Jean-Pierre Milovanoff : un témoignage bouleversant sur l’humanité et la honte

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Par Stéphanie Hochet – BSCNEWS.FR / Né d’un père russe et d’une mère française, l’auteur de L’Offrande sauvage et de La Mélancolie des innocents revient sur ses attaches russes avec un texte court et dense sur la période des purges en Union Soviétique.

En référence à Iejov, l’homme de main qui la mit en œuvre, une vague de Terreur, la Iejovschina, déferle sur l’Union soviétique et cause 50 000 morts par mois. On comptera près d’un million de fusillés d’août 1937 à décembre 1938. Odessa, 1937. C’est l’arriviste Gromov qui se trouve à la tête du NKVD d’Ukraine – Commissariat du peuple aux affaires intérieures. Les ordres ont été donnés de traquer les saboteurs, les agents de la contre-révolution. Dans le jargon des tchéquistes, il est temps d’écluser, c’est-à-dire faire du chiffre, respecter les quotas, trouver des viviers de saboteurs, des infiltrations fascistes, des complots diligentés par l’étranger… quand bien même Odessa, ville de province du sud de l’Ukraine ne comprend que quelques pauvres paysannes qui comptent en pliant les doigts, des vagabonds, des ménagères exténuées par les longues files devant les magasins, des membres du Parti à qui on vient de retirer leur carte (…). Gromov ne veut pas prendre du retard sur les statistiques et mettre à mal son avancement. Terreur Grande est hanté par les charniers. Le livre s’ouvre sur une fosse commune, en pleine nuit, on enfouit des corps dans le plus profond secret, des corps d’hommes, de femmes, et d’enfants – sans scrupule, la mise à mort des enfants de 13 ans fut autorisée par Gromov avant le décret de Staline et Molotov. Fusillés ou laissés pour mort dans des fosses communes dont personne n’avait le droit de parler (car la rumeur elle-même était un crime), les Condamnés de première catégorie (à mort) étaient les plus fréquents, on s’acquittait de leur sort avec toute la violence des litotes linguistiques ; venaient ensuite les simples Condamnations de seconde catégorie (envoi dans un camp de Sibérie), cas rare.
Dans la famille de Jean-Pierre Milovanoff, on a perpétué le souvenir des Vassiliev, considérés par le régime de l’époque comme des gens du passé. En 1937, le capitaine Anton Semionovitch Vassiliev est un administrateur qui doit réunir les preuves concernant des culpabilités et constituer les dossiers des hommes et des femmes ennemis du régime. Vivant avec sa mère, une ancienne comédienne qui se rappelle avec nostalgie les conversations, les manières, le goût, l’insouciance. La beauté. L’art de dire en passant les choses profondes et de s’attacher aux détails qui ne sont pas toujours superficiels, un temps révolu qu’aura remplacé la terreur, il sauve une vieille femme amoureuse des vers de Baudelaire, une crève-la-faim littéraire. Les manières, le genre aristocratique de Vassiliev attirent la jalousie, la haine de Gromov qui tente de le faire tomber. Vassiliev l’apprend et tente de fuir l’Ukraine avec sa mère, après avoir pris Gromov en otage. Ils s’embarquent sur un bateau et tentent de gagner Istambul…
Un texte bref, au plus près de la démence d’une époque. Mu par un véritable besoin de dire ce que des millions d’autres ont été empêchés de faire, Jean-Pierre Milovanoff livre un témoignage bouleversant sur l’humanité et la honte.

Terreur grande de Jean-Pierre Milovanoff
Roman Grasset.
Mars 2011.
173 pages.

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