Propos recueillis par Julie Cadilhac – bscnews.fr / Jul est d’abord dessinateur de presse, révélateur graphique quotidien des misères et médiocrités de notre société. Révélé au monde de la bande dessinée avec son « Il faut tuer José Bové » qui raillait les altermondialistes, il a poursuivi sa production inspirée pour le plaisir de nos grognements de citoyen du monde agacé, de patriote malmené, d’employé insatisfait. Silex and the city, A bout de soufre sont autant d’ouvrages caricaturaux aux vertus revigorantes. L’interviewer est donc l’occasion de confronter deux métiers à part entière qui, si les enjeux convergent, nécessitent des techniques différentes. L’opportunité aussi de réaliser quant au dessin de presse , quelle puissance argumentative et quelle ampleur lui confèrent cette réputation légère, ce regard institutionnel permissif pour un genre qui se permet beaucoup plus que les mots et qu’on ne fait jouïssivement pas taire. Jul en BD, Jul en juillet, bulles d’été.
Les Editions Beaux Arts ont publié » Plantu et les 77 dessinateurs » dans lequel vous figurez comme un des caricaturistes qui « partent en résistance contre la bêtise ambiante », est-ce ainsi que vous définissez votre métier?
Ce n’est pas très éloigné de la vision que je peux en avoir : j’ai vraiment l’impression qu’en particulier dans ma partie « dessins de presse » puisque j’ai deux métiers, en fait, qui cohabitent et qui sont souvent différents, à savoir dessinateur de bandes dessinées et dessinateur de presse. En tant que dessinateur de presse, quand je commente l’actualité, que je fais des dessins sur ce qu’il se passe dans le monde, j’ai vraiment l’impression à la fois de me venger moi-même et de venger mes lecteurs de toutes sortes de choses qu’on subit en tant que consommateur, citoyen ou individu sur la planète: les guerres, les oppressions sociales, sur le lieu de travail par exemple, le bourrage de crâne médiatique sont des choses contre lesquelles je dessine, pour pouvoir respirer plus librement. Il y a une forme de résistance et à la fois ce n’est pas une résistance morbide mais joyeuse qui aide à vivre et donne envie de vivre. Dessinateur de presse est, en général, un métier qui part d’une matière très sombre, très noire mais qui est assez solaire en un sens. Y-a-t-il eu des dessinateurs qui vous ont donné envie de délaisser votre craie de professeur et d’appointer votre crayon? Ou, qu’est-ce qui, plus largement, vous a incité au changement? Je faisais déjà les deux avant mais c’est évident que, dans mon travail, j’ai été vraiment inspiré par de nombreux prédécesseurs – assez variés d’ailleurs – et les gens que j’admire le plus et qui m’ont donné envie de dessiner ne sont pas nécessairement des gens qui font des choses qui ressemblent à mon travail. Mais évidemment, étant petit, j’étais déjà un grand lecteur de bandes dessinées puis ensuite j’ai découvert l’univers satirique Hara- Kiri avec Raiser, j’étais aussi un grand lecteur de Gotlib et ces espèces de maîtres de l’humour ont pour moi beaucoup compté… Sempé également dans un autre style. Ensuite il y avait des gens dont j’appréciais plus particulièrement le travail dans les journaux – il ne s’agissait pas de les copier ou de faire la même chose – mais c’étaient des inspirateurs. Enfin, le pont entre la bande dessinée et le dessin de presse, je l’ai franchi grâce à Pétillon qui dessine au Canard Enchaîné avec son l’enquête corse, des albums comme ça : il était passé du dessin de presse à la bande dessinée de manière vraiment fantastique et pour moi, c’était une vraie référence. Donc aujourd’hui dans le travail que j’accomplis, c’est sûr qu’il y a un avant et un après Pétillon. « Il faut tuer José Bové » est né parce que j’avais lu L’enquête corse.
