L’armée gronde dans une sourde indifférence
« L’armée gronde dans une sourde indifférence » par Tristane Banon
Il y a quinze ans, mon frère apprenait le respect à l’armée…L’asocial qu’il était se trouvait brutalement plongé en pleine mixité sociétale. Il découvrait, du même coup, qu’il y avait plus beau et plus riche que lui… Plus moche et plus pauvre aussi. C’est à l’armée de l’air qu’il a découvert, bien après ses années de collège, les plus beaux textes de Baudelaire, Maupassant et Verlaine. Pas courant, mais c’est ainsi. Vous me direz, il aurait pu faire ça à l’école… Oui, mais il ne l’a pas fait, comme beaucoup d’autres qui avaient des amis à voir et des cours à sécher. Seulement voilà, à l’armée, on ne sèche pas et, pour se faire des amis, il faut bien faire semblant de s’intéresser. Là-bas, il a aussi appris l’autorité, les lits au carré et les repas à heure fixe. «C’est le rôle des parents ! »…C’est vrai, mais il me paraît compliqué de traîner en justice les parents à l’autorité déficiente. Le service militaire, j’ai toujours vu ça comme les colonies de vacances ou les camps de scouts : On ne veut jamais y aller, on pleure le jour du départ et, quelques semaines plus tard, on ne veut plus en revenir, en larmes de quitter les camarades, la tête pleine d’expériences et de nouvelles connaissances.
Aujourd’hui, modernisation de l’armée aidant, abandon du service militaire obligatoire. Au passage, professionnalisation de la Grande Muette et maintenant, réforme de la carte militaire…Alors que le Premier ministre affirme sur les bancs de l’Assemblée Nationale qu’il n’appartient pas à l’armée d’aménager le territoire, qui pense encore à la fonction d’intégrateur social de l’uniforme militaire ? Uniforme : nm : Qui est égal, qui présente partout et toujours la même forme, la même manière d’être.
Pour lutter contre la fracture sociale, qui dit mieux ?
Sauf à faire un stage en vue de récupérer les points perdus de son permis de conduire (encore faut-il en avoir possédé un…), où se retrouve-t-on encore mélangés, toutes catégories sociales confondues, en un seul et même niveau, d’égal à égal ?
Alors voilà, dans notre monde de pros, l’armée se technicise. Mais qui va apprendre à mes enfants qu’on n’a toujours pas inventé des chiottes auto-nettoyées, des douches auto-récurées ? Qui va leur apprendre à parler à l’apprenti boucher aussi courtoisement qu’au fils du pharmacien ? Moi, certes.
« Pour les enfants en difficulté d’accord, mais pour les autres, c’était du temps perdu ! » Argument trop entendu autour du café, à l’issue de dîners en ville. Soyons honnêtes, et cessons cinq minutes cette hypocrisie bien-pensante : Les autres, ceux qui n’avaient vraiment rien à y faire, n‘avaient pas trop de mal à se faire réformer…P4 ! Eh oui, si mes vingt-neuf ans se souviennent du célèbre « réformé P4, pour des motifs psychologiques, incompatibles avec le service militaire » c’est bien qu’il a été fréquemment usité. Et quand ce n’était la référence P4, restaient plein d’autres méthodes, de ces excuses plus ou moins légitimes, appuyées en haut lieu par le député ou le sénateur du cru … Quant aux étudiants brillants des écoles supérieures, ils accédaient d’emblée au grade de sous-officier et se nichaient à des postes privilégiés de l’administration militaire, lesquels, tout compte fait, ne leur convenaient pas si mal.
Mais dans la marmite France, Jacques Chirac a cru bon de supprimer de la recette républicaine l’un de ses liants les plus efficaces. La sauce risque d’être quelque peu épaisse à digérer…d’autant que son successeur Nicolas Sarkozy, dans un souci d’adaptation à la défense mondiale globalisée, a décidé, lui, de tout centraliser à Paris…Logique, non ? Inutile d’entraîner des troupes au combat à Barcelonnette, puisque de toutes façons, les Alpes, ce n’est pas la frontière afghane… alors, à tant faire… autant qu’elles patrouillent autour du périphérique !
Certes, il y avait des choses à changer, des réformes à engager dans notre défense nationale. Bien évidemment, le principe des garnisons, qui n’avait pas bougé depuis la seconde guerre mondiale, se devait d’être rafraîchi. Bien sûr, tout ça coûtait beaucoup trop cher, aussi. Mais pourquoi le chef de l’Etat confond-il aussi souvent action et précipitation, énergie et autoritarisme ?
Ce tempérament n’a jamais emporté l’adhésion de l’armée, qui gronde aujourd’hui dans une sourde indifférence. Pas facile de hausser le ton, pour la Grande Muette.
Rompez !
Tristane Banon