Rentrée littéraire : un bon roman dont le propos déborde son propre cadre

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Par Harold Cobert – BSCNEWS.FR / Lire un premier roman est toujours émouvant. C’est un instant fragile où, à chaque page que l’on tourne,on tremble de voir le texte s’effondrer sur lui-même. Dans Elvire & Jérémy, les pages défilent à toute allure, avec la vitesse propre à notre époque. Vitesse, et non précipitation. Le récit galope,vole même, mais ne survole pas.

Pourtant, le pari initial était périlleux, le point de départ romanesque épineux. Jérémy ne sait pas encore s’il préfère les hommes ou les femmes, même s’il recherche plus volontiers les amants d’une nuit. Elvire, elle, vit en couple avec Daphnée. Jérémy s’est fait tout seul et enseigne le droit en parallèle et en complément de sa thèse. Elvire suit le TD qu’il anime, elle est l’une de ses élèves. Un matin, alors que Jérémy quitte en catastrophe un appartement où il vient de se réveiller en sursaut après une orgie sans lendemain, il croise Elvire en train d’attacher son scooter. Dans son départ précipité – c’est son premier jour de cours et il est affreusement en retard – Jérémy a emprunté un imper et des Converses, tous deux trop grands pour lui. Tandis qu’il passe à proximité d’Elvire, celle-ci fait tomber les clefs de son deux roues et de son antivol. Il les lui ramasse. « Vos chaussures,lui dit-elle, elles sont trop grandes ». Et l’histoire commence, leur histoire, faite de dérobades, de peurs, de fuites, d’écartèlement entre la quête des plaisirs multiples et l’exclusivité du sentiment amoureux.

Derrière les apparences d’une simple histoire d’amour compliquée, Pierre de Vilno dresse le portrait de deux enfants du siècle tiraillés entre des désirs contradictoires, entre un libertinage résumé à un libéralisme des corps et une aspiration irrépressible pour l’amour au sens le plus romantique du terme. Depuis plusieurs années, sociologues et observateurs s’interrogent sur la libéralisation des mœurs des jeunes générations, notamment à travers le phénomène des « Soirées Skins », sur une bisexualité érigée en nouvelle norme comportementale. Comment expliquer, en effet, cette sexualité apparemment débridée, ce refus de toute attache sentimentale et, en même temps, cette soif d’amour absolu et ce romantisme échevelé que traduit, entre autres, le succès romanesque et cinématographique de la série Twilight ? Car ce sont les mêmes qui embrassent à bouche-que-veux-tu hommes et femmes et soupirent en lisant les amours impossibles des vampires de Stephenie Meyer. Le cardinal de Retz règle le problème en une formule admirable : « Les extrêmes se touchent ». Certes, mais encore ? La réponse est ans doute à trouver dans une redéfinition de l’intimité. Le sexe et ses comportements ont quitté cette zone secrète et opaque pour rejoindre la sphère publique – il suffit de regarder les unes des magazines pour s’en convaincre. La sexualité, qui mettait jadis à nu, est désormais une nouvelle parure sociale et, de-là, obéit à des modes qui voilent plus qu’elles ne révèlent. Seule l’intimité du couple, autrefois lieu de tous les silences, de tous les secrets, voire de tous les mensonges, circonscrit un espace où les masques tombent et où les individus apparaissent dans une nudité réelle et totale.

Toutes ces questions, toutes ces thématiques, Pierre de Vilno les aborde d’une manière subtile et indirecte. Elles sous-tendent son récit sans être exprimées d’une manière explicite. Son roman les incarne. C’est cela, un roman, une incarnation dans des personnages, une histoire, des parcours. Et ici, un bon roman dont le propos déborde son propre cadre.

Elvire & Jérémy, éditions Héloïse d’Ormesson, 16€.

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