Diriez-vous que vous avez gardé de l’enseignement des réflexes pédagogiques, une volonté de clarté, de rigueur et d’éveil des consciences? Je ne suis pas très pédagogue, je pense, je préfère convaincre par la connivence, séduire par des traits d’esprit plutôt que d’être réellement pédagogue, être très ordonné et orienté. Je préfère créer un peu le trouble, débusquer des choses un peu absurdes et laisser les gens être seuls juges et se faire leur propre opinion; je n’ai pas l’impression que je transmets quelque chose comme le ferait un prof. En revanche, la partie professorale m’a amené à m’intéresser à toutes sortes de choses et le côté « recherche » davantage qu’enseignement finalement m’accompagne toujours. Je me nourris d’absolument tout ce que je lis et que je trouve, que ce soit de la télé -réalité ou des derniers essais philosophiques sur tel ou tel sujet. Je pense que tout est bon à utiliser. Quel rôle accordez-vous au dessin de presse? Est-il un condensé de l’actualité, un moyen d’appâter l’oeil ou la touche légère du journal? Ce n’est pas forcément léger, c’est quelque chose qui permet d’ouvrir l’esprit et de conserver surtout l’esprit critique aiguisé aussi bien chez les gens qui font le dessin de presse que chez ceux qui les lisent, c’est à dire que sur des choses qui nous paraissent évidentes, le dessin de presse pointe des aspects qui ne le sont pas tellement. Aussi, on reste éveillé et l’on garde ce goût de la critique, du second degré et de la distance par rapport aux choses. Très souvent, on a envie de nous mettre la tête un peu sous l’eau et le dessin de presse permet de respirer. Vous semblez être un amateur de jeux de mots, peut-on affirmer que pour JUL, c’est le texte qui donne l’impulsion du dessin? Je pense que c’est un ensemble : il y a certains dessins qui me viennent par le biais du graphisme : je griffonne sur un petit bout de papier et d’un coup, en dessinant une tête de personnage, hop un dessin me vient. Parfois je réfléchis simplement et par une analogie sur les mots me vient le dessin qui découle, dans ce cas, complètement du langage… mais c’est, en général, très entrelacé, et j’aurais du mal à dire lequel vient avant. C’est bien souvent un savant mélange, un petit peu miraculeux et, si j’avais la recette, évidemment, je pourrais la refiler à tout le monde. Je pense que c’est le cas pour la plupart des dessinateurs, on est le plus souvent étonné de trouver une idée sur un sujet et on ne sait pas comment elle est venue.
La parodie est un bon moyen d’aborder des sujets épineux ou controversés. Peut-on affirmer que le dessinateur peut aller plus loin que le journaliste, que celui qui écrit un texte? Le dessin, par son abord un peu ludique, a -t-il plus de liberté et de marche de manoeuvre? C’est sûrement vrai. On a une liberté de ton très très forte et, ce qui aujourd’hui choquerait chez un Stéphane Guillon ou Didier Porte, pour être vraiment dans l’actualité, apparaît très fade et très neutre pour nous, dessinateurs de presse. On fait dix fois pire tout le temps dans nos colonnes sans que les gens s’offusquent. Il y a une attente par rapport à ça alors que l’écrit ou l’oral sont perçues comme devant être plus sacralisés, plus sérieux. Grâce au dessin, cette mise à distance graphique permet d’aller plus loin, ça c’est sûr. Moi, si je décrivais ou faisais des blagues à l’oral qui correspondent aux gags de mes dessins dans un média, ça passerait très mal, j’aurais tout de suite des procès. Le dessin nous met un peu plus à l’abri. Silex and the city, A bout de soufre sont les titres de vos derniers albums : à quel point le titre d’une bande dessinée est primordial? J’aime beaucoup les titres et j’aime bien en faire et d’ailleurs il m’arrive souvent de titrer les articles des autres, de copains qui cherchent à trouver un titre pour leurs reportages ou autres. Le titre est une porte d’entrée vers un dessin , un album ou un article qui est capital. On se bat dans une jungle littéraire : il faut attirer l’oeil de celui qui arrive dans une librairie, aussi un graphisme et un titre qui sortent un peu de l’ordinaire sont décisifs. Il y a en effet une énorme production de bandes dessinées, 5000 titres par an, cela représente plus de 15 albums nouveaux par jour, c’est complètement délirant! Alors un titre, ça compte justement…mais il ne faut pas que ce soit un titre pour un titre, il faut que ça corresponde à quelque chose de l’album et voilà, tout l’équilibre est là: il faut trouver un titre qui ait du sens, qui soit profond et qui, à la fois, permette tout de suite d’allumer quelque chose dans l’oeil de la personne qui le lit.
L’objectif d’A bout de soufre, c’était de dynamiter les icônes d’hier et d’aujourd’hui? Oui, parce qu’il y a des gens qui sont mis au rang d’icônes et qui font très très peur, comme Ben Laden ou Georges Bush, des figures mythiques ou imaginaires qui sont épouvantables et puis d’autres , au contraire, qui incarnent vraiment la gentillesse absolue, l’idéal de tout le monde comme, par exemple, Le Petit Prince. Donc mélanger Jérôme Kerviel et le Petit Prince, Barack Obama et Yann Arthus Bertrand, c’est à dire des gens qui sont omniprésents dans les médias et sur lesquels tout le monde a son idée… Nicolas Hulot ou Sarkozy etc… cette galerie de portraits que l’on doit subir toute la journée, pour une fois, on peut s’en emparer et la tordre dans tous les sens, en faire ce que l’on veut et ça c’est un peu jouissif. Vous pratiquez la satire d’une façon un peu salutaire , un moyen d’évacuer les râleries du quotidien, vous êtes un accoucheur de la morosité… Il y a une vertu presque médicale dans le blasphème concernant les icônes politiques et culturelles et c’est bien de ne plus être agenouillé devant cette espèce de totem qu’on doit supporter mais d’aller se dérouiller un peu les jambes en courant autour de tout ça .
