Ciel Montréal !

par
Partagez l'article !
Quand on pense Québec on pense étendues vert forêt, rouge feuille ou blanc raquettes, mais pour moi vivre à Montréal c’est d’abord vivre dans le bleu du ciel. Courtoisie du fleuve qui charrie bien plus de vent que de glaces et, été comme hiver, veille à ce que le bleu ne pâlisse pas trop au-dessus de l’île, dont la forme rappelle d’ailleurs, au choix, un papillon, ou un livre, déployé.
Après les canicules estivales, leurs queues d’ouragan et leurs orages en rafale, les mouches noires et autres maringouins qui testent votre taux d’adrénaline, amarrée à ce que les Montréalais appellent La Montagne (le Mont-Royal, parc sur la colline dessiné par le créateur de Central Parc), l’île entre dans sa plus belle saison, l’indienne. Celle du blé d’Inde (le maïs que Colomb, se croyant en Inde, prit pour le blé local), celle des tomates enfin hors de serre, celle des journées toujours chaudes mais respirables, celle de la longue fin de semaine de la Fête du Travail (Labor’s Day, premier lundi de septembre). Une saison à part, en plus, donnée peut-être, en cadeau, pour se consoler de l’absence de printemps. En juin on ne travaille déjà plus, ou presque, ce qui explique l’effervescence qui secoue la ville dès juillet avec la succession des trois grands festivals, Jazz à Montréal, Juste pour rire et les Francofolies.
Avec le début septembre revient le Festival des Films du Monde en même temps que celui des Films Haïtiens, et pendant tout ce temps le centre ville devient piétonnier, d’autant qu’il a été reconstruit pour devenir, le 7 septembre, le Quartier des Spectacles, une ère entièrement consacrée aux salles de spectacles de tout acabit, et ce n’est pas ce qui manque à Montréal, petite sœur de New York, Mtl pour les habitués. Et puis, sous ce ciel radieux, voici revenues la saison des belles feuilles, celles des livres. En français, en anglais, mais aussi dans l’une des soixante-douze langues officiellement présentes dans les bibliothèques de la ville.
À propos de littérature québécoise
Depuis dix ans que je la côtoie quotidiennement, sur le plan personnel et professionnel, l’effervescence de la littérature, en fait de l’ensemble de la culture québécoise, me stupéfie. Pas seulement parce que le français, ici, a survécu à la victoire anglaise lors de la bataille des Plaines d’Abraham (13 sept. 1759) à l’abandon successif de Louis XIV et Louis XV (ce qui explique que la Reine d’Angleterre soit aujourd’hui encore le chef de l’état canadien) ; ni parce que le petit bassin de lecteurs doit être pallié par un double subventionnement, fédération oblige, du Conseil des Arts du Canada et du Conseil des Arts et des Lettres du Québec. Plutôt parce qu’en moins de quarante ans, la littérature québécoise a affirmé une identité singulière. C’est une littérature américaine, de langue française mais de culture, d’esprit et de valeurs américaines. C’est une littérature marquée depuis le début par une forte proportion d’auteures, le Québec se reconnaissant volontiers de tradition matriarcale. On publie au Québec peu d’essais mais de plus en plus de littérature jeunesse, à l’inverse du Canada anglophone, et la tradition poétique y demeure forte. En mai 2009, Hélène Dorion a été la première poétesse québécoise à recevoir le prix de la Société des gens de lettres à Paris. La minuscule ville de Trois-Rivières, 120 km au nord de Montréal, est devenue une plaque tournante de la poésie internationale, la 25ème édition se tiendra du 2 au 10 octobre prochain.
Il reste que les Québécois lisent toujours beaucoup de livres « français de France », comme ils disent, malgré leur coût prohibitif que certains éditeurs de l’Hexagone évitent en ayant une antenne ou une coédition sur place afin de contrer les taxes d’importation. Le Québec représente une part de marché importante pour l’ensemble des éditeurs français. Sur 7 M de Québécois en tout, on estime à 1 M le nombre de lecteurs potentiels. Proportionnellement, vendre 2000 copies au Québec revient à en vendre 20000 en France.
