Lostfish

Lostfish offre à Alice un visage de porcelaine ravissant

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Partagez l'article ! Interview de Lostfish/ Propos recueillis par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA/ Illustrations de Lostfish/ Lostfish, vous êtes un poisson perdu ? Je suis un poisson qui cherche son chemin, nage souvent en sens inverse ou en eaux troubles, en essayant d’éviter les hameçons ! Autodidacte, qu’est-ce qui vous a poussé au dessin? Avez-vous des […]

propos recueillis par

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Interview de Lostfish/ Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA/ Illustrations de Lostfish/

Lostfish, vous êtes un poisson perdu ?

Je suis un poisson qui cherche son chemin, nage souvent en sens inverse ou en eaux troubles, en essayant d’éviter les hameçons !

Autodidacte, qu’est-ce qui vous a poussé au dessin? Avez-vous des références iconographiques à nous citer?

Je dessine depuis toujours, toute petite j’étais déjà une grande admiratrice de Jean-Auguste-Dominique Ingres et Jérôme Bosch qui sont restés mes deux grandes références artistiques. En parallèle, j’ai toujours eu des gouts affirmés pour l’insolite, les vanités, trompes l’oeil et autres « curiosités », et même l’iconographie religieuse que je trouve esthétiquement et symboliquement aussi fascinante qu’inquiétante. J’ai commencé à réellement dessiner en amateur vers l’âge de 17 ans, essayant de trouver une façon d’associer mes gouts pour la peinture « classique » aux techniques modernes d’infographie, et étrangement, à mes nouvelles influences davantage punk/fetish acquises à l’adolescence. J’ai fait mon petit chemin en amateur avec de l’auto production avant de trouver la chance de faire de l’illustration mon métier.
Vous pratiquez la peinture digitale….pouvez-vous expliquer à nos lecteurs en quoi consiste cette technique picturale? Je travaille sur ordinateur, avec un programme de peinture digitale et une tablette graphique qui me permet de dessiner à l’écran comme avec un crayon sur une feuille. Ma technique se rapproche énormément de la peinture traditionnelle, je pose les couleurs, les mélange entre elles, trace les contours des personnages et autres éléments de l’image. Au final tout est fait « au pinceau », car je n’utilise aucun autre outil numérique du type dégradés automatiques ou autres filtres numériques. Pour ces raisons, je trouve le terme « peinture digitale » parfaitement approprié à ce type de technique.
Êtes-vous une artiste de votre temps, férue des possibilités extraordinaires qu’offrent les nouvelles technologies ou reprenez-vous parfois pinceaux, crayons etc….? Au début des années 2000 je me suis prise de passion pour l’art numérique, l’ordinateur offrait de nouvelles possibilités quasi infinies, c’est donc l’outil que j’ai choisi et que j’utilise depuis mes débuts. Je pense qu’il est naturel qu’après 10 ans, la tendance commence à s’inverser, et je ressens à présent le besoin de reprendre les pinceaux. Même si l’illustration numérique fera toujours partie de ma vie, le monde actuel est de plus en plus virtuel, et nous fait parfois perdre le contact avec la réalité, le besoin de contact avec la matière reprend alors toute son importance. Dans l’idéal, je souhaiterais donc prendre le temps de m’essayer à la peinture traditionnelle, sans oublier pour autant mon outil de prédilection.
Après de nombreuses représentations d’Alice en 2010, de Rebecca Dautremer à Tim Burton, de François Amoretti à Xavier Collette ( etc….), n’a-t-il pas été difficile de trouver votre propre représentation de la jeune fille? Oui et non, car j’ai fait le choix assez extrême de me couper du monde pour faire ce livre. Je ne souhaitais pas avoir d’influences associées à d’autres Alices existantes, et j’ai donc mis beaucoup de mon univers personnel dans chaque image, en essayant, narrativement parlant, de coller au mieux aux textes de Lewis Carroll qui laissent en contre partie une grande liberté esthétique. A présent, je suis heureuse de voir que tous les projets autour d’Alice sont tous très différents, et reflètent bien l’univers personnel des artistes qui les ont illustrés, comme si chacun nous invitait dans un nouveau rêve intimiste.
Qui est Alice pour Lostfish?Alice par Lostfish Dans les faits, une jeune fille considérée par les adultes comme un peu trop curieuse et un peu trop indisciplinée, qui cherche sa place dans un monde qu’elle ne comprend pas. Elle se perd dans un rêve qui reflète sans doute ses propres inquiétudes. A mes yeux, elle est l’image de l’enfant qui vit encore en nous, adultes, et qui cherche à survivre.
