Pierrette Fleutiaux et ses compagnonnages secrets

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Par Stéphanie Hochetbscnews.fr / L’idée est des plus belles : consacrer un récit à une personne qui a changé sa vie, aborder la rencontre, rappeler le mystère, recréer si possible la voix de celle qui a disparu. Pour Pierrette Fleutiaux, Prix Femina 1990 avec Nous sommes éternels, le temps est venu de retrouver celle qui l’a accueillie dans sa maison d’édition avec un « J’aime » pour parler de son premier roman : Histoire d’une chauve- souris. Mot simple, tellement à l’opposé des formules déplorables des précédents éditeurs qui lui avaient conseillé de garder ses textes dans des tiroirs (!) C’était en 1975, celle qui aimait le texte était Anne Philipe, elle était ethnologue, écrivain, grand reporter, et épouse du comédien Gérard Philipe. Mais elle n’était pas que cela, et c’est l’enjeu de ce livre.
Pierrette Fleutiaux a un don : celui d’interroger, de découvrir sa personne-sujet par le frôlement. Pas d’intrusion, mais une distance respectueuse pour parler de l’autre et un souci de traiter du passé et du présent à égalité, parce que si l’autre n’est plus, cette autre-là n’est sûrement pas morte dans les pensées, dans la vie de Pierrette Fleutiaux ; elle s’adressera à nouveau à celle qui s’est éteinte en 1990, c’est à ça que sert la littérature.
Après avoir choisi d’avancer très peu masquée derrière son deuxième prénom : Marguerite, Pierrette Fleutiaux ouvre son récit sans s’épargner, scrute le passé, revient en une boucle au présent, sonde ses expériences dans les milieux intellectuels américains, atterrit en Europe par associations d’idées, déambule avec légèreté dans le temps, donne à voir l’univers foisonnant d’Anne Philipe, les intellectuels, les écrivains (dont Camus), les acteurs (Montant, Signoret etc.) que l’éditrice et son époux ont fréquentés. Évoque-t-elle son propre voyage en Chine pour la traduction d’un de ses romans qu’elle relit les écrits d’Anne P– si chère et singulière à Marguerite qu’elle l’appelle Anne-la-mienne -, car Anne Philipe, dans une vie antérieure avait traversé le pays comme une aventurière. Admiration. La tentation est forte pour Marguerite d’interroger ceux qui ont connu, aimé cette femme complète, de scruter sa propre mémoire, ou bien demander aux maisons d’éditions de mettre à sa disposition les fameux cartons dans lesquels les coupures de presse d’un auteur sont conservées après sa disparition. Ce ne sont pas tant les traces d’Anne Philipe que l’auteur voudrait retrouver comme des reliques mais la personne elle-même ou sa voix ranimée, ses manières, sa douceur, et comprendre son implication dans son existence, peut-être aussi lui rendre sa place dans la littérature. Ce livre est une promenade dans l’intimité d’un de ces compagnonnages secrets qui nous font devenir ce que nous sommes dit l’auteur. Cette progression par petits bonds ou grandes enjambées, avec grâce toujours est un miracle de justesse et d’émotions. D’amour aussi.

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