Qu’est ce qui vous a incité à devenir éditeur?
J’étais journaliste BD (pour Calliope, Pavillon Rouge, BDSelection.com…) et j’étais frustré d’une part de voir s’arrêter les journaux pour lesquels j’écrivais, et d’autre part, de rester relativement passif vis à vis des oeuvres que je voulais défendre. Comme en plus, j’avais toujours eu envie de travailler dans la production artistique, j’ai proposé à Vanyda (L’Immeuble d’en face) et à José Roosevelt (Juanalberto) de les publier. Ils ont accepté, je devais me lancer !
Quels sont les raisons principales qui vous poussent à refuser des manuscrits?
Il y a deux principales raisons qui me font refuser un manuscrit :
une qualité insuffisante et on reçoit vraiment de tout ! Une inadéquation par rapport à notre catalogue : même si l’oeuvre est bonne, on ne saura pas la défendre. A l’inverse, je suis enclins à accepter plus facilement les oeuvres d’auteurs avec qui j’ai déjà travaillé et avec qui une confiance s’est établie. Je peux alors accepter juste au vu de quelques pages (ex : Le Chat du kimono de Nancy Peña, Litost de Domas), surtout quand je sais que la collaboration avec l’auteur est constructive…
Qu’est ce qui vous séduit dans un projet littéraire ?
J’aime la singularité de l’oeuvre, l’émergence d’un propos, d’une personnalité. Une sorte de nécessité à exister.
Si vous aviez un conseil à donner aux auteurs qui cherchent à publier mais sans succès?
Le premier conseil est d’étudier le catalogue des éditeurs. Ils perdent leur temps en m’envoyant un projet d’heroïc fantasy. Le second conseil est d’être à l’écoute des retours que peut leur donner l’éditeur. Un éditeur fera plus confiance à un auteur souple, qui sait rebondir sur ses remarques.
Le troisième est d’être clair sur ses aspirations: s’il veut faire oeuvre personnelle, sans compromis, il doit accepter de ne pas forcément vivre de ses oeuvres. S’il veut vivre de sa plume, il doit être prêt à accepter certaines concessions à l’air du temps pour faire de la BD « vendable » et intéresser un gros éditeur. Certains auteurs ont le bonheur que leur style, leur propos est « naturellement » dans l’air du temps. Ils peuvent tracer leur route sans souci. Mais ils sont rares.
Publiez-vous en majorité des projets que vous aimez ou des BD que le public apprécie particulièrement?
Je choisis d’abord au coup de coeur. Et c’est pour cela qu’être éditeur est pour moi une activité bénévole, que je travaille à côté pour gagner ma vie. Ainsi, je suis libre de choisir ce qui me plaît. Mais, je suis aussi attentif à prendre des oeuvres cohérentes avec le reste du catalogue, donc des oeuvres que les libraires, les journalistes, les lecteurs qui ont déjà apprécié des albums de la Boîte à Bulles, apprécieront sans doute. Il ne faut pas dérouter le public et les libraires.
Pensez-vous que des auteurs de talents peuvent-ils être oubliés lorsque que leur manuscrit arrive par la poste?
Oui, absolument. Je n’ai pas publié énormément de projets ainsi tombés du ciel. Mais si c’est vraiment bien, on craque et on contacte l’auteur. J’ai ainsi reçu par La Poste “Missy” de Rivière et Palluku, “Fikrie” de Joël Alessandra. Mais aussi “L’Inaperçu” d’Alexis Robin, “Béret et Casquette” de Jean-Luc Coudray, Viktor de Tommy Redolfi mais c’étaient des auteurs dont je connaissais déjà le travail. Et par mail, j’ai été contacté notamment par Nancy Peña, Théa Rozjman que je connaissais pas et à qui j’ai très vite dit oui ! Mais c’est vrai que la plupart des auteurs, je les ai connus suite à publication de leurs travaux dans des collectifs, par l’intermédiaire d’autres auteurs.
A ce titre, combien publiez-vous par an de manuscrits qui vous parviennent par courrier?
Sur les 12 à 15 albums publiés par an, j’estimerais le nombre de projets « venus de nulle part » à deux ou trois, maximum. En effet, vu que je suis fidèle aux auteurs déjà publiés, je ne peux pas multiplier les nouvelles collaborations. Et il faut en outre que le projet reçu nous enthousiasme, ce qui est malheureusement assez rare.
Pensez-vous que le marché du livre s’adapte à une mode de genre et de style comme peut l’être « la Harry Potter mania »?
Oui! Il n’est qu’à regarder actuellement la déferlante de bandes dessinées mangaïsantes chez Dargaud par exemple ou toutes les hérésies sur les coulisses de l’actualité…
Quel regard portez-vous sur l’édition numérique?
Distant. Pour le moment, ce sont surtout les blogs qui marchent. Et comme ils ne rapportent rien à leurs auteurs, ils font le plus souvent l’objet d’un ouvrage papier s’ils sont vraiment populaires. Mais je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir…
Pensez-vous que l’émergence de l’édition en ligne est une menace suffisamment inquiétante pour que les éditeurs modifient leur stratégie marketing et tentent de renforcer le rapport que le lecteur entretient avec le livre papier?
Je pense que l’on sera obligé de faire attention à faire de beaux livres, de beaux objets.
Parlez-nous de la dernière publication au sein de votre maison ?
Paraîtra dans quelques jours “Litost” de Domas. C’est un projet qui me tient beaucoup à coeur. Pour de multiples raisons. A l’origine, Litost est un recueil de pages dessinées, pour la plupart à la volée, par Domas sur son carnet de dessins. Ensemble, nous avons fait de ces dessins, de ces histoires, un ouvrage dont nous espérons qu’il saura convaincre de sa cohérence. Son propos intimiste, poétique s’inscrit parfaitement dans la veine que j’essaie de développer à La Boîte à Bulles. Son encrage, aérien laché, aussi. Et son auteur, après de multiples hésitations a enfin trouvé un équilibre créatif qui lui permet de donner le meilleur de lui-même : il vit en faisant de la BD de commande et s’éclate en faisant les pages de BD qui lui tiennent vraiment à coeur.