Interview d’Arthur de Pins.
Propos recueillis par Julie Cadilhac – PUTSCH.MEDIA/ illustrations : Arthur de Pins. Pulpeuses, colorées et pétillantes, les girls d’Arthur de Pins ne sont plus à présenter… Parées de folie pimpante et d’espièglerie coquine, elles électrisent les planches avec une pêche piquante à souhait. C’est aujourd’hui avec des monstres moins sexy mais tout aussi diablement drôles que le dessinateur s’octroie, dans Zombillénium, une aventure trépidante dans un parc d’attractions peu commun. Singulier autant que sympathique, Arthur de Pins devrait vous séduire autant que ses amazones contemporaines. Une interview à siroter au soleil!
Peut-on dire que vos sujets sont résolument féminins? Arthur de Pins aurait-il pu être une femme?
J’ai démarré, il y a six-sept ans, dans un magazine qui s’appelait Max et qui était plutôt destiné aux garçons et puis j’ai été embarqué dans l’aventure Fluide Glacial et le ton que j’ai choisi n’était pas tout à fait le même que ce que l’on pouvait trouver habituellement à l’époque dans Fluide. J’ai fait les deux premiers tomes tout seul et pour le troisième, j’ai fait appel à Maïa Mazaurette, qui elle est une femme, pour faire les scénarios et quant au quatrième qui va sortir bientôt, on a écrit les scénarios à deux.
Une touche d’érotisme qui cible un public féminin?
C’est vrai que ce n’est pas véritablement une BD érotique pour hommes – il n’y a pas de grandes blondes d’un mètre 90 avec une énorme poitrine mais ce n’est pas vraiment une BD érotique dans le sens qu’on achète pour se rincer l’oeil, c’est plutôt l’occasion de raconter des histoires de couples, de célibataires, de sexualité. Vos chutes sont espiègles et drôles : souhaitiez-vous ajouter à l’érotisme la note humoristique qui lui manque souvent? Ce qui est amusant, c’est que depuis la sortie de l’album érotique l’an dernier de ZEP, il y a beaucoup de journalistes qui m’ont interviewé par la même occasion et de mon côté, personnellement, je ne connais pas vraiment l’histoire de la BD érotique, évidemment je connais Manara et d’autres Bds érotiques des années 70 -80 mais elles n’ont pas du tout le même objectif que moi : ce sont des bandes dessinées dédiées aux hommes; l’objectif est d’exciter le lecteur et il n’y a pas vraiment de composantes humoristiques. Au cours de mes études d’illustration, j’étudiais soit le dessin pour enfants, soit le dessin de presse mais lorsque j’ai commencé à faire des couvertures de bouquins érotiques un peu rigolos, l’éditrice m’a expliqué que j’étais le seul à en faire et c’est vrai que dans les années 90, il y a eu un black out du dessin érotique en général. Alors j’emprunte à des dessinateurs comme Kiraz qui font à la fois du dessin sexy et humoristique. Niveau érotique, ce que je fais est très soft, c’est juste coquin. Dans chacun des Péchés Mignons, il n’y a qu’un tiers des planches où les personnages sont nus et ça ne parle pas que de sexe d’ailleurs. C’est une façon rigolote de représenter la sexualité avec des personnages mignons.
Pourquoi avoir opté pour la rondeur? Est-ce que les formes siéent davantage à votre trait ou est-ce une volonté de s’opposer au cliché idéal de la femme mince?
Ces personnages un peu ronds, je les ai créés il y a une dizaine d’années pour mon premier boulot : je travaillais pour une société de jeux vidéos et à l’époque on créait un jeu sur Internet – il n’y avait pas encore l’ADSL donc le jeu tenait dans une toute petite fenêtre. Mon rôle était de créer des personnages, des tribus et, parmi elles, j’avais créé une tribu d’amazones avec des petites femmes un peu rondes. Rondes aussi parce qu’il fallait qu’elles tiennent dans un petit carré sur l’écran et il fallait grossir les traits, grossir la tête etc…amazones qui, d’ailleurs, n’ont pas été retenues mais qui plaisaient beaucoup à mes collègues masculins! De plus, j’ai toujours aimé dessiner les femmes rondes. C’est le même principe que Betty Boop – c’est vrai que je la cite souvent comme référence – grosse tête, grosses hanches, gros yeux – mais elle est pour moi une manière de représenter la féminité. Certes, il m’arrive de temps en temps de dessiner des femmes minces, avec des proportions plus réalistes mais l’avantage de ces personnages ronds, c’est qu’en contrepartie on peut aborder des thèmes plus trash; c’est surtout le cas dans les deux derniers albums de Péchés Mignons – les personnages n’ont aucune moralité, ils peuvent se bourrer la gueule dans les bars, se taper une personne différente à chaque planche mais justement leur côté mignon fait que..ça passe, ça décomplexe un peu les gens, quoi.
