La femme au miroir: et si c’était vous?

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Par Julie Cadilhac – BSCNEWS.FR / Anne, Hanna, Anny… trois jeunes femmes, trois siècles dont Eric-Emmanuel Schmitt brosse un tableau fascinant. La première qualité de ce roman? la force de ses images, l’incroyable capacité qu’à l’auteur de décrire ce qui nous semblerait l’inénarrable: l’émotion que l’on ressent, par exemple, à se fondre un instant dans un lieu vierge, l’angoisse qui étreint devant le divan d’un psychanalyste, les bouffées délirantes d’une junkie, qui crie son besoin d’être une autre, accrochée à la liane-câble d’une boule à facettes disco.

Quels liens entre une jeune béguine, une aristocrate viennoise et une actrice d’Hollywood? Un miroir peut-être qui montre une vérité toute autre que celle formatée dans le monde où elles évoluent chacune. Anne, Hanna, Anny, ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait une autre…L’indicible et l’invisible tissent le fil conducteur de ces trois destins entremêlés et la dimension mystique, chère à l’auteur, est encore une fois amenée avec beaucoup de délicatesse et de vérité. On apprécie, par exemple, les réflexions philosophiques suggérées à propos du véritable sens des mots qu’emploie Anne, pour désigner ce quelque chose qui la bouleverse et l’émeut…et tant d’autres passages où l’auteur incite le lecteur à passer la frontière confortable et divertissante de la fiction pour s’aventurer dans les sphères plus exigeantes du questionnement et de l’introspection.

Assurément, la fille au Miroir est un roman qui révèle, de surcroît, un esprit doué d’une psychologie fine et sensible tant , au travers de figures singulières, il parle de chacune d’entre nous. « Elle flotte, elle hésite, en un mot elle est femme » disait Jean Racine et c’est en effet sur cette insatisfaction féminine qui pénètre, au fur et à mesure des années, dans les veines des épouses, des promises, des mères, des maîtresses, des stars, des inconnues, des belles, des disgracieuses que bat le rythme entêtant de cette écriture. Oui, il y a un peu de sorcellerie dans les recettes de papier de Monsieur Schmitt et, même si l’on en perçoit tous les exquis ingrédients, on est toujours impressionné par l’alchimie harmonieuse que forment ensemble l’intrigue, le verbe et les caractères et bien incapable d’imaginer en faire autant!

Anne est une lueur d’amour, un remède apaisant pour les contemporains que nous sommes , spectateurs démunis devant une époque fort laide où ( si l’on caricature à peine…) la fourberie, l’arrivisme, le mensonge et l’impudeur règnent en démoniaques colons dans des coeurs affairistes. Anne respire et l’on se sent mieux, on a envie de battre la campagne pieds nus avec elle et d’oublier de se prendre au sérieux un instant. Anne est une onde pure sacrifiée à la bêtise de son siècle et son obscurantisme. Anne vit à la Renaissance où les loups ne sont pas ceux que l’on pense… Hanna trouble, elle est un miroir dérangeant de nos manques et de nos renoncements lâches. Hanna se rebelle, se rebiffe, chasse ses chimères et l’on aime ses victoires sur un monde conformiste, sur des modèles étouffants qui la compriment mais aussi sur elle-même qui est son plus farouche ennemi. Hanna est une épouse malheureuse dans les bras d’un prince charmant de la cour autrichienne. Hanna est un vase fragile qui, en volant en éclats, délivrera les fleurs coupés qui manquaient d’air dans leur cercueil de verre. Anny est une copine de fac, une soeur, une écervelée que nous condamnons parce que c’est plus simple. Une fille légère qui profite éhontément de ce que la nature nous a refusé et que l’on montre du doigt. Anny est cette nana que l’on jalouse et dont on a pitié. Anny, actrice hors-norme à Hollywood, oublie ses peines à coups de coke. Anny est une fleur éblouissante qui vampirise tout ce qui lui porte un regard, objet de convoitise, de superficialité peut-être…en tous cas, fleur salie par des forces mercantiles sournoises.

Un livre féministe? Sans doute…. mais ne nous arrêtons point là… Derrière ces 456 pages vivent trois femmes qui n’ont pas envie d’être étiquetées. Elles sont ce qu’elles sont, elles sont faites comme ça. Elles savent qu’il n’est pas facile de s’imposer telle que l’on est. Elles sont juste une leçon de courage. Désarmantes. Elles portent avec éclat un parfum enivrant de liberté qui doit être conçu, non pas comme un manifeste à brandir simplement lors des soirées mondaines, mais comme un mode de vie qui, à l’image d’Anne, ne cherche pas un public mais des frissons d’être…

« Sitôt qu’elle rentrait au coeur d’une méditation, en fixant l’azur, en observant les poissons, en suivant le voyage des oiseaux, ce n’était ni les uns ni les autres qu’elle voyait, mais l’énergie qui les sous-tendait, la joie qui amenait la vie, l’ivresse de la création. Sous le bienfaisant tilleul, elle quittait tout: elle d’abord, le monde matériel ensuite, puis, au pic brûlant de l’expérience, elle échappait aux mots, aux idées, aux concepts. Ne demeurait que ce qu’elle ressentait. Elle avait l’impression de se dissoudre dans la lumière infinie qui tramait la toile du cosmos.

– Braindor, les mots n’ont été inventés que pour refléter l’univers, ils inventorient les êtres, ils étiquettent les objets. Or moi, je m’évade, je pars en dessous, en dessus, derrière, je file dans l’invisible…Comment décrire?

– Comme tu le fais.

– Il n’y a pas de mots racontant l’invisible.

– Si, ceux de la poésie. » ( La fille au miroir, Eric-Emmanuel Schmitt)

Lire La femme au miroir d’ Eric Emmanuel Schmitt

Titre: La fille au miroir

Auteur: Eric-Emmanuel Schmitt

Genre: Roman

Editeur: Albin Michel

Prix: 22 euros.

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