Rencontre Avec harold cobert dans les salons numériques du BSC NEWS magazine.
À l’âge de vingt ans, suite à un accident de surf où j’ai failli rester tétraplégique.
Pourquoi?
À l’époque, je jouais beaucoup aux échecs. Pendant ma convalescence, un ami m’a offert une très belle anthologie consacrée à ce jeu, et qui recelait un long chapitre dédié à des anecdotes historiques. L’une d’elles racontait une partie entre Robespierre, alors au fait de son pouvoir pendant la Terreur, et un jeune homme aux allures d’aristocrate, venu défier « L’Incorruptible » un soir au Café de la Régence. Après plusieurs manches, le jeune homme propose à Robespierre une ultime partie, dont l’enjeu est la tête d’un certain Comte de Romilly. Hésitant mais tenté par la gageure, Robespierre finit par accepter. Il perd. Avant de signer l’ordre d’élargissement, il demande à son adversaire s’il est d’ascendance noble. Celui-ci répond non. Robespierre l’interroge alors sur les raisons de son acte : pourquoi diable vouloir sauver ce Comte de Romilly ? Et là, le jeune homme retire sa perruque, de longs cheveux ruisselle sur ses épaules, et il répond : parce que je l’aime. Cette histoire m’a tellement ému que j’ai eu envie d’en faire une nouvelle plus développée que l’anecdote telle qu’elle était rapportée. Celle-ci a eu plusieurs prix. C’était parti. J’avais le virus. En quelque sorte, on peut donc dire que ma venue à l’écriture est un accident. Mais un accident qui s’est répété !
Comment êtes-vous parvenu à publier ?
Après de longs détours ! À la suite de cette première nouvelle, un aspirant réalisateur s’y est intéressé pour en faire un court-métrage. Le projet ne s’est jamais fait, mais j’ai rencontré des jeunes producteurs avec lesquels j’ai travaillé pendant plusieurs années en tant que directeur littéraire et scénariste interne pour leur boîte de production. En parallèle, j’ai écrit un premier roman, dont les 80 premières pages ont obtenu la « Bouse de Découverte » du Centre National du Livre. Le manuscrit a failli être publié dans une grande maison d’édition, à deux voix près. J’ai alors bifurqué vers le cinéma et l’écriture de scénario, jusqu’à ce que les producteurs pour lesquels je travaillais fasse faillite sans que nous ayons réussi à monter les projets que j’avais développés pour eux. Je récupère d’ailleurs définitivement les droits de ces scripts début 2010 et me prépare à reprendre mon bâton de pèlerin pour essayer de les vendre à des producteurs plus aguerris et plus sérieux. Après cette cessation d’activités, j’ai connu des années un peu sombres, à coup de RMI et de multiples petits boulots au black. Je suis alors revenu à l’écriture romanesque avec un premier roman, Le reniement de Patrick Treboc, qui était pour moi une sorte de baroud d’honneur. Soit je réussissais à le faire publier, soit j’arrêtais d’écrire. J’en avais ma claque. Deux mois après avoir achevé le manuscrit, ce texte trouvait un éditeur et était publié en mars 2007. Pour des raisons que j’ignore, l’éditeur de ce premier roman n’a pas voulu de celui pour lequel vous m’interviewez aujourd’hui. Une fois de plus, je suis donc reparti sur les routes. En numéro un sur ma liste, j’avais mis les Editions Héloïse d’Ormesson. J’avais rencontré Tatiana de Rosnay dans des salons du livre où je signais pour mon premier roman. Nous avions sympathisé. Je lui ai demandé si elle accepterait de lire mon nouveau manuscrit et, si jamais il lui plaisait, d’intercéder auprès d’Héloïse d’Ormesson. Elle a tout d’abord refusé, car beaucoup de personnes lui demandent ce type de faveur. Puis, quelques mois plus tard, me voyant décomposé, elle a accepté de me lire. Elle a beaucoup aimé le texte et a littéralement harcelé Héloïse d’Ormesson pour qu’elle me lise. Presque quatre mois ont passé, et toujours rien. Et puis un dimanche soir, à 23h15 et 50 secondes pour être très précis, alors que je me morfondais au téléphone avec une amie, j’ai reçu un sms d’Héloïse d’Ormesson me disant qu’elle avait beaucoup aimé mon roman et qu’elle serait ravie d’en discuter avec moi dès le lendemain. J’étais tellement excité que je n’en ai pas dormi de la nuit de peur de rater son appel le matin ! Tatiana de Rosnay a réellement eu un rôle clef dans la publication de « Un hiver avec Baudelaire ». Elle est ma bonne fée dans cette histoire.
