Brigitte Kernel livre une autopsie du monde clos des salles de divan

Brigitte Kernel livre une autopsie du monde clos des salles de divan

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Propos recueillis par Emmanuelle De Boysson – bscnews.fr / Productrice animatrice de l’émission Noctiluque sur France inter, Brigitte Kernel a publié en 2008 « Fais-moi oublier » chez Flammarion et en J’ai lu (2010). Un roman à succès sur l’amour entre femmes. « Ma psy, mon amant » est né au cours d’une séance chez un psy. La romancière a imaginé qu’Annie, une patiente, remarque des signes de nervosité chez son docteur. Plus elle lui parle de son nouvel amant, plus celle qui l’écoute s’angoisse.

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Persuadée que la psy a reconnu son mari ou un amant dans ses descriptions, Annie détaille avec délectation ses aventures… Cette autopsie du monde clos des salles de divan prend l’allure d’un thriller rondement mené qui nous fait frémir. Il se passe des choses étranges et suspectes dans ce face à face où on se livre et on dépense sans se protéger. On retrouve avec bonheur le style limpide, juste, sensible de Brigitte Kernel, au plus près de l’émotion. De l’essentiel.

Votre roman Ma psy, mon amant publié en 2004 est à nouveau disponible. Racontez-nous l’origine de cette histoire ?
Je suis ravie de cette réédition chez Léo Scheer car le roman était devenu introuvable et les lecteurs et lectrices de « Fais-moi oublier » le recherchaient. L’origine de cette histoire : une séance chez ma psy, il y a une dizaine d’années, où je l’ai vue changer de visage alors que je lui racontais une anecdote familiale personnelle qui sans aucun doute faisait des échos dans sa tête. Je l’ai, pour la première fois, trouvée fragile et ai imaginé qu’elle avait sans doute le même problème familial que moi à résoudre. Lors de la consultation suivante, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur cette anecdote pour voir sa réaction (et je m’en suis voulue immédiatement mais l’idée du roman germait déjà ; les romanciers, on le sait, sont des éponges et des pilleurs (rires). Effectivement, elle a cassé ses lunettes, alors entre ses doigts. C’était une femme exemplaire, qui m’a beaucoup aidée ; j’ai commencé, je me souviens, à la trouver émouvante, à avoir de la compassion pour elle en ce que je croyais comprendre de sa vie. Peut-être à tort d’ailleurs. Mais évidemment, je ne lui ai rien dit. Et j’ai interrompu les consultations, découvrant en moi cette envie étrange de l’aider.

Avez-vous suivi une psychothérapie ? Que vous a-t-elle apporté ?
Oui, quelques années, j’avais un gros travail à faire sur et autour de la culpabilité. Cela m’a apporté du calme intérieur. M’a permis de dénouer quelques nœuds et surtout de me faire « grandir » Mais je crois que la psychothérapie ne suffit pas, ce n’est qu’une base qui permet ensuite de s’ouvrir à d’autres « travaux » sur soi même. Il faut une vie pour apprendre à se détacher du superflu et aller à l’essentiel. Cela n’est pas simple. Il s’agit de s’élever. Les psys ne suffisent pas à cela. Ils sont limités par leurs « grilles » et les mots bien sûr. Tant de choses fortes existent au-delà des mots.

Ce roman à suspens évoque les dérives de cet univers clos de la relation patient/psy, y a-t-il une part de vérité ? Quelle a été votre intention : dénoncer les limites de cette relation ? Nous faire vibrer ?
La réponse est déjà dans la question. Oui, il y a une part de vérité dans ce roman. Je ne parlerais cependant pas de dérive mais de limites. Il y a un moment, au bout de quelques années, où le psy peut devenir une sorte « d’être habitude », habitude du rendez-vous hebdomadaire consolateur, habitude de se confier en oubliant qu’un psy va toujours dans le sens de son patient, enfin, en tout cas, le plus souvent car il peut vous secouer aussi et heureusement ! Habitude de prendre des décisions après avoir vu le psy. Il me semble que, forcément, il y a un moment déclic où l’on commence à voir le thérapeute comme un « autre » et c’est là que l’on peut commencer à être gêné de ne parler que de soi. L’intérêt alors grandit pour et vers le psy. C’est une matière formidable alors pour un écrivain et cela m’avait déjà inspiré « Tout Sur Elle » qui parle d’une patiente qui ne supporte pas de ne plus aller consulter sa psy.

