est brute et brutale.
La philosophie étant ce qu’elle est c’est-à-dire une prise de recul, une réflexion, elle ne peut se soumettre à l’immédiateté. Elle doit, et c’est un impératif catégorique, être « mens », intelligence.
Force est de constater que sur certains sujets, seules les « branches » du mensonge importent: les réactions intempestives et dénuées d’intelligence sur le programme scolaire de SVT et sur la « théorie du genre ». Rhétoriques électoralistes faites d’ignorances sur le sujet. Petites phrases exprimant l’idée selon laquelle il faudrait éliminer de la science les théories, la philosophie et ne faire place qu’à la vérité scientifique : exit donc Darwin, Einstein, Pythagore, Thalès, Bachelard et bien d’autres. Exit la théorie de l’évolution, de la relativité. Si la science ne devait retenir que les vérités, nous ne pourrions pas enseigner grand-chose. La théorie est la base même de toute la Science et de toutes les sciences, Monsieur Copé a certainement oublié.
Le public ne pourrait retenir de ces réactions immédiates que les manifestations mensongères (au sens platonicien) de ces politiques en mal de thèmes racoleurs. Espérons que cela ne soit pas.

Reconstructions imaginaires

Le mensonge étant une reconstruction de la réalité, il est possible de constater qu’en ce moment nous sommes servis.
Reconstruction d’une réalité médicamenteuse et pharmaceutique avec les laboratoires Servier, petites phrases politiques en vue des présidentielles Françaises, message clair et distinct du Tea Party aux États-Unis, celui de faire croire que Jésus leur parle et leur dicte de se présenter aux présidentielles, plan « com », sur plan « com », l’affaire DSK, un « non-lieu de poursuivre » contre une « innocence ».
Les reconstructions ne sont imaginaires que pour ceux qui en sont les inventeurs, elles deviennent réelles pour ceux qui ne sont pas vigilants à cette rhétorique mensongère.

S’il fallait conclure

Il est possible de dire que le propre de l’homme n’est pas le rire, mais le mensonge. Ce trait de notre caractère fait de notre civilisation un paradoxe en marche : d’un côté une volonté de tout savoir immédiatement et que rien ne soit caché et de l’autre un champ inépuisable de candidats pour les « boîtes de communication », les « porte-parole », les « spin doctors » et autres rhéteurs spécialistes en manipulations. Contrairement à d’autres, je ne crois pas à la « théorie du complot » miroir d’une paranoïa latente chez certains. En revanche, ce que nous pouvons dire c’est que le mensonge en est la source.
La seule reconstruction de la réalité qui soit admissible est celle de la littérature.
A tous, bonne rentrée littéraire.

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à