Dans votre dernier livre, « Un hiver avec Baudelaire » aux Editions Héloïse d’Ormesson, la toile de fond du récit n’est ni plus ni moins que la rue. D’où vous est venue cette idée ?
L’idée m’est venue à la suite d’un documentaire consacré au Fleuron Saint Jean, une péniche gérée conjointement par l’Ordre de Malte et Trente millions d’amis, et reconvertie en centre d’hébergement pour les SDF, le seul qui les accueille avec leurs chiens et qui soit ouvert toute l’année. Je suis tombé dessus par hasard, en zappant un soir de décembre 2007. Le reportage montrait, entre autres, Pascal, un SDF, et Jessica, sa chienne, une petite bâtarde. Pascal racontait à la caméra que c’était Jessica l’avait sauvé, que, sans elle, il se serait déjà foutu en l’air depuis longtemps. Le problème, et le drame : Jessica était atteinte d’un cancer. Vu le coût de l’opération, il envisageait de prendre une autre chienne, plus jeune, pour que Jessica la forme avant de mourir. Il y avait entre eux une charge d’amour tout simplement extraordinaire. J’étais bouleversé. Cette histoire et ces images m’ont hanté pendant plusieurs semaines. Puis, un matin, m’est revenu le poème en prose de Baudelaire, « Les Bons Chiens », d’où est extraite la citation placée en exergue du roman, d’ailleurs dédié à Pascal et Jessica. La rencontre de ces deux éléments m’a donné l’idée du livre. Avant l’écriture à proprement parler, il y avait un gros de travail de recherches et d’investigations. Lectures, d’études, de rapports et de statistiques tout d’abord, puis le terrain. Car on n’écrit pas un livre sur les SDF et la rue sans aller à leur rencontre. J’ai alors passé beaucoup de temps avec eux, la journée, la nuit, m’installant quelques instants à leurs côtés, avec une bière, des cigarettes, un sandwich, un peu de monnaie. Je leur ai donné du temps, de l’attention, de l’écoute, une existence dans le regard de l’autre.
Philippe, votre héros, un cadre moyen, marié, et papa se retrouve à la rue après une descente aux enfers que l’on sent inévitable dès les premières pages. Peut-on dire que cette chute marque le début d’un parcours initiatique ou l’exploration d’un nouveau monde parallèle pas si éloigné de nous finalement ?
Les deux. Elle est tout d’abord l’expérience d’une vie qui bascule dans la spirale et dans l’horreur de la rue. Et qui bascule, comme c’est hélas très souvent le cas, sur un enchaînement banal de circonstance : une séparation à la suite de laquelle on doit quitter le domicile conjugal, la difficulté à trouver un logement qui déteint sur les résultats professionnels au point que l’on perd son travail, et, une fois l’équation mise en place – sans travail, pas de logement, et sans logement, pas de travail – le siphon qui vous aspire et ne vous lâche qu’après vous avoir rincé totalement. Car la frontière entre la normalité et la marginalité est en effet extrêmement mince et fragile. En ce qui concerne le parcours initiatique, il intervient avec l’apparition du chien errant qui vient au secours de Philippe, et qui, pour des raisons que je laisse découvrir à vos lecteurs, s’appelle Baudelaire. Mon idée, dans cette histoire, était de raconter comment un homme qui est presque redevenu une bête est sauvé par un animal, symbolisant ainsi que, paradoxalement, notre plus grande part d’humanité réside peut-être dans notre part animale.