Comment avez-vous construit cette intrigue ?
Il s’agissait pour moi de tenter d’écrire une histoire adaptable au théâtre, trois nouvelles ou trois scènes en fait qui pourraient se lire indépendamment l’une de l’autre. C’est ainsi que nous avions travaillé avec la première éditrice de « Ma Psy, Mon Amant », Delphine Mozin. Ce travail sur la construction a été passionnant car il engendrait un souffle particulier et une écriture musicale différente d’une partie à l’autre. Une expérience que j’aimerais beaucoup renouveler un jour.

Quel est le fil conducteur de vos romans jusqu’à Fais-moi oublier ? Cherchez-vous à sonder l’intimité ? A mettre en lumière les failles de nos vies ? Ces moments où tout bascule ?
Tout bascule un jour dans nos vies, et c’est l’une de nos grandes peurs à tous, n’est-ce pas ? Le basculement est un mouvement qui entraîne vers un ailleurs meilleur mais qui peut aussi faire frôler la folie et là aussi, la matière est formidable pour un écrivain. Tous mes livres parlent des basculements. Basculer, c’est être humain puissance mille, finalement dans le sens où l’on se retrouve le plus près de soi « non rassuré » On ne peut en ressentir les bienfaits, en tirer une leçon et une sorte de philosophie que des années plus tard.

Fais-moi oublier est un succès. Comment l’expliquez-vous ? Recevez-vous beaucoup de courrier ? Vos lectrices se reconnaissent-elles dans cette histoire d’amour entre femmes ?
« Fais-moi oublier », est une aventure formidable. Aventure au moment de l’écriture car j’ai essayé d’aller au bout de moi-même dans ce roman en faisant fi de mes craintes. Et cela n’a pas toujours été facile. Mais bizarrement, au moment de l’écriture, je pensais que c’était peut-être, égoïstement, pour moi, mon roman le plus important. Un roman qui me rétablissait aussi après un certain nombre de deuils éprouvants. Je ne sais pas à quoi est du le succès, peut être tout simplement au fait que le roman correspond à un moment donné à ce qu’attendent certaines personnes. Un peu comme en amour, la bonne personne au bon moment. En ce qui concerne les lectrices de Fais-moi oublier, elles se sont reconnues, oui, dans beaucoup de scènes du livre. L’amour entre femmes est finalement très peu traité en littérature générale. J’ai reçu beaucoup de courrier où les lectrices expriment cela. Il y a dans Fais-moi oublier, beaucoup de thèmes qui s’entrelacent et je pense que toute femme qui aime les femmes a effectivement vécu l’un ou plusieurs des moments abordés dans ce roman. En tout cas, tous les messages que je reçois, notamment dans le groupe Fais-moi oublier sur facebook va dans ce sens. Je suis hallucinée, touchée, par le nombre de messages que j’ai reçu dans ce groupe, c’est assez fou, des centaines …

Vous êtes productrice animatrice de l’émission Noctiluque sur France inter, qu’est-ce qui guide vos choix ? Quels sont les plaisirs de ce métier ?
Je vous répondrai en quelques mots : le plaisir de faire découvrir les auteurs de notre époque et d’avoir une heure entière pour les laisser s’exprimer. Le plaisir aussi de voir combien certains, reçus il y a vingt ans, sont fidèles à l’émission, de Fred Vargas à Amélie Nothomb en passant par Jean Rouaud, Didier van Cauwelaert, Chloé Delaume, Philippe Claudel et tant d’autres. Je ne peux me passer des auteurs, c’est ainsi … Leur présence et leurs dires sont un enrichissement permanent que j’essaie de transmettre au micro.

Allez-vous animer cet été des émissions littéraires ? Quels sont vos projets ? Un nouveau roman ? `
Cet été, ce n’est plus un secret, la grille de France Inter a été dévoilée, j’animerai une émission quotidienne en août « Qu’importe le chemin », en direct, évidemment. Chaque jour un écrivain viendra avec quelques cartes routières évoquer ses territoires géographiques et intimes. Il y aura dans le studio, des atlas, une mappemonde … Et des cartes postales d’auditeurs … Je me réjouis de ce programme … Pour répondre à votre question à propos d’un nouveau roman oui je suis en pleine écriture … Et je rêve de voir Ma Psy, Mon Amant adapté au théâtre …

Ma psy, mon amant
Brigitte Kernel
Editions Léo Scheer

Paru le 1er juin 2011
224 pages
18 euros

© Brigitte Kernel – Crédit Lunarch Création Web

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