« Le dernier jour d’un condamné » de Victor Hugo

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Publié en 1829, à l’aube des 27 ans de Victor Hugo, cet ouvrage est un véritable plaidoyer pour l’abolition de la peine de mort.
A l’époque, les exécutions capitales étaient encore monnaie courante et se déroulaient en public. La guillotine s’installait régulièrement place de la Grève, l’actuelle place de l’Hôtel de ville à Paris, sous les yeux d’une foule curieuse qui se rassemblait inlassablement pour assister aux « spectacles » macabres.
Tout au long de sa vie, Victor Hugo n’a cessé de combattre avec ferveur ce qu’il considère comme de la barbarie, contraire à toute notion d’humanité, dénonçant l’inefficacité du châtiment et contestant le principe d’exemplarité avancé par les partisans de la peine de mort. Tant en sa qualité d’écrivain qu’en celle d’homme politique, ses actions, discours, témoignages et écrits contre ce « crime public », mais également en faveur d’un remaniement complet du système pénal, se sont succédés par-delà les frontières et le découragement.
Traumatisé dès l’enfance par la vision d’un condamné conduit à l’échafaud, c’est suite à une rencontre bouleversante avec la guillotine qu’il se lança dans l’écriture de cette œuvre, dont la modernité – à l’époque de sa publication – lui valut un accueil peu chaleureux. Les critiques acerbes dont elle fit l’objet donnèrent lieu à une parodie, écrite par l’auteur dans une courte préface datée du 28 février 1829. On lui reprochait notamment de n’avoir pas donné à son livre une dimension dramatique ni satisfait la curiosité des lecteurs, par son choix de faire de ce condamné un personnage flou, abstrait, une simple voix à laquelle on ne peut s’attacher, en taisant toutes anecdotes sur son passé, son histoire, jusqu’à son nom, son âge et les raisons de sa condamnation à mort. Seuls quelques indices, ça et là, nous renseignent sur son rang social, et nous apprennent qu’il est le père d’une petite fille de 3 ans, qui par ailleurs ne se souvient plus de lui. Rien de plus.
Et pour cause, le but de Victor Hugo n’était pas d’émouvoir ses lecteurs sur l’histoire romancée et pathétique d’un homme en particulier, ni de leur offrir le même plaisir malsain qui les amène au pied la guillotine lors des exécutions publiques, mais de les sensibiliser sur la question de la peine de mort pour ce qu’elle représente dans l’esprit d’un homme condamné, quel qu’il soit.

Ce court roman est le récit d’un homme qui s’apprête à mourir et qui nous livre, depuis son cachot, ses états d’âmes et l’insupportable attente depuis le début de son procès jusqu’à sa rencontre avec le tranchant de la guillotine. Il espère ainsi susciter, par ses écrits, une prise de conscience collective permettant d’aboutir à l’abolition de la peine capitale.
C’est donc à la manière d’un long monologue intérieur qu’il décrit l’omniprésence de sa condamnation, privant non seulement son corps, mais aussi son esprit, de liberté. Par de nombreuses et précises descriptions, il nous fait partager la façon dont il perçoit les choses, les gens, les lieux qui l’entourent. Il recourt d’ailleurs assez fréquemment à la personnification lorsqu’il s’agit, notamment, de parler de la peine de mort ou de la prison.
Il décrit la pratique cruelle et avilissante du ferrage, qui consistait à relier entre eux les forçats par des colliers de métal lors des déplacements, raconte l’indélicatesse des geôliers et gardiens qui parlent parfois de lui comme on parle d’une chose… Il confie l’angoisse, les minces lueurs d’espoir qui s’évanouissent les unes après les autres, l’abattement, les rêves d’évasion, l’amertume, mais aussi la panique à l’arrivée du jour J et le désir de se repentir de son crime.
Il dénonce la curiosité morbide et pernicieuse d’une foule fascinée par le spectacle de la mort, des « spectateurs avides et cruels » ainsi qu’il les décrit.
Il raconte son transfert à la Conciergerie, où les condamnés à mort passaient la dernière nuit précédant leur exécution ; la venue du prêtre au matin de sa mort, et son discours qu’il a refusé d’entendre… Puis le récit s’arrête pour laisser la mort prendre le relais.

Ce n’est que trois ans après sa sortie que Victor Hugo complètera son livre par une longue préface argumentaire, aussi intéressante et instructive que l’œuvre en elle-même, dans laquelle il expliquera les motivations qui l’ont conduit à écrire ce roman. Il y décrira également quelques scènes d’exécution particulièrement atroces, qui ont de quoi glacer le sang.
Le souhait de Victor Hugo, partagé par nombre d’hommes et de femmes, s’est réalisé… un siècle après sa mort. Le 9 octobre 1981, la peine de mort a été abolie en France.

Morceaux choisis

« Condamné à mort !
Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !
Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. […] Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.
Maintenant, je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort ! »

« Ce journal de mes souffrances, heure par heure, minute par minute, supplice par supplice, si j’ai la force de le mener jusqu’au moment où il me sera physiquement impossible de continuer, cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond enseignement ? N’y aurait-il pas dans ce procès-verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui la condamnent ? Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice ? Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d’un arrêt de mort ? Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence, une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s’est point disposée pour la mort ? Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute que, pour le condamné, il n’y a rien avant, rien après. »

« Tout est prison autour de moi ; je retrouve la prison sous toutes les formes, sous la forme humaine comme sous la forme de grille ou de verrou. Ce mur, c’est de la prison en pierre ; cette porte, c’est de la prison en bois ; ces guichetiers, c’est de la prison en chair et en os. La prison est une espèce d’être horrible, complet, indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa proie ; elle me couvre, elle m’enlace de tous ses replis. Elle m’enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse sous ses serrures de fer, et me surveille avec ses yeux de geôlier. »

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