Vous avez participé à la création d’un recueil intitulé « bye bye bush »: quelles étaient les consignes données aux illustrateurs qui y figurent? La vôtre » In food we trust » décline à plaisir le thème de l’obésité… C’était assez libre: on devait faire une création pour un album qui sortait à l’occasion de la fin de l’ère Bush puisque, de toutes façons il ne serait pas réélu car il ne se représentait pas et c’était l’occasion de faire un petit bilan…ou alors on pouvait imaginer ce qui se passerait dans le futur et c’est l’option que j’ai choisie. En gros, je ne voulais pas que ce soit trop ancré dans une actualité brûlante, j’ai gardé le thème des élections américaines en y ajoutant cette explosion de l’obésité fantastique aux Etats-Unis; j’ai choisi de prendre un thème de société pour traiter un thème politique, ça permettait de rendre le truc un peu moins éphémère. Plutôt plaisantin que vindicatif? On ne peut pas vraiment prescrire la façon dont sera reçu un dessin. Mon état d’esprit lorsque je crée, c’est surtout de déceler de l’humanité dans toutes les choses, c’est à dire montrer que les mesquineries, les nullités, la méchanceté, la cruauté sont des choses que tout un chacun porte en soi et qu’un tel – qui a l’air d’être le mal incarné – est sans doute plus simplement un minable qui fait des petites choses dans son coin comme nous tous. C’est plus efficace selon moi de ramener les choses qui sont mythifiés à une dimension un peu plus prosaïque, intime, ridicule. Peut-être finalement que cela provoque une sorte d’intimité et cela maintient une forme d’indignation ou de colère mais sans enflammer tout. L’objectif est de maintenir sans arrêt une petite braise d’attention qui ne s’éteindrait jamais ; les grands feux parfois font des flambées fantastiques mais durent peu alors que mon approche est d’être sans arrêt un peu goguenard, ironique pour ne pas fermer l’oeil et ne pas juste se contenter d’un grand coup de gueule qui ne donnerait rien à la fin. En bref, faire une espèce de gymnastique permanente qui ne s’arrêterait jamais.
Le tome 2 de Silex and the city sort le 28 août : la famille Dotcom repart pour une nouvelle campagne politique? Le père qui a expérimenté la politique ne peut plus retourner à l’éducation nationale, il a pris le goût de la liberté donc il est recruté par un chasseur de têtes et il va travailler dans le privé. Il va découvrir en fait que la vraie sauvagerie, c’est la vie de bureau et pas du tout le monde tel qu’il avait l’habitude de le voir ; il va bosser pour une boîte pour des concepts innovants. Lui, il va être chargé du dossier sur le monothéisme et sur l’inhumation, en moins 40000 avant J.C ( rires). Tandis que la mère fait une petite dépression nerveuse inter-glaciaire et donc va être arrêtée. Il faut qu’elle trouve un remplaçant pour ses cours de préhistoire-géo et ce remplaçant va être un personnage qui ressemble terriblement au Petit Prince.
Le titre « Réduction du temps de trouvaille » ainsi que ce cadre à l’époque glaciaire semblent être un clin d’oeil à une période contemporaine de crise et à l’allongement voté des retraites? Autant le premier album traitait de pas mal de sujets politiques, autant ce deuxième traite de sujets sociaux que ce soit en rapport avec la consommation – le fils essaie de créer une chaîne de magasins équitables qui s’appellent Nature et Découvertes et ses contemporains ne sont pas du tout intéressés par la découverte donc au final il va juste appeler ça Nature – et le père va vraiment s’initier à l’univers des DRH, des réunions de commerciaux et toute cette vie de bureau avec costumes et cravates qu’il ignorait complètement parce qu’il était jusque là fonctionnaire de l’âge de pierre, toute cette dureté-là que tout le monde connaît en France, c’est une façon de l’aborder encore une fois avec la distorsion de 40000 ans de distance.
Quelle dernière actualité a provoqué un dessin de JUL? Pour l’instant, je suis encore en train de dessiner sur les démissions de ministres et sur l’affaire Woerth et Bettencourt… mais je fais deux ou trois dessins par jour sur l’actualité et très vite une actualité chasse une autre. J’ai fait aussi aujourd’hui un dessin sur la canicule…
Après Silex and the city 2, y aura-t-il un troisième tome? C’est encore dans le canon du pistolet mais ça ne saurait tarder à partir.
Une dernière actualité? Oui, depuis trois semaines , nous sommes une poignée de dessinateurs de presse à avoir notre application sur I phone: on peut s’abonner aux dessins de presse et du coup , tous les jours on peut recevoir un dessin que j’ai fait sur son téléphone et ça ne coûte que quelques centimes par mois. C’est le truc nouveau, sympa, dans les nouvelles technologies. L’application se nomme » ça ira mieux demain » et apparemment ça cartonne parce que les gens qui s’occupent de la plateforme disaient que c’était la troisième application news la plus achetée. Merci Jul.