Festival International de la Littérature
Le monde littéraire québécois se caractérise par la diversification, ces dernières années, des maisons d’éditions et des festivals littéraires. Je ne parle pas des salons du livre, Salon de Montréal, à la mi-novembre, ou autres salons importants partout au Québec.
Quatre festivals littéraires sont à retenir, comme autant de visages contrastés et caractéristiques de Montréal : en novembre le Festival du Monde Arabe, initié en 1999 par Joseph Nakhlé, présence de la culture et de l’intelligentsia arabe de partout dans le monde à Mtl pendant dix jours, beaucoup d’écrivains, un peu comme si l’Institut du Monde Arabe faisait son festival annuel ; depuis 2002, à la mi-février, Mtl se branche sur le spoken word et les voix audacieuses grâce à l’écrivaine D.Kimm et son festival Voix d’Amériques (le «s» dit tout), délicieusement déjanté et dans un lieu kitsch et baroque ; début avril, c’est Blue Metropolis Bleu, fondé en 198 par Linda Leith, festival américain donc trilingue, anglais, français, espagnol, mais aussi allophone, rencontres, entrevues de fond, lectures et Grand prix de 10000 $ remis chaque année en alternance à un écrivain prestigieux de l’une des trois langues, A.S Byatt en 2009, Daniel Pennac en 2008…
Mais en septembre c’est le FIL, Festival International de la Littérature, qui tiendra sa 15ème édition du 18 au 27 septembre. Michelle Corbeil la directrice a donné une identité à ce festival depuis 2005, en se spécialisant dans ce qui peut advenir à partir de la littérature : spectacles de danse, théâtre, chansons, cinéma, cabaret, une festival uniquement en français et avec une très forte présence d’écrivains français et européens. Cette année un hommage à Nathalie Sarraute avec Jean Marchand, un cabaret autour de Boris Vian avec 20 artistes contemporains, un concert littéraire entre Stephan Eicher et Philippe Djian, une rencontre avec Geneviève Brisac, et un inédit Exercice d’admiration mutuelle, pour lequel j’ai d’ailleurs été associée à Najat El Hachmi qui lira mon roman Neretva et moi son roman Le dernier patriarche (traduit du catalan chez Actes Sud). Sans oublier Le grand slam et la soirée Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, dont le retour enchante tout le monde. Pendant la même période Fabrice Lucchini habitué de Mtl, vient faire Le point sur Robert, alors, il va falloir organiser le fil de ses soirées ! D’autant qu’à l’Agora de la danse se tiennent les Destinations Danse dont quatre chorégraphes français sont cette année les invités spéciaux, dans une coproduction avec Les rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis.
Romans d’automne
Le Québec est connu pour ses bières artisanales mais c’est plutôt le vin et le champagne qui sont de rigueur dans les cocktails de lancement qui se succèdent allègrement de la fin août au début…novembre. L’ivresse viendra surtout de la diversité qui signe les publications de cette rentrée achalandée, avec le retour attendu d’écrivains confirmés et l’arrivée inattendue d’auteurs qui se révèlent. Quelques 500 titres toutes catégories confondues (sans parler des traductions et des diffusions étrangères) parmi lesquels quelques coups de loupe, en commençant volontairement par les jeunes maisons d’édition qui m’ont ces dernières années offert des découvertes « flabergastantes » ( le Québécois transpose souvent des syntaxes et des verbes textuellement anglais…) :
Au Marchand de Feuilles, trois romans par an minutieusement choisis par la fondatrice Mélanie Vincelette, jeune nouvelliste primée (à lire ses Meurtres horticoles, Leméac) : Radamanthe, le premier roman de Maya Ombasic, jeune auteur de Mostar réfugiée à Mtl, dont j’avais adoré Les chroniques du lézard, situées à Cuba. Roman mémorable l’année dernière au Marchand de Feuilles : Bestiaire, portrait de famille subtil et touchant d’Éric Dupont, finaliste du Prix France-Québec 2009.