Ce qui créé l’humour, ce sont les contradictions des personnages? Dans Péchés Mignons 3, par exemple, Clara est castratrice et sexuellement libérée et en même temps on sent bien qu’elle aimerait trouver, au fond, le prince charmant…
Tout à fait. C’est comme le héros qui s’appelle Arthur – je tiens à préciser que ce n’est pas moi qui l’ait nommé ainsi, c’était l’ancien rédacteur en chef du magazine pour me faire une blague et ça crée toujours une espèce de confusion – c’était donc déjà le cas avec Arthur. Pour le personnage de Clara, au début, je voulais faire le scénario moi-même, il fallait que ce soit une croqueuse d’hommes et j’ai commencé à écrire quelques scénarios dans l’album mais je ne me sentais pas à l’aise – peut-être tout simplement parce que je ne suis pas une femme et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré Maïa Mazaurette, qui est journaliste et qui écrit des ouvrages sur la sexualité et qui anime un blog assez lu sur Internet; j’ai apprécié son style, elle a tout a fait pigé l’esprit ; elle a fait un personnage qui a des contradictions . A la fois, Clara aime les hommes mais au fond d’elle-même, elle rêve du grand amour , même si elle ne se l’avoue pas et qu’elle va continuer à faire n’importe quoi.
Vous vous adonnez aussi au film d’animation…
En fait l’animation, c’est ce que je faisais à la base. J’ai fait plusieurs courts métrages et après j’ai un peu arrêté, parce que faire un court métrage d’animation, ça prend beaucoup de temps et que, même si c’est passionnant à faire, ça peut prendre un, deux ou trois ans et j’ai réalisé que ,pendant ce laps de temps, il est possible de faire cinq ou six BDs. Or la BD permet de raconter plus de choses, on dit souvent d’ailleurs que la BD, c’est le cinéma du pauvre. Faire un court-métrage, c’est trouver des producteurs, des financements, avoir de nombreux interlocuteurs,il y a plein d’allers retours, il faut constituer une équipe, ce n’est pas très spontané…et parfois certains commencent des films et, au bout de deux ans, ils ne sont déjà plus dedans alors qu’une BD nécessite simplement un éditeur : Boum un matin on s’y met et c’est beaucoup plus direct entre l’idée et le moment de lecture. C’est pour ça que je m’oriente plus vers la BD et d’ailleurs en novembre, sortira aussi une adaptation BD du dessin animé des crabes parce que j’ai prévu de faire une suite et j’ai décidé de la faire en BD. Autre avantage de la BD: le support soulève beaucoup moins de tabous et ce qui est agréable, c’est qu’on peut passer d’un éditeur à l’autre et donc d’un public à un autre, au gré de ses envies.
Dans Zombillénium, il y a un fil directeur, une continuité narrative que l’on ne trouvait pas dans Péchés mignons…
Oui, là, ça change, déjà puisque Zombillénium, c’est tout public, ça paraît dans Spirou. Il y a un côté un peu cynique, un peu noir et l’enjeu n’est pas du tout le même. C’est une série qui paraît dans le magazine, donc il faut trouver à chaque fois une sorte de rebond à la fin de chaque série de quatre planches.
Spirou et Fluide Glacial ne posent pas les mêmes contraintes?
La contrainte, chez Fluide Glacial, c’est qu’il faut être drôle, l’autre contrainte, c’est que, contrairement à Spirou, ils ne peuvent pas éditer d’histoire longue donc il faut que chaque planche se suffise à elle-même. Ces deux contraintes ne sont pas forcément évidentes parce qu’on finit par tourner en rond, surtout là, vis à vis d’une thème qui a été beaucoup exploité, la sexualité, et c’est dur de ne pas retomber dans les mêmes blagues. Alors que Zombillénium offre un univers qui est une porte ouverte à pleins de possibilités.
