Charlotte Gastaut: le foisonnement souriant
Propos recueillis par Julie Cadilhac– PUTSCH.MEDIA / Photo Pascal BastienSon dernier album « Le voyage de Mademoiselle Prudence » fait l’effet d’un coup de foudre. Un livre qu’à trente ans passés, on garderait bien près de son coeur comme un cadeau tombé du ciel: « Non, je ne te le prête pas d’abord!!!!' ». Espièglerie et créativité, propension délicieuse à glisser dans l’imaginaire, profusion de couleurs, voilà quelques ingrédients attrayants qui ponctuent les albums jeunesse de l’artiste. Charlotte Gastaut se lit avec le sourire, c’est toute la clé de son succès. Entreprendre une collection de ses ouvrages est tout simplement une démarche à la fois de sagesse et de goût et en offrir est un gage d’amour à perpétuité. Petits et grands piocheront dans son répertoire de quoi pimenter leur imagination et faire rayonner leur journée. Pensez donc! Avec Charlotte, vous pouvez faire de votre lit une Arche de Noé, devenir une superhéroïne pleine de Lulusion délicieuse, vagabonder au creux des lettres pour progresser vers le pays magique des histoires, redécouvrir Cendrillon, L’Odyssée d’Ulysse, la Belle au Bois Dormant! Alors, oui, forcément, on avait envie d’en savoir un peu plus Charlotte Gastaut ! Rencontre pour vous en mots et en dessins!
Votre carrière a débuté dans la presse féminine?
Oui, dans BIBA entre autres.
Croquiez-vous déjà des petites filles espiègles ou davantage des jeunes femmes et leurs déboires sentimentaux? Absolument pas. Je me dessinais moi dans les situations que l’on me proposait. Je n’ai jamais été attirée par les déboires sentimentaux et la vie des femmes actives. On n’était pas encore à l’époque où le quotidien était raconté à tord et à travers.
Vous avez étudié à l’ESAG : quels enseignements vous y ont été dispensés? J’y ai appris, le graphisme, la photo, le dessin, la typographie, l’illustration. Je n’ai rien retenu à part cette dernière.
Lorsque l’on apprend à dessiner dans un cadre scolaire, s’exerce-t-on d’abord à l’imitation, à la reproduction d’oeuvres ? On n’apprend pas l’imitation. On apprend le croquis de nu, les ronde-bosse, le dessin académique. On apprend à dessiner, à être à l’aise. On n’apprend pas à recopier des oeuvres déjà existantes. On apprend les proportions, les valeurs, et à trouver notre propre expression. Ensuite on apprend les différentes techniques avec entre autre le dessin analytique pour connaitre les couleurs et le traitement de matière.
Quelles sont vos références picturales? Certains peintres ont-ils influencé votre trait? J’en ai tellement. On me parle souvent de Klimt, qui effectivement m’ a beaucoup marqué adolescente. Mais les peintres ne m’influencent pas, non. Les illustrateurs de mon enfance oui ! Je revendique haut et fort Kay Nielsen, Elsa Beswkov, Tove Jansson, John Bauer, Astrid Lindgren et les illustrations de Ingrid Van Nyman : toute mon « Ecole Nordique ». Aussi Aubrey Beardsley (mais comme il est anglais je le mets à part) !! Ensuite viennent les contemporains Tomi Ungerer, Kitty Crowther, Alexis Deacon, Rémy Wyart, Grégoire Solotareff, Alain Le Saux, Janosch, Ilya Green, Beatrice Alemagna qui m’émeuvent énormément.
Petite, que lisiez-vous? Votre définition du livre serait-elle: passeport pour l’évasion ou invitation au voyage? Invitation au voyage : Les Mille et une nuits avec mon père, Fifi Brindacier, Mumin et tous les Elsa Beskow avec ma grand mère Suédoise.
Vous avez illustré plusieurs contes classiques: beaucoup d’illustrateurs s’étaient donc déjà, bien avant vous, penchés sur certaines histoires que vous alliez représenter. Comment éviter d’être influencée? Comment empêcher l’écueil des redites? Comme on grandit avec ces classiques, on ne peut pas vraiment être influencé, on les a digérés depuis bien longtemps. Je suis influencée par le silence et l’immobilité des grands Illustrateurs cités précédemment. Je dédicace Les Fées à John Bauer comme j’aurais pu le dédicacer à K. Nielsen car ils font partie intégrante de mon imaginaire, de mon travail et de ma vie.