Chez Héliotrope, jeune maison propulsée par le succès fulgurant du quatrième roman de Catherine Mavrikakis, Le ciel de Bay City, grand roman sur la mémoire et la friabilité de la construction identitaire dans une langue déjà révélée par ses romans précédents notamment Ça va aller et Fleurs de crachat (Leméac). Le ciel de Bay City est publié chez Sabine Wespieser en France et fait partie des coups de cœur de Télérama, espérons que ses autres romans seront aussi présents en France, en tout cas Héliotrope fait tout pour, en éditeur engagé auprès de ses auteurs. Rose Amer de Martine Delvaux, après Ventriloquies et C’est quand le bonheur ?, entretient mon impatience.
Aux Allusifs, remarquablement implanté en France grâce à la persévérance de Brigitte Bouchard, poursuit sa ligne éditoriale de romans courts et ses traductions étrangères, surtout littérature slave et sud américaine, mais là c’est le roman de l’allemande Iris Hanika qui fait la rentrée avec le roman Une fois deux. Elle sera d’ailleurs à l’Institut Goethe de Paris le 15 septembre.
Chez Alto, trois romans par an aussi, triés sur le volet, comme le bouleversant Parfum de Poussière du réfugié libanais Rawi Wadge (lui aussi comme Catherine Mavrikakis avait commencé par être refusé quelque 42 fois ici comme en France…) qui publie son second roman Le cafard. Une écriture organique qui se souvient de la guerre.
Aux Herbes Rouges, Pierre Samson, Arabesques après Catastrophes et sa trilogie brésilienne écrite sans y être allé et tout en apprenant le portugais. Iconoclaste, Pierre Samson poursuit sa critique décapante de la société québécoise.
Au Boréal (vénérable maison qui avec Leméac et Québec-Amérique constitue le triumvirat d’un certain establishment, toujours aussi actif et novateur), surtout La Veuve, de Gil Adamson, épopée dans l’ouest canadien du 19ème siècle, d’une meurtrière de 19 ans en cavale. Et le retour de Dany Laferrière qui poursuit quant à lui les traces du père confisqué. Dany avait vraiment fini d’écrire dès 2003 mais a été persuadé par son nouvel éditeur français, Grasset, de creuser plus avant ses thèmes d’écriture, l’exil haïtien, l’identité masculine, l’autobiographie comme étude sociologique. Pour ceux auront lu l’ensemble de son autobiographie américaine, dix titres en quinze ans, rien de neuf, certes, mais ça reste l’univers envoûtant de Dany : L’énigme du retour.
Chez Leméac (diffusion Actes Sud), outre le doublé de Michel Tremblay avec une nouvelle pièce de théâtre, Fragments de mensonges inutiles, et le troisième tome de sa nouvelle trilogie romanesque transcanadienne et transmaternelle, La traversée des sentiments, je retiens Pleurer comme dans les films, premier roman de Guillaume Corbeil.
Chez Hurtubise, Raphaëlle en miettes, de Diane Labrecque, où une femme écrit à sa fille abandonnée quinze ans plus tôt, et on se tient le ventre en lisant.
Chez XYZ, après Mercredi soir au bout du monde, le deuxième volet de la trilogie : Âmes en peine au paradis perdu d’Hélène Rioux, entre paysages traversés et voyages intérieurs, des personnages pittoresques, et peut-être, bien que j’avais totalement décroché après Putain, publié au Seuil et finaliste au Fémina 2001, Paradis clef en mains de Nelly Arcan aux éditions Coup de tête.
Enfin chez Québec-Amérique, le retour du prolifique et éclectique François Gravel, auteur entre autres choses de la Série Noire chez Gallimard, avec une autobiographie romancé et non autorisée d’un des plus importants hommes d’affaires québécois… et Mon nord magnétique d’Yves Vaillancourt, sur la nécessité pour chaque créateur de trouver sa voie, son nord.
Je suis très heureuse de débuter ainsi cette chronique montréalaise et après avoir mis ici la table, je pourrais revenir vous parler plus en détail de la palpitante vie culturelle montréalaise…

Que le ciel vous soit clément à vous aussi, où que vous soyez, et s’il ne l’est pas, créez-le. À la prochaine !

Par Aline Apostolska
Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à