D’où est né Zombillénium et ses zombies? Est-ce parce que vous étiez las de brosser le quotidien?
Dans Péchés Mignons, on évoque le quotidien….même si tout ce qui arrive dedans n’est pas autobiographique! ( rires) ; j’y aborde la sexualité et des préoccupations que j’avais entre vingt et vingt-cinq ans. Après d’autres problématiques se sont greffées mais un trentenaire commence à avoir dans son entourage des amis qui ont des gamins, qui sont mariés et donc il n’a plus les mêmes problématiques ….et je sentais que ça commençait un peu à s’épuiser. Et puis, en même temps, j’ai toujours aimé le fantastique et depuis le lycée, j’avais envie de faire une grande saga avec des monstres et un jour, le rédac chef de Spirou m’avait demandé de faire une couverture pour Halloween et le résultat lui avait plu et c’est là qu’on lui a proposé de faire une série à partir des personnages que j’avais dessinés sur la couverture. Après j’ai commencé à développer l’univers, avec le parc d’attractions , le décor, le graphisme et je m’éclate à faire quelque chose dont j’avais envie depuis longtemps. J’y mélange le fantastique et un côté un peu réaliste : le paysage industriel, le côté très « corporate » de la hiérarchie de travail avec le patron, le DRH, les employés.. donc j’aborde à la fois le côté onirique et le côté « vie de tous les jours » représenté par le monde de l’entreprise. J’ai toujours besoin d’avoir un pied dans la réalité et c’est ce décalage que je trouve amusant. Il y a des monstres mais ils vivent comme nous, ils ont les mêmes problèmes que nous mais le but de Zombillénium n’est pas , avant tout, d’être humoristique, c’est une BD d’aventures. Le Tome I, c’est juste l’exposition, l’occasion de planter le décor et les personnages dont deux/ trois personnages qu’on reverra au fil des albums et chaque album va se centrer sur un des ces personnages, le premier c’est Gretchen et aussi Aurélien qui sert d’introduction au parc puisqu’on suit son parcours. Tout est basé sur les rapports entre les personnages, même si les personnages ne sont pas très démonstratifs et qu’il n’y a pas d’explosion de sentiments à la fin, ça reste…
… plus pudique?
C’est vrai que c’est finalement l’inverse de Péchés Mignons où l’on voyait le sexe tout le temps. Là, il y a juste quelques petites allusions. D’abord parce que ça paraît dans Spirou mais aussi parce que je voulais qu’il y ait une certaine froideur, que les personnages soient un peu réservés..
Des albums en préparation?
J’ai déjà commencé le Tome 2 de Zombillénium qui sortira dans un an et puis je vais travailler sur le tome 2 de la bande dessinée des crabes : le tome 1 qui sort en novembre reprend les mêmes idées que le court métrage, le tome 2 raconte par la suite ce qu’il se passe lorsque le petit crabe a changé de direction.
Après avoir peint les déboires des célibataires, le projet de caricaturer ceux des couples?
Oui, pourquoi pas! Je l’avais déjà un peu abordé dans le tome 2 mais là, pour le coup, il y a d’autres bandes dessinées de talent dont Max et Nina de Dodo et Ben Radis, qui paraissait dans l’Echo des Savanes,une BD où les personnages ont des têtes d’animaux: dans le tome 1, c’étaient les déboires sexuels, dans le tome 2, ils sont en couple et ainsi de suite jusqu’au mariage et aux enfants. Dans Péchés Mignons, on n’ira pas jusqu’au bébé, ça coincerait au niveau des proportions puisque les personnages eux-mêmes ont un peu des proportions de bébé et puis, je pense que les histoires marrantes sont plutôt à chercher du côté de la période célibataire que de la période du couple.
Pour finir, quelles références picturales et humoristiques ont influencé le trait d’Arthur de Pins?
Au niveau du graphisme, ma grande référence, c’est Kiraz, la seconde, c’est Monsieur Z qui est un ami illustrateur, premier à avoir utilisé le logiciel dont je me sers et qui se nomme Illustrator : logiciel de dessins sur ordinateur, assez particulier puisqu’il s’agit de dessiner des formes, de les découper et de les disposer les unes par rapport aux autres et qui permet aussi de dessiner sans avoir à tracer de trait autour de la couleur. C’est en découvrant son travail que j’ai décidé d’utiliser le même logiciel.