Une invitation à respirer le coeur d’un monde simple
Par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/ Illustrations Arnaud Taeron – PUTSCH.MEDIA /Un assassin blanc comme neige ou l’envie de faire un tableau…Un hommage à la vie teinté de tendresse pudique et d’humour délicat, une invitation à respirer un peu le coeur d’un monde simple, débarrassé de ses contingences.
S’exprimer à propos d’un recueil: entreprise périlleuse tant il faut faire sentir l’émotion d’une écriture sans en trahir le propos! et comment mieux décrire le travail de Christian Bobin si ce n’est avec ses propres mots: »Sur le bois de la page quelques miettes de bleu et le verre renversé du silence »?
Un assassin blanc comme neige est un refuge apaisant où les mots tintent en choeur sur les lignes imaginaires de la page, un paratonnerre de feuilles anodines contre l’absurdité d’un monde vénal, une parenthèse lovée dans le silence respectueux des battements d’un coeur. C’est écrit: » J’ai accroché mon cerveau au portemanteau puis je suis sorti et j’ai fait la promenade parfaite. »
Une lecture qui incite à s’offrir des moments de répit durant lesquels alléger son existence, l’en dévêtir de ses responsabilités étouffantes et de ses héritages sociaux. Lire, c’est avant tout se laisser saisir par la voix d’un Autre, accepter de lâcher ses inquiétudes, ses préjugés, ses priorités pour écouter un autre son de cloche. Un assassin blanc comme neige, titre- clin d’oeil au Créateur, est un poème sans queue ni tête définie qui nous rappelle le rôle de miroir du livre: »Lire, c’est ajouter au livre, découvrir, en s’y penchant, son propre visage dans la fontaine de papier blanc. » En empruntant le chemin de pensée d’un Autre, on se retrouve davantage. On s’appréhende mieux. C’est simplement cela le fil directeur de ces strophes rebelles à tout classement.
Sur l’avant-scène, la réalité d’un quotidien à aimer. En toile de fond, l’espoir mystique d’une éternité qui serait cause de cette pluie d’or qui éblouit l’observateur ému tous les matins du monde.
On oublie souvent que la poésie est un genre accessible ( et que c’est un compliment que l’on lui fait!) tellement elle exige peu de ses lecteurs si ce n’est de se laisser porter par le sentiment de la phrase, tellement, même lue par bribes, entrecoupée, elle fait sens, tellement oui, on peut consommer un recueil par petites bouchées, petits morceaux de soleil qui éclairent quelques secondes l’obscurité d’un monde matérialiste.
Par fragments d’images quotidiennes, Christian Bobin nous invite dans une intimité confortable où l’objet-livre se pare de divin, le chat ou le papillon offrent des moments d’éternité innocents, l’observation d’une toile est prétexte au voyage, la visite de retraités grabataires une main tendue vers le Ciel.
À chaque strophe, l’envie de faire un tableau. À chaque strophe, le silence d’un ange qui passe en nous laissant rêveurs. Quelques thèmes obsédants: une balade émue et récurrente au sein d’une maison de retraite, l’évocation des peintres et de l’art immortel, lire et écrire… et puis la mort. La mort est partout inévitable, mais apprivoisée. Elle est la raison de l’émotion, du sublime, car c’est la fragilité du monde et des êtres qui en fait la quintessence et la beauté.
Un hommage à la vie teinté de tendresse pudique et d’humour délicat, l’invitation à respirer un peu le coeur d’un monde simple, débarrassé de ses contingences.
« J’attends d’un poème qu’il me tranche la gorge et qu’il me ressuscite ». Avec les mots de l’auteur, l’opportunité parfaite d’exprimer la qualité première de ce livre digne de trôner sur un chevet. On meurt à chaque silence du vers, piqué par la douleur vive de notre dégénérescence inévitable, mais on renaît aussitôt dans le miracle de l’écriture.
Si le temps nous hante et, comme une épée de Damoclès, étreint notre gorge d’angoisses, c’est en sachant nous immobiliser que nous pourrons voir respirer la vie…. et quel plus beau spectacle?
Titre: Un assassin blanc comme neige
Auteur: Christian Bobin
Editions: Gallimard