Comment est née votre représentation d’Alice? Avez-vous d’abord imaginé son visage, ses tenues, ses moues ou….? Alice et l’univers qui lui est rattaché ont toujours eu une grande importance dans mon travail, j’ai souvent travaillé sur des projets sur ce thème, donc elle était déjà bien existante en moi. Physiquement, pour cette version, je l’ai voulue assez proche d’Alice Liddell qui a en grande partie inspiré Lewis Carroll, brune, la coupe au carré, et le regard perçant. Je porte une attention spéciale aux attitudes et aux émotions, que j’ai travaillées au cas par cas au fil des images. Pour le reste, elle est une petite fille typiquement sortie de mon univers, ses vêtements changent au cours de son aventure, elle porte des chapeaux et chaussures librement inspirés de l’époque victorienne, mais avec un élément toujours présent, qui est le coeur qu’elle porte à la ceinture.
Trevor Brown vous a offert une dédicace poétique charmante…pourquoi a-t-il été l’auteur de la préface? Trevor Brown est sans doute mon artiste contemporain préféré, j’admire beaucoup son talent bien sûr, mais aussi sa force de caractère, je dirais qu’il ne fait jamais les choses « à moitié ». Il a par ailleurs illustré à la perfection sa version d’Alice, et j’avais déjà eu quelques contacts avec lui à ce sujet. C’est vraiment un grand honneur d’avoir eu une si belle préface pour mon premier livre, j’en suis encore très émue.
Vos personnages semblent en porcelaine, ils en ont la blancheur laiteuse et les rondeurs, non? Vous vouliez montrer un univers de poupées? L’autre côté du miroir n’est-il qu’un monde d’illusion, désincarné? Le symbole de la poupée est un de mes thèmes de prédilection, j’en égrène des détails partout où je peux: mains, yeux, visages… les poupées sont des coquilles vides, représentations humaines au regard fixe et lointain, comme si leur vie se passait ailleurs; elles sont la perfection et la beauté figées pour l’éternité, je pense que c’est cette vision également assez macabre qui met mal à l’aise tant de personnes, je les trouve très intéressantes. Le rêve quant à lui est le reflet déformé de nos espoirs, de nos fantaisies et de nos craintes et les poupées y trouvent bien leur place. Elles sont aussi, bien sûr, un parfait symbole de l’enfance.
Vos illustrations jouent avec des touches de rouge fluorescent qui colorent les pommettes, les nez et les yeux et les genoux des personnages : pourquoi? Pour jouer sur la transparence et la fragilité de la peau: mes personnages ont la peau très claire, ils ont besoin d’une touche de « vie » pour les animer. Cela ajoute aussi ce coté poupée antique qui me tient à coeur… une fragilité et une candeur aussi.
En quelques mots, comment résumeriez-vous De l’Autre Côté du Miroir? Un voyage, une évasion, une partie de vie aux règles réinventées, aux nombreuses rencontres déroutantes et créatures oniriques, entre rêve et cauchemar.
Alice - A travers le miroirDe l’autre côté du miroir est construit sur l’idée d’une partie d’échecs, comment avez-vous choisi de représenter cette idée-là? Sur l’échiquier géant, les pièces et pions sont des personnages taille réelle, et le monde qui s’étend devant Alice est le terrain de jeu. J’ai choisi de respecter les couleurs de chaque personnage, et certains détails qui rappellent leur appartenance à un « camp » mais, pour ne pas alourdir trop le tout, les motifs damier et autres références aux échecs sont présents seulement en introduction, avant le début de la partie.
« Est-ce que toutes les fleurs peuvent parler? » demande Alice…dans quelle mesure, selon vous, Lewis Carroll avait le génie de savoir exprimer toutes les rêveries enfantines? Lewis Carroll a le don de nous mettre dans le doute, de réduire à néant nos certitudes, et de nous placer en équilibre sur un fil, je le vois comme ça; il brise les rythmes, destructure les mots, les règles et les actions, chaque nouvelle page est une surprise, comme dans un rêve, on passe d’un lieu à un autre sans savoir comment, on parle à des fleurs, des monstres, des inconnus sans savoir pourquoi. L’enfant a l’imagination pour rêver éveillé, Lewis Carroll avait le don d’écrire des rêves.
On dit d’ailleurs souvent que ses textes s’adressaient davantage aux adultes… pourtant….les enfants ne peuvent-ils pas, selon vous, être sensibles à son univers? Je pense que les enfants voient tout simplement les textes de Carroll d’une façon beaucoup plus simple et naturelle, le monde est encore mystérieux pour eux, ils n’ont pas encore de certitudes aussi fondées que celles des adultes, pour eux tout est encore possible. Les fleurs et les animaux parlent, Alice rencontre des reines, des rois et des chevaliers, tout est là pour émerveiller les enfants, pour ceux qui n’ont pas grandi trop vite en tout cas.