Dans votre Cendrillon, les jupons ont une présence charismatique impressionnante…est-ce parce qu’enfant, vous rêviez de jolies robes? Absolument pas. Les grande robes très larges, c’est pour leur donner une présence. Pour qu’on les voie. Elles sont si fragiles ces pauvres princesses… Elles ont besoin d’être soutenues et harnachées pour faire face à tout ce qui leur arrive….
Dans le plus beau des trésors, un conte malgache, vous mélangez couleurs et noir et blanc? Pourquoi? Pour ne pas m’ennuyer quand je travaille. Je suis très impatiente. Et le noir et blanc me fait beaucoup de bien. C’est une respiration au milieu de la couleur.
Lorsqu’on dessine pour les enfants aujourd’hui, ne crée-t-on pas aussi pour les parents? Ne doit-on pas séduire aussi l’adulte par l’originalité et la fraîcheur de son trait? Je ne crois pas. Je ne pense absolument pas aux parents, ni à séduire.
Mademoiselle Prudence est-elle l’incarnation d’une petite fille que vous connaissez bien? C’est ma fille. Et ce livre est pour elle. C’est une demande de pardon. D’avoir trop exigé d’elle. D’oublier parfois le rêve. La liberté que les enfants, surtout les premiers, répriment pour contenter la grande fierté des parents. On veut tout trop vite de nos enfants. J’ai très peur de l’avoir brimée petite en exigeant trop. Je voulais lui montrer que je ne voulais que son bonheur. Sa liberté.
Comment vous est venue l’idée d’utiliser dans cet album d’autres matières que le papier? J’ai eu une carte blanche de la part de Flammarion et je voulais le rêve… Les découpes, la transparence amènent du rêve. Mais il n’y a que du papier dans ce livre.
Cet album cherche à éveiller non seulement le plaisir visuel mais celui du toucher également…à quand un ouvrage qui associerait aussi l’ouïe ou l’odorat par exemple? Je ne sais pas, quand une idée viendra.
Mademoiselle Prudence est le premier album que vous réalisez toute seule? Oui. Je n’aurais jamais pensé le faire par moi même. C’est vraiment quand Hélène Wadowsky et Charlotte Moundlic m’ont proposé cette carte blanche que j’ai osé me lancer dans cette aventure. Je ne pensais pas avoir la force d’écrire moi même.
Il semble, en regardant vos illustrations, que vous aimez jouer sur l’espace de la page…je me trompe? Vous aimez déjouer les additions de plans trop traditionnelles par exemple… J’aime le foisonnement. Ce livre sur l’imaginaire avait besoin d’être « plein » d’images. Pour l’histoire de plans : je n’ai aucune notion de perspective, je mets à plat tout ce que je veux montrer.
Dans Mademoiselle Prudence, l’enfant joue avec les lettres des mots…s’accroche à elles, les escalade….est-ce un fantasme d’illustrateur que de vouloir fondre le monde du texte et du dessin? Ce n’était pas un fantasme. Ces mots qui agressent Prudence devaient être dans l’image et non posés dessus. Ils sont son histoire, ils sont ceux qui l’amènent à s’enfuir dans le rêve pour supporter toutes ces obligations. Ils devaient faire partie de l’image et de l’histoire.
Dans Petite Lili dans son grand lit comme dans Mademoiselle Prudence, on retrouve l’univers onirique et l’espièglerie: est-ce deux éléments importants de votre imaginaire? Ils sont deux éléments indispensables à l’enfance.
Enfin, l’on trouve partout des petites choses parsemées sur chaque page…est-ce pour donner au lecteur le plaisir de découvrir à chaque lecture de nouvelles surprises? Est-ce parce qu’un livre pour enfants, contrairement à ceux consacrés aux adultes, est lu et relu sans cesse et qu’il faut donner matière s’extasier à répétition… Tout à fait. Surtout quand il n’y a pas de texte. Il faut pouvoir s’accrocher à chaque détail pour aller ailleurs à chaque lecture.
Enfin, un nouveau projet embryonnaire? Des projets en tant qu’illustratrice, j’en ai plusieurs. Qui m’enthousiasment beaucoup. Des projets en tant qu’auteur-illustrateur, je suis encore petite, je prends mon temps. On verra.