« Le Portrait » de Pierre Assouline

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Le Portrait de Pierre Assouline
Un portrait qui en cache tant d’autres et une œuvre d’art qui en contient mille autre

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Si dans « la Rose Pourpre du Caire », film dans le film de Woody Allen, le héros crève la toile pour rejoindre le monde des spectateurs, dans le « Portrait », dernier roman de Pierre Assouline, c’est Betty de Rothschild immortalisée par Ingres, qui quitte un temps le monde figé et muet des œuvres d’art pour nous conter, au cours de près de 300 pages, plus d’un siècle et demi des fastes et des tourments de sa famille, l’une des dynasties financières les plus influentes et secrètes d’Europe.
Conter, car c’est bien l’effet que produit ce trésor littéraire, qui s’est vu décerner le premier prix de langue française peu après sa sortie en octobre dernier. On se délecte en effet de cet ouvrage qui transcrit dans une écriture riche, fine, liée, l’histoire d’une famille financière, à particules, et juive, de surcroît, à l’heure où se trame la grande Histoire. On s’en délecte d’autant plus que cette plume est portée par la voix, le cœur, l’esprit, le souffle d’une femme, qui débute son récit alors qu’elle vient précisément de rendre son dernier souffle et que de son portrait, accroché au 9 rue Laffitte, elle assiste, en témoin silencieux mais éveillé, à la première visite de condoléances… « Ma première volupté de tableau vivant date des visites de condoléances. Car s’il est select de paraître dans certains endroits, il l’est tout autant de se produire dans une grande maison voile de crêpe noir »….Ces quelques lignes résument à elles seules la tonalité profonde de ce roman-parfum, ce roman-champagne, ce roman-bouquet car il est une explosion à lui seul de notes de cœur, de fond, de tête, subtilement entremêlées.
On ne lit pas d’une traite le Portrait de Pierre Assouline…Impossible. On le déguste, on l’abandonne, on le porte en soi, on le reprend, on se pique de plaisir de prendre de temps à autre son dictionnaire pour ne pas perdre une seule donnée de ces phrases ciselées, ourlées, brodées main, et si sobres dans leur délicatesse, leur lucidité, leur causticité, leur tendresse…et leur étonnante modernité. Quelques exemples : évoquant son mari : « S’il est une valeur, une seule qu’il voulut transmettre à ses héritiers, c’est bien celle-là, la solidarité au sein d’une famille envisagée comme un réseau. De la dispersion, elle a fait son ciment »… Etrange résonnance à l’heure d’internet… Plus loin, à propos des nombreux bals et fêtes costumées : « Il y en avait toujours un pour faire bande à part et promener un ennui distingué d’un salon à l’autre remarquable par son splendide isolement, l’air de dire : heureusement que j