Philippe Lechermeier: le bonheur de grimper entre les lignes

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INTERVIEW PHILIPPE LECHERMEIER/ Propos recueillis par Julie CadilhacPUTSCH.MEDIA /

Philippe Lechermeier est un de ces auteurs talentueux qui réconcilient grands et petits avec le bonheur de grimper entre les lignes, d’escalader les histoires et de pique-niquer la tête dans les nuages avec des personnages croquignolets, farfelus, ogresques ou tant d’autres. Ecrivez et ouvrez plusieurs niveaux d »interprétation, assaisonnez cela d’une touche subtile d’humour, lissez le tout à la sauce poétique… Comment? c’est impossible? Voilà pourtant les ingrédients majeurs des récits de ce magicien qui n’oeuvre jamais seul et s’entoure de fées au pinceau éthéré qui achèvent de vous méduser…la suite de la balade avec ce Merlin des mots!

Enfant, lisiez-vous beaucoup d’histoires? J’ai toujours été un grand lecteur et le plus beau cadeau qu’on pouvait me faire, c’était de m’offrir des livres. Dans mon enfance, on ne manquait pas de livres mais ce n’était pas la profusion qu’on connaît aujourd’hui. Du coup, je lisais tout ce qui me passait par la main, le pire comme le meilleur, les ouvrages classiques comme les moins recommandables. Je me souviens également du jour où ma mère m’a emmené dans une bibliothèque pour la première fois : c’était comme si je pénétrais dans la caverne d’Ali Baba.
Quel conte en particulier vous fascinait ? Plusieurs textes m’attiraient singulièrement. D’abord les contes où la cruauté se manifestait de façon forte comme Le petit Poucet ou La Barbe bleue mais aussi des contes plus mélancoliques, tout particulièrement La Reine des neiges d’Andersen. Je me rappelle également le trouble que faisaient naître les versions tronquées des Mille et une nuits avec cet enchâssement vertigineux et labyrinthique des récits dont je devinais inconsciemment l’érotisme dissimulé sous une sensualité de façade.
Diriez-vous que vous écrivez pour les enfants car c’est un public qui autorise toutes les dérives de l’imagination? C’est une question difficile car je pense qu’il y a autant de lecteurs que d’enfants et j’aurais donc bien du mal à circonscrire ce qui les intéresse en fonction des différentes catégories d’âge. On trouve des lecteurs boulimiques et exigeants dès l’âge de 6 ans, et d’autres plus âgés qui sont déjà rétifs à la lecture, et ceux encore qui papillonnent… Pour que le texte s’adresse à chacun d’entre eux, je pense qu’il y a un certain nombre de règles que je serais bien en peine de définir mais qu’il faut respecter sous peine de perdre l’équilibre et, comme en montagne, de « décrocher » et de lâcher son lecteur.
Avez-vous déjà composé pour un public adulte ? En fait, le livre jeunesse s’adresse aussi aux grands. Il est rare qu’un livre destiné aux enfants ne passe pas entre les mains des parents quand il n’est pas carrément lu avec eux ou par eux. Et c’est plutôt quelque chose qui m’amuse : ainsi, cela me fait plaisir d’imaginer qu’un album que j’ai écrit soit partagé par des personnes de générations différentes et que ce qui va faire sourire, rêver, pleurer les uns et les autres ne sera pas nécessairement le même passage du livre, la même phrase. Et j’aime aussi l’idée que ce qui plaira à mes plus jeunes lecteurs pourra varier au fur et à mesure qu’ils grandiront. Il me semble important qu’ils trouvent, à tous les âges, des choses différentes à picorer dans mes ouvrages. Donc la question du destinataire est contingente et, dans tous les cas elle ne préexiste jamais à l’écriture d’un texte. Je dirais éventuellement que ce sont mes histoires qui choisissent leur public bien plus que moi.
Vous définiriez-vous comme un poète ou comme un conteur? ou alors un aède comme aux temps ancestraux où toutes les histoires se racontaient en vers?Fil de fée Peut-être un peu tout ça à la fois… J’aime raconter des histoires, j’aime sentir l’attente du lecteur, le faire passer du rire à l’inquiétude, l’amener à s’interroger, à se questionner. Mais j’aime aussi l’émerveiller, et les images, la sonorité des mots, le rythme de mes phrases, participent à cet émerveillement, peut-être même à une forme d’engourdissement où parfois le sens des phrases peut se diluer dans la musique des mots.
