Anne Vallaeys : une pérégrination en domaine sensible
Par Stéphanie Hochet – BSCNEWS.FR / Après le très remarqué Dieulefit ou le miracle du silence, la romancière Anne Vallaeys enquête sur une des figures qui marqua la vie artistique de l’entre-deux guerre.
Né en 1907, Edward James fait partie de ces fous qui ont connu des génies : Magritte, Dali, Kurt Weil, Berthold Brecht, etc., mais que le grand public ne connait pas.
Edward James apparaît dans deux tableaux de Magritte où l’on n’aperçoit pas son visage : Reproduction interdite et Principe de plaisir. Pour la narratrice, c’est le début d’une fascination : Si le modèle peint, ne serait-ce qu’un instant, avait voulu se retourner, j’aurais lu, j’en étais certaine, un sourire démentant l’insondable tristesse de ce dos. Les fascinations peuvent devenir des invitations au voyage, la narratrice du livre d’Anne Vallaeys part sur les traces de ce mystérieux personnage, dandy anglais ayant hérité une fortune considérable d’un oncle d’Amérique (comme dans les contes), dilettante, poète à ses heures, il publia plusieurs recueils de poésie assez bien reçus par la presse, amoureux des arts et des artistes, il s’illustra comme mécène auprès de grands peintres pris dans des difficultés financières… Ami de Marie-Laure de Noailles, il sympathisa avec Berthold Brecht et Kurt Weil qui mit en musique certains de ses vers, plus tard, il discuta art avec Nicky de Saint-Phalle. Une vie d’aventures dont sa vie amoureuse n’était pas exempte. Homosexuel, il tombe amoureux d’une danseuse qu’il épouse et qui lui fait vivre un enfer, divorce. Une vie dorée, chez les puissants du monde…qui se termina à Xilitla (« le pays où naissent les escargots »), au fin fond de la jungle mexicaine. « Edward, voyage dans mon voyage » soupire la narratrice.
Sans doute ce livre n’est-il pas un roman mais un récit où l’auteur converse avec l’aristocrate dilettante. Suivre les traces d’un personnage aussi farfelu, c’est aussi accepter de se perdre dans un endroit qui vous perturbe les sens, un endroit où la réalité se transforme, comme dans le tableau de Dali où les reflets des éléphants se désaltérant dans un lac sont des cygnes. Dans la jungle de minuscules perroquets poussent des cris de lavandières et ce que vous croyiez être des paillettes jetées sur votre peau sont en fait des papillons. Jeu d’être et de paraître qui fut la personnalité même d’Edward James, millionnaire en mal d’amour et de reconnaissance qui finit par construire un palais des courants d’air, sorte de ville démente au milieu d’une forêt tropicale. Hommage, certainement, ce texte est une pérégrination en domaine sensible.
Edward dans sa jungle, d’Anne Vallaeys
Roman Editions Fayard Janvier 2011.
324 pages.