Ne peut-on pas dire que l’adulte sera effrayé davantage par cette aventure et y verra des situations plus étranges et plus troublantes qu’un enfant qui ne perçoit pas l’ambivalence des êtres et des situations? Avez-vous cherché à ce que vos images puissent avoir une double lecture? Je pense sincèrement que cette histoire s’adresse à tous ceux qui aiment rêver, quel que soit leur âge. On me pose souvent la question de savoir si mes images ne sont pas trop dérangeantes pour des enfants, je ne les ai pas faites dans cette optique là, je joue beaucoup sur les situations inquiétantes et sur la sensualité, mais avec une certaine innocence, à mes yeux du moins… comme j’en ai déjà parlé, les adultes ont des certitudes, souvent infondées, que les enfants n’ont pas encore, et ils n’ont pas encore non plus la perversion de voir le mal où il n’y en a pas. Carroll joue beaucoup sur la double lecture de ses textes, c’est quelque chose que j’affectionne aussi beaucoup. J’espère que les enfants s’amuseront et se feront parfois peur (les contes de fée servent aussi à ça) et que ceux qui ont gardé une part d’enfance percevront la douce sensualité que j’ai essayé de transcrire, et que les adultes confirmés réfléchiront aux raisons de leurs craintes.
La reine rouge « appartient à une espèce épineuse » dit la rose à Alice…pourtant votre Reine n’a pas d’épine autour de la tête mais des seins fiers qui se dressent au dessus de son corset, vouliez-vous donner une image sensuelle à cette Reine rouge? La Reine Rouge est très sensuelle, elle est en effet le personnage le plus « épineux » de l’histoire, elle gouverne, dicte, ordonne, mais comme tous les personnages du monde du miroir, elle n’est ni gentille ni méchante. Même si elle reste très autoritaire, c’est aussi un des personnages qui aide le plus Alice. Je la vois comme un professeur, qui tient son sceptre comme une règle, prête à vous taper les doigts à la moindre occasion, elle est fière, sûre d’elle, et aime le montrer.
Est-il réjouissant pour une illustratrice de dessiner des êtres « monstrueux » comme les insectes du miroir : l’abeille éléphant ou la Mouche à chevaux? Le texte de Lewis Carroll est-il un support qui vous charmait par ses multiples expressions oniriques? Parfaitement, j’ai pris un immense plaisir à dessiner les insectes, j’en ai d’ailleurs ajouté certains, comme les petits oiseaux-mouches, et transformé certains objets en animaux. Tout dans les voyages d’Alice est « vivant », les objets, les plantes, les gâteaux, et on se prend très vite au jeu de vouloir tout animer, jusqu’aux couverts et à la nappe de la table. Carroll est un maître des détails, tous ses petits objets me fascinent encore plus que les personnages eux-mêmes, dans la vie de tous les jours, il suffit parfois de voir une clef ou une tasse de thé pour se retrouver plongé dans son univers.
Comment est né par exemple l’oeuf de Pâques embryon? Comme dans Alice au pays des merveilles, les personnages grandissent et rétrécissent aussi de l’autre coté du miroir, l’oeuf n’est qu’un oeuf avant de grandir et de prendre forme « humanoïde » lui aussi, c’est donc naturellement que je l’ai imaginé en embryon. Pour le décorer un peu, j’ai décidé de lui faire des tatouages d’inspiration old school, avec étoiles nautiques et ancres marines qui sont un rappel inconscient aux comptines aquatiques de ce second voyage d’Alice.
Bonnet blanc et Blanc Bonnet mais également le chapelier fou ont des airs cadavériques…pourquoi? Bonnet Blanc et Blanc Bonnet sont des personnages assez inquiétants, ils sont semblables à des personnages de cire, avec le Chapelier Fou, qui sort juste d’une mauvaise passe et ce sont aussi tous les trois des pièces blanches sur l’échiquier. D’un point de vue esthétique, j’ai représenté les personnages blancs de façon beaucoup plus diaphane, voir fantomatique en général. J’ai aussi remarqué que les pièces blanches ont tendance à être plus dramatiques que les rouges, la Reine blanche par exemple à certains soucis psychologiques assez inquiétants!
« Confiture demain et confiture hier….mais jamais de confiture aujourd’hui » affirme la Reine blanche…le dessin s’accommode-t-il à ce monde sans logique ? Illustrer le texte de Carroll de façon purement narrative n’est pas la meilleure solution car il est assez déroutant. J’ai donc essayé de jouer sur les métaphores pour me sortir de certaines situations délicates comme celle-ci, par exemple avec une des images finales qui se rapproche plus d’une représentation religieuse que d’une scène narrative, ou encore en me concentrant sur les détails, comme les biscuits secs que donne la Reine Rouge à Alice. Cependant, j’ai parfois pris Carroll au pied de la lettre , avec un très grand amusement, notamment avec un portrait d’Alice à la symétrie quelque peu erronnée.
Enfin, comme Alice, étiez-vous une petite fille perdue dans ses divagations chimériques? Comme Alice, j’étais une petite fille qui s’ennuyait beaucoup à l’école, et qui préférait dessiner des animaux, parler aux fleurs, dormir dans les arbres et… lire de gros livres de sciences… mais les étoiles aussi savent faire rêver !

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