J. Tillman – Year in the Kingdom

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Avant de devenir le batteur d’un groupe, les Fleet Foxes, qui remis la folk au goût du jour en reprenant les bonnes vieilles méthodes (harmonies vocales à donner des frissons de plaisir à Arlette Chabot, ambiances champêtres et jolies mélodies), J. – pour Joshua – Tillman était déjà un talentueux et prolifique singer-songwriter. Year in the Kingdom est déjà son 6ème album et il m’a beaucoup emmerdé.
C’est emmerdant les disques où il n’y a pas la moindre fausse note parce que j’ai l’impression de me transformer en Michel Drucker de la critique musicale. J. Tillman compose des ballades folk comme Frédéric Lefèbvre discourt sans cesse : sans avoir l’air de faire trop d’efforts. Les deux excellent dans leur discipline, avec une inventivité folle. D’une idée, ils en tirent la quintessence. L’un de l’absurde, l’autre de la puissance émotive. Dans les deux cas, on peut parler de génie !
C’est très dur de faire un album qui me plaise uniformément. À chaque écoute de Year in the Kingdom, j’ai toujours eu l’impression d’être en face d’un chef-d’oeuvre. “Though I Have Wronged You”, qui était apparue sur internet avant la sortie de l’album, m’avait déjà complètement submergée, j’en parlais déjà sur mon blog comme l’“une des plus belles chansons de l’année”, et je n’avais pas encore écouté l’album en entier.
Un album uniformément splendide, dans ma bouche, c’est un album où chaque chanson possède un de ces moments où je reste bouche bée, où je ne m’entends plus penser, où je suis suspendue à la voix de Tillman, dont la clarté vous saute au visage dès les premières secondes de “Yeah in the Kingdom”. Ce sont des morceaux qui tous possèdent leur personnalité, dont je comprends le sens sans efforts, sans même prêter véritablement attention aux paroles. L’empathie est immédiate, un peu comme chez Bon Iver, l’autre sensation folk de l’année dernière avec les Fleet Foxes.
Quand on me parle d’un album de “ballades folk”, vous êtes peut-être comme moi, je me dis qu’il y aura toujours un moment où je vais piquer du nez. J’ai commencé par “Age of Man” car j’avais déjà entendu les précédents. C’est un morceau très basique, guitare-voix, rien d’autre. Une histoire très triste, sur la mort. J. Tillman semble d’ailleurs un peu obsédé par l’idée de la mort, beaucoup de ces textes tournent autour de ce thème, ont un rapport plus ou moins lointain. La manière qu’il a de capter l’attention en quelques instants… c’est peut-être cette ambiance un peu mystique, je ne sais pas vraiment. Toujours est-il qu’il est difficile de faire autre chose que de l’écouter et de se laisser porter.
C’est un album triste, mais pas désespérant (il y a même des “dou dou dou” dans “Earthly Bodies” !). C’est une tristesse thérapeutique, dont on ressort comme apaisé. Vous avez sûrement éprouvé ce sentiment, après avoir traversé une épreuve douloureuse, l’impression que le pire est passé et que vous êtes prêts pour un nouveau départ. Vous êtes tristes, mais… ça va. Ça va aller, tout au moins. C’est ce que je ressens en écoutant cet album.
S’il y a quelques morceaux très basiques (”Age of Man”, “Year in the Kingdom”, “Marked in the Valley”), guitare-voix, où apparaissent d’autres cordes discrètes, Year in the Kingdom de variations, un mélange d’éclaircies et d’assombrissements, qui se traduisent musicalement par des harmonies splendides (à la Fleet Foxes, évidemment), des petites friandises instrumentales (on peut entendre du hammerd dulcimer, du banjo, des cymbales et des instruments à vent divers et variés, un piano en forme de rayon de soleil sur “Light of the Living”) distillées avec subtilité, des arrangements de cordes qui vous font lentement planer au-dessus de votre lit, bus, métro, chaise de bureau… Oh, et que dire de “Though I Have Wronged You”… Rien, il n’y a rien à dire. Elle me tue à chaque fois. Je me suis trompée, ce disque n’est pas uniformément splendide, ce morceau est au-dessus du lot d’un cheveu.
J. Tillman et ses musiciens savent varier les plaisirs, sans jamais déroger à cette… oui, cette simplicité, je ne vois pas d’autre mot. J’peux pas parler de minimalisme, parce que c’est quand même de la folk traditionnelle et que réflexion faite, ce disque est loin d’être basique. Ce n’est pas la folk très complexe de Grizzly Bear, mais tout de même. Peut-être avais-je trop pris l’habitude d’écouter des artistes qui se laissent happer par leurs folles expérimentations – qui se transforment vite en tapage électronique – et que mon oreille est moins sensible aux arrangements subtils mais pas moins inventifs ? Si c’était le cas, le sixième album de J. Tillman m’a nettoyé les oreilles, en plus de m’avoir apaisée et séduite. Carton plein et chef-d’oeuvre.
(sorti le 5 octobre chez Cooperative Music)

Eddie Williamson

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