On sent votre roman frétiller au point de convergence parfait de l’espoir et de la déchéance. Qu’est ce qui fait que le héros résiste à ce monde hostile et à sa destinée malheureuse?
Tout d’abord, l’instinct de survie que nous avons tous enfoui au plus profond de nous. Ensuite, le fait que Philippe a une petite fille qu’il aime plus que tout, et dont le souvenir est la dernière attache qui le retient au rang d’homme et d’être humain. Et surtout, la rencontre avec Baudelaire, ce chien errant débrouillard, sorte de « Huggy les bons tuyaux » version canine, véritable coqueluche chez certains commerçants de son quartier. Dans la réalité, comme dans le roman d’ailleurs, le fait d’avoir un chien redonne de la matérialité et de l’humanité à l’homme devenu SDF. Lorsqu’il est seul, notre regard glisse sur lui sans le voir, comme s’il n’était qu’une ombre sur un mur. Avec un chien, notre regard s’arrête et, surtout, va ricocher sur l’homme assis à ses côtés. Le chien est ce trait d’union entre l’homme qui a perdu toute humanité et le reste de l’humanité dont il est exclu. En cela, il réintroduit un peu de douceur dans le quotidien du plus démuni, ne serait-ce que parce qu’il existe dans le regard de l’autre et des autres, il n’est plus transparent, ce qui est l’une des pires violences pour ceux et celles qui sont à la rue. Et cette douceur peut également être source de poésie, d’où, entre autres, le nom de Baudelaire pour ce chien errant.
Pourriez-vous nous éclairer sur le choix du titre « Un hiver avec Baudelaire » ?
L’histoire commence au printemps, quand Philippe quitte le domicile conjugal et entame la longue descente aux enfers qui le mène à la rue. Au cœur de l’hiver, Baudelaire le tire d’un mauvais pas et reste avec lui. Grâce à ce compagnon d’infortune, son quotidien commence à changer jusqu’à s’être sensiblement amélioré à l’arrivée de l’été. Le chemin parcouru avec Baudelaire dure le temps d’un hiver, d’où le titre.
Au-delà d’une trame de fond, quelle est la dimension de la rue dans votre livre ?
Elle est centrale. Elle est la frontière qu’aucun d’entre nous ne veut franchir un jour, et celle dont on revient le plus difficilement. Seulement 2% des SDF présentent aujourd’hui les conditions objectives pour s’en sortir.
Que diriez-vous aux lecteurs du BSC NEWS MAGAZINE pour les inciter à lire votre livre ?
Je leur dirai de ne pas avoir peur du thème, surtout dans la période économiquement et socialement troublée que nous traversons. Si c’est un livre dur, sans concession ni pathos, il n’est pas glauque, loin de là. C’est une fable moderne, un conte social contemporain qui montre comment, au plus profond du désespoir, il y a toujours des lueurs d’espoir, pour peu qu’on soit attentif et qu’on sache les voir.
De plus, je renverse une partie de mes droits d’auteur personnels au Fleuron Saint Jean, la péniche dont je vous parlais précédemment. Au plaisir qui, je l’espère, prévaut à la lecture de ce roman, s’ajoute une action de solidarité envers les plus démunis. Et ce n’est pas là une manière de s’acheter une bonne conscience au rabais. Pour avoir vu des hommes et des chiens se restaurer grâce à une partie de mes à-valoir, je pense pouvoir dire que, si la littérature ne change pas le monde, elle peut contribuer, même modestement, à adoucir le quotidien des oubliés. Il n’y a pas de petit geste ; un élan est toujours grand.
Propos recueillis par Nicolas Vidal