Un Mishima sans masque

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Par Stéphanie Hochet- bscnews.fr / Jennifer Lesieur est journaliste et auteur de biographies : celle de Jack London (Prix Goncourt de la biographie), de Patti Smith et d’Amelia Earhart. Ce dernier ouvrage sur Mishima éclaire les zones d’ombre d’un des plus grands écrivains du XXème siècle. Né en 1925, le romancier confessait : la plupart des écrivains ont une cervelle parfaitement normale tout en se comportant comme des sauvages ; moi, j’aiune conduite normale, mais c’est à l’intérieur que ça ne va pas.

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De celui qui fut un des plus grands écrivains qui aura sévi de 1950 à 1970, le public a retenu l’œuvre monumentale, variée, romans et pièces de théâtre à la croisée de la tradition occidentale et orientale, son culte de la beauté, ses personnages à l’érotisme ambigu, fervents de cruauté esthétique, la poésie de sa prose et… son suicide par seppuku (mise à mort par éventration puis décapitation pratiquée traditionnellement par les samouraïs) au quartier des Forces d’autodéfense de Tokyo. Un condensé demiracles et d’horreur. La journaliste Jennifer Lesieur revient sur la vie d’une personnalité controversée dont les prises de position politique et lecomportement médiatique auront été largement décriés dans son pays. Quelques minutes avant de faire seppuku, Mishima a exhorté les jeunes militaires japonais à se rebeller contre uneconstitution qui, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, interdisait au Japon de posséder une armée autre que défensive et ne reconnaissait plus l’essence divine de l’empereur. Dès les années 60, l’homme de lettres s’était tourné vers le patriotisme. Nationalisme plus spirituel que politique sous-tendu par son désir de mort, explique Jennifer Lesieur. Une fascination pour la mort qui semble naître dès la petite enfance, alors qu’il est élevé par sa grand-mère paternelle qui a pour ainsi dire retiré l’enfant à ses parents dans le but de l’éduquer selon ses principes et lui servir de garde-malade. La vieille femme à moitié folle, imbue de son arbre généalogique qui la relie aux samouraïs (contrairement à son mari) garde le garçonnet enfermé avec elle, lui fait découvrir le kabuki (le théâtre japonais), l’incite à écrire ses premiers textes, tout comme elle l’obligera à jouer à des jeux non-violents, des jeux defilles, et lui interdira de sortir quand le temps n’est pas clément… A l’époque Mishima s’appelle kimitake Hiraoka, l’enfant à la santé fragile se découvre un goût pour certains mythes : les princes qui meurent en s’ouvrant le ventre, Cléopâtre, et ce fameux Saint-Sébastien transpercé de flèches qui éveille ses sens : [l]e penchant de mon cœur vers la Mort, la Nuit et le sang était indéniable, écrira-t-il plus tard dans le premier romans qui le fit connaître à un large public : Confession d’un masque. Les grands thèmes qui fleuriront dans ses œuvres sont, en effet, déjà là : extase, beauté et mort. A l’adolescence, il choisit le pseudonyme Mishima, nom d’une ville située entre le Mont Fuji et la mer – la mer, l’océan le fascinentégalement : il y plongera ses visions du vide. De ses débuts en littérature au sein des revues lycéennes, à son succès en tant que jeuneromancier connu dans son pays et hors des frontières, il s’écoulera peu de temps durant lequel il tisse des liens avec des auteurs qui deviennent sesmentors avant qu’il ne se détourne d’eux, avec une certaine arrogance. N’était le grand Kawabata qui restera attentif à son travail jusqu’au bout et que Mishima estimera sans détour. Mishima a voulu devenir ce qu’il n’était pas enfant : un être fort, physique, à la peau tannée, un homme prêt à sebattre pour une cause supérieure. Il pratique le bodybuilding, s’exhibe torse nu durant les interviews, son narcissisme l’incite à devenir acteur pour yjouer des rôles de voyous, il s’inquiète de sa renommée mondiale, demande comment devenir célèbre à New-York… Son mariage et sa vie dans une maison à l’occidentale, kitsch, semblent une parenthèse ironique dans le destin que cet amoureux du Japon féodal s’était imaginé. Parallèlement, son œuvre s’étoffe, il s’interroge en déployant des intrigues : derrière Le Pavillon d’or émerge le thème de la destruction, le reste de ses œuvres souligne sa fascination pour la jeunesse (ajouté à sa peur de la vieillesse), le sadomasochisme et, au-delà, ces questions que Jennifer Lesieur a bien relevées : comment exister, comment se sentir vivant, comment être un homme ? Et qui donnent une clef pour qui voudrait approcher l’énigme Mishima. Le grand écrivain y aura répondu avec éclat, à ventre ouvert.

Mishima par Jennifer Lesieur.

Biographie folio.

Avril 2011.

260 pages.

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