Comment naît une histoire? Dans les choux, dans les roses, postée par une cigogne ou c’est le hasard du vent qui en dépose un petit bout devant votre palier et vous faîtes le reste? C’est la question fondamentale et mystérieuse de la création. Une histoire, cela peut partir de beaucoup de choses, d’un simple mot, d’une image ou d’un tableau, du geste de quelqu’un, d’un regard sombre, d’un papier qui s’envole. Ou encore de la réminiscence d’une histoire inscrite dans sa mémoire que le temps a déformée, que le souvenir a tronquée mais dont les fondations sont restées et sur lesquelles il ne reste plus qu’à construire un nouvel édifice.
Pensez-vous que vos tournures poétiques sont réellement à la portée du « petit public »? Quels retours avez-vous des parents ? Diriez-vous que vos histoires sont un prétexte à échanger entre adultes et enfants ? À priori, le vocabulaire que j’utilise, la construction de mes phrases, la structure de mes histoires m’éloigneraient plutôt du « petit public », mais le lien se fait grâce aux illustrations. Ce sont elles qui éclaircissent ce qui peut sembler parfois énigmatique dans le texte et qui me permettent de privilégier le style à la clarté. Les images suscitées par mes textes sont le meilleur moyen, quand on n’a pas les mots, de découvrir le monde que j’ai imaginé. Ensuite, un des ressorts qui motive mon écriture et le choix des illustrateurs, c’est le désir de créer des livres avec lesquels on peut grandir. Je me souviens ainsi d’un salon du livre où j’avais dédicacé pour la première fois mon album Princesses oubliées ou inconnues au moment de sa sortie, et dans lequel je me suis retrouvé quelques années plus tard. J’y ai croisé une jeune lectrice venue me voir pour me parler de la relation qu’elle avait avec ce livre : elle s’émerveillait, alors qu’on le lui avait offert enfant de toujours avoir du plaisir à le lire et de découvrir des subtilités dans le texte où le dessin à côté desquelles elle était passée quelques années auparavant. Enfin, j’espère qu’un livre n’est pas une télévision qu’on laisserait allumée et devant laquelle on installerait un enfant pour être tranquille. Je ne connais pas de plus beaux moments d’échanges entre l’adulte et l’enfant que celui, où l’un par sa fraîcheur et l’autre par ses connaissances, va nourrir l’imaginaire de l’autre.
Vous vous êtes adonné à la réécriture d’un conte classique : Le petit poucet. Comment avez-vous entrepris cette démarche? Y avait-il des écueils que vous vous interdisiez ? Plus qu’une réécriture, cela a été pour moi aussi l’occasion d’écrire d’autres histoires en plus de celle du petit Poucet. Et paradoxalement, le fait de pouvoir se reposer sur la structure d’un conte connu par tous m’a laissé complètement libre puisque je n’avais pas à me préoccuper de la compréhension de l’ensemble : chacune des scènes célèbres permet au lecteur de retrouver le fil, de suivre les cailloux blancs et moi, de retomber sur mes pieds, ou dans mes bottes (de sept lieues), c’est selon ! Du coup, cela m’a permis de rentrer dans l’intimité d’un personnage assez stéréotypé et de lui imaginer un caractère, une sensibilité, des secrets à partager avec les lecteurs.
PrincessesVotre livre Princesses oubliées ou inconnues, illustré par Rebecca Dautremer, a remporté ( et à juste titre) beaucoup de succès: l’humour est-il la clé de son succès? L’humour, sans doute, mais aussi sa place par rapport aux ouvrages qui traitaient du même thème. La princesse, hormis dans les contes de fées, était souvent traitée avec mièvrerie et donnait lieu à des albums sucrés, d’un goût esthétique douteux et véhiculant des valeurs morales très rétrogrades. La seule alternative à ce modèle se trouvait dans des livres qui prenaient le contre-pied systématique en s’exprimant dans une veine parodique. Princesses Oubliées ou inconnues, autant par les textes que par les illustrations, se situe ailleurs et c’est sans doute ce qui explique son succès : l’humour y est présent mais la poésie et une tonalité parfois nostalgique s’y côtoient également et font que le livre évite un certain nombre de clichés ou s’en amuse en les détournant.
Tous les contes de fée s’écrivent sur le même modèle, ce fameux schéma narratif que l’on étudie en sixième; alors, cherchez-vous justement à moderniser le conte en rendant les personnages moins lisses et en vous écartant de l’histoire pour vous pencher sur les portraits fantaisistes de héros jusque là négligés? C’est vrai que la structure des contes que l’on doit à Vladimir Propp peut être parfois sclérosante et je suis loin d’être le seul auteur à chercher à m’en défaire. Dans mon recueil de nouvelles Petites Frictions et autres histoires courtes, je m’amuse d’ailleurs à écrire des récits sans passer par les contraintes du texte narratif mais en utilisant des formes à priori non littéraires : règlement intérieur, fiche d’état-civil, livre d’or… Dans Princesses oubliées ou inconnues, c’est le texte descriptif qui me sert de moteur. J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à lire Les Caractères de La Bruyère et j’avais envie d’utiliser cette forme pour créer un univers. En même temps, l’accumulation de ces portraits, les relations qu’entretiennent les personnages et l’arrière-fond des contes de fées traditionnels que j’utilise comme substrat font que le livre dépasse la pure description pour faire naître en creux toute une série d’histoires.
Dans Le Manteau rouge, vous jouez avec le mythe du père Noël. Imaginiez-vous déjà les grands personnages conçus par Elodie Nouhen ? Ne se produit-il pas parfois une gêne entre les deux représentations de l’histoire, celle du texte et celle de l’illustration, qui s’affrontent sur la page? Y a-t-il des moments d’harmonisation ou diriez-vous que c’est justement la rencontre des deux univers qui crée, finalement, la magie de l’album? L’idéal, pour un album, c’est quand deux univers s’assemblent et que cette rencontre dépasse la simple addition d’un auteur et d’un illustrateur pour proposer au lecteur un autre univers qu’aucun des deux acteurs n’aurait pu inventer sans l’autre. C’est pour moi à chaque fois le but à atteindre et je ne procède pas de la même manière avec chaque illustrateur, cela dépend de leur personnalité et de leurs envies. Certains aiment les moments d’échange et une partie de l’album qui s’élabore peut alors s’enrichir de cet échange. C’est le cas avec Rébecca Dautremer, où sans empiéter sur le travail de l’autre, nous aimons bien évoquer ensemble la forme que prendra notre ouvrage et l’interaction entre mon texte et ses illustrations. D’autres illustrateurs préfèrent éviter cet échange et c’est un point que je respecte entièrement. Généralement, après une ou deux illustrations « d’essai » qui permettent de voir si nous sommes d’accord, ils travaillent seuls et je découvre leur travail par la suite, au fur et à mesure de la création. Je crois que tout ceci est une question de personnalité et la deuxième méthode n’est pas forcément moins bonne. Dans Le manteau rouge les deux cas, c’est une question de confiance, ce qui compte, c’est le respect de l’autre, de son travail, de son univers et c’est toujours fragile : comment se l’approprier sans le dénaturer ? La frontière est mince, mouvante, fluctuante et il arrive que l’alchimie ne se fasse pas.
« La magie, la sorcellerie, c’est un peu comme la poésie », voilà le secret de vos belles histoires ? Je crois beaucoup au pouvoir des mots et je considère une phrase réussie comme une sorte de formule magique. Mots d’amours, mots d’insultes, mots d’auteurs, ils possèdent le pouvoir d’agir sur l’autre ce qui est la première définition de la magie. En ce sens, oui, la poésie qui serait une combinaison inédite de mots, possède un pouvoir magique.
Lorsqu’on lit Fil de fée, on imagine des possibilités d’atelier d’écriture derrière les recettes de Philomène Filalaine: dans quelle mesure l’expérience professorale influence votre écriture ? Dans la série de mes ouvrages que j’appelle mes « encyclopédies poétiques », (Princesses Oubliées ou inconnues, Graines de cabanes, Fil de fées ) j’aime l’idée du « livre graine » qui porterait en lui la possibilité d’une multitude d’autres livres. Aussi, je sème dans mes livres des objets qui n’existent pas, des musées imaginaires, des lettres qui ne sont pas encore écrites, autant de prétextes qui serviront peut-être à d’autres textes. À chaque fois, je m’émerveille comme le jardinier qui découvre un nouveau bourgeon, quand les lecteurs, petits et grands m’envoient les textes qui ont poussé sur mes histoires.
Enfin, quelle jolie phrase de votre narrateur complice accrocheriez-vous sur votre porte d’entrée ? « Les flaques d’eau sont les miroirs des oiseaux (et ils passent et repassent pour voir comme ils sont beaux) » in Fil de Fée.

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