Un roman entre Algérie et Argentine

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En partenariat avec les-agents-litteraires.fr / Aidée de Clovis Narigou, un ancien amant, et de ses contacts, Emma va enquêter sur le passé trouble de Vincent de Moulerin. Grâce auxinformations de Mario Crescensi, un ancien journaliste, elle apprend que ce dernier est un ancien para qui a fait la guerre d’Indochine avant de rejoindrel’Algérie et les rangs de l’OAS. Quelques années plus tard, c’est en Argentine que l’on retrouve le colonel. Son itinéraire n’est pas totalement clair et des zones d’ombres subsistent.

Maurice Gouiran est un auteur qui vit près de Marseille et situe ses polars dans la cité phocéenne. Néanmoins, loin d’être un de ces polars régionaux trop caricaturaux, « Sur nos cadavres, ils dansent le tango » nous emmène dans le sillage de l’Histoire entre Algérie et Argentine.

Le lieutenant Emma est une fille un peu atypique, androgyne et gothique, qui semble torturée par son passé. Sonhistoire d’amour avec Rosy semble être en fin de parcours tandis que ses aventures avec Clovis ne semblent pas complètement closes. N’étant pas marseillaise d’origine, elle n’hésite pas à critiquer et à fuir ce qui fait l’identité de la ville.

Ses recherches sur de Moulerin nous conduisent en effet, dans un premier temps, en pleine guerre d’Algérie où le colonel aurait pratiqué la torture qui était de norme à l’époque. La guerre fait rage et de nombreux attentats ont lieu. L’auteur, pour illustrer sonpropos, n’hésitera pas à s’arrêter plus particulièrement sur le massacre, fin 1962, de tous les responsables des Centres Sociaux Educatifs en pleine réunionau château Douïeb, fusillés de sang froid par un commando de l’OAS. De Moulerin faisait-il partie des tueurs ? La question se pose. Ce dernier aurait par lasuite rejoint l’Espagne où il aurait rencontré sa femme, serait devenu père d’Antoine, qui gère désormais une bonne partie de ses affaires, et n’auraitrejoint la France que bien plus tard. Néanmoins, il s’avère que de Moulerin a passé une partie de ces années mystérieuses en Argentine. Comme de nombreuxanciens membres de l’OAS, de Moulerin y a été envoyé pour former la milice locale aux techniques d’intimidation et de torture apprise en Algérie… Nous voilà alors entrainés dans les dessous de la dictature de Videla et de sa répression sanglante.

De son côté, Kévin, petit-fils de de Moulerin, fait ses propres recherches. Petit génie de l’informatique qui adécidé de ne plus quitter son écran et sa chambre, est vu comme un raté par son propre père. Adepte de Second Life, il a pourtant développé son propre businessvirtuel qui lui rapporte de grosses sommes d’argent. C’est le test d’un logiciel de morphing qu’il a créé lui-même qui va tout entraîner. Testant lesvisages familiaux sur sa création, son logiciel découvre une correspondance avec un argentin disparu, un de ses desaperecidos, victime de la dictature. Defil en aiguille, le jeune garçon va faire de surprenantes découvertes au sujet de son père et son grand-père…

Vous l’aurez compris, l’enquête sur le passé de de Moulerin devient bien vite secondaire pour mieux nousplonger dans les méandres de l’histoire totalitaire. La narration alterne entre Emma (et ses contacts) et Kévin, et le lecteur découvre peu à peu lesdécouvertes de chacun.

On reconnaît ici un gros travail de recherche sur l’Algérie française et sur la dictature argentine et c’estcertainement le gros atout du roman. Les faits sont précis, fouillés et s’insèrent parfaitement dans la trame du roman. La narration de l’époque sefait parfois même au présent renforçant ainsi le réalisme et l’émotion que de tels faits historiques ne manquent pas de nous plonger. On vivra par exemple la fameuse coupe du monde de football en argentine de 1978, retranscrite ici avec brio et originalité, oscillant entre liesse générale et atrocité desemprisonnements arbitraires.

Si de Moulerin reste un personnage imaginé, le lecteur aura bien compris que l’existence de ce type demilitaire est plus que probable. Gouiran dénonce ici avec brio des périodes noires de l’Histoire, en rappelant à notre bon souvenir des faits inconnus ououbliés.

Il n’en est pas moins proche des réalités actuelles. Réfugié dans Second Life, Kévin est complètement coupé desa famille et des réalités quotidiennes. Il prend son repas dans sa chambre et a des relations sexuelles par l’intermédiaire de son ordinateur. Ses tentativesde communication avec sa famille sont chaque fois vouées à l’échec, par sa maladresse et le manque d’affection et de reconnaissance de ses parents.Ressemblant aux Ikikomori japonais, il rejette le monde actuel et ses affres pour se réfugier dans un univers virtuel confortable.

Si la partie historique porte le roman, ce dernier n’en est pas moins exempt de défauts.

Le lieutenant Emma manque totalement de densité et de charisme. Au final, on ne sait quasiment riend’elle, même son aspect physique qui semble en intriguer plus d’un reste assez énigmatique. Peut-être faut-il avoir lu les autres opus de l’auteur pour mieuxla cerner ? La manière dont elle abandonne quelque peu la partie sur de Moulerin, après des recherches obsédantes ne semble pas totalement crédible.Cela sert plutôt à donner plus d’espace à la parole de Kévin et surtout à amorcer la fin qui se conclut sur une pirouette scénaristique surprenante maisun poil tirée par les cheveux.

De son côté, Kevin m’a aussi semblé parfois peu réaliste. Je veux bien croire qu’on peut trouver denombreuses choses sur Internet sans sortir de chez soi mais certains éléments découverts m’ont semblé fort improbables comme les détails précis de la vied’un desaperecidos avec son identité par exemple. Rien n’indique par ailleurs que l’adolescent parle couramment l’espagnol et puisse décrypter et éplucherles millions d’archives sur le sujet.

Malgré ces quelques bémols, je vous encourage à découvrir Maurice Gouiran car la manière dont il évoque des faits peu glorieux de l’Histoire nationale et mondiale en dénonçant à mots couverts l’immobilisme ou même la dissimulation de certains dirigeants fait froid dans le dos. Si l’intrigue policière en elle-même semble un peu légère, on se passionne pour l’arrière-plan historique qui finit par avoir le rôle principal dans ce roman. Une tendance déjà initiée dans son précédent roman « Franco est mort jeudi », qui se situe en pleine guerre d’Espagne. A découvrir, vraiment!

> Le livre : Sur nos cadavres, ils dansent le tango, de Maurice Gouiran, éditions Jigal, 272 pages, 18€.

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