Un été de toutes les lectures d’Emmanuelle de Boysson
Par Emmanuelle De Boysson – BSCNEWS.FR / Les sables du Jubaland, de Yann Queffélec, (éd Plon, 20 E). Queffélec l’admirable a toujours aimé les aventuriers, les pirates. Sa plume l’emporte en Somalie où, depuis le passage du tsunami en 2004, une bande de jeunes livrés à eux-mêmes vit sur une plage du Jubaland. Raf et Zou, frères ennemis, sont chefs de clans rivaux. Ils aiment Tiana, l’infirmière qui voudrait accoucher en France. Pour elle, Zou s’apprête à aborder un des cargos européens qui vident de leurs les poissons les eaux territoriales. Mais où trouver six cents dollars pour le passeur ? Un grand roman sur les oubliés où Queffélec dénonce le néocolonialisme rampant. Une histoire d’amour tendre et impossible illumine ce thriller qui vous tient en haleine.
Ah si j’étais goy ! de Catherine Fuhg, (éd. Plon, 18, 50 E).
Elevée à la sauce gaucho, trois fois divorcée, fumeuse et farouchement mécréante, Déborah n’est pas kasher pour un sou. Elle allume la lumière pendant Shabbat, mange du porc, se rebaptise Véronique. Un beau matin, ses quatre enfants se liguent pour imposer Kippour à celle qui ne pardonne rien. Panique à bord. Conseils de famille pour savoir si on s’enfilera des côtelettes à dîner, invention d’une «mère Hanouka» à la place du père Noël, Débo-Véro découvre qu’échapper à son identité, c’est mission impossible. Ces tribulations d’une mère juive survoltée sont une merveille de tendresse, de drôlerie, de naturel et feraient un téléfilm plus croustillant qu’un strudel.
Fruits & légumes, d’Anthony Palou, éd. Albin Michel, 14 E.
Dix ans après Camille (Prix Décembre 2000), Anthony Palou publie Fruits et légumes, un roman poétique, tendre et triste à la fois, où il évoque par touches impressionnistes ses souvenirs d’enfance. Son grand-père, Antonio Pablo Luna Coll, un Espagnol de Majorque, 1, 83 mètre, 85 kilos, a déserté son île pour la France, en 1936, en pleine guerre civile. (Il a fait son service militaire sous les ordres de Franco qu’on appelait « Guignol »). Il monte à Quimper « il ne pouvait pas, suivant la carte, aller plus loin ». Il épouse une bretonne. « Elle bretonnait dans le vent, il catalanisait dans le vide ». Grâce à sa sope mallorquine, il se fait un nom aux halles de Quimper et devient « une sorte de légende locale, un héros exotique ». Au milieu des années 1960, son fils s’installe à ses côtés et ouvre sa petite entreprise de fruits et légumes. « Mon père eut préféré faire autre chose, mais quoi ? Il aimait les chevaux ». L’incendie des Halles et la déferlante des hyper marchés entraîne la faillite de ce petit commerce et l’arrivée des huissiers : Yves Jégoult (son fils s’est défenestré) et Robert Quintin (moustache affûtée). Le narrateur, alors petit garçon, ouvre la porte à Quintin « C’est à quel sujet ? », dit-il « pauvrement théâtral ». Une question élégante qui fait sourire et vous tord le ventre. Elle est à l’image de cette tragicomédie, condensé d’ironie, de réalisme, de drôlerie et d’émotion où les souvenirs en miettes ressemblent à des cartes postales. Palou ressuscite par les odeurs et les couleurs l’Espagne sans touristes ni constructions : « celle de la terre battue, des ânes, des Vespas, des tricycles à moteur… ». Il évoque la vie des anciennes Halles de Quimper, croque les petites gens avec la verve d’un Pagnol : les vieilles bretonnes, Marcel Le Corre, un mareyeur du Guilvinec dont « la grande gueule attirait le chaland » ou Jean-Pierre Le Guern, le charcutier « aux oreilles si décollées qu’on aurait cru qu’elles allaient tomber comme des feuilles d’artichaud trop cuit ». A la fin, les souvenirs disparaissent comme les couleurs du tableau du narrateur, peintre en bâtiment, s’effacent sous la bruine. « L’idée du tableau m’est venue en pensant aux Ménines de Diego Vélasquez, explique Anthony Palou. Il y a un tableau dans le tableau du couple royal de Vélasquez. Au fond, on reconnaît l’artiste. J’ai voulu introduire les regards de mon père et de mon grand-père dans la scène du tableau en noir et blanc, comme la toile de Picasso, Guernica, faite à partir d’une photo ». Proche de Perec, de Faulkner et de Joyce qui parlent aussi des petites gens, Palou est surtout l’héritier de Tchekhov pour sa bonté, sa simplicité : « Ce que j’aime chez lui, c’est la magie : il s’est inspiré de Lewis Carroll. La littérature, c’est sortir un lapin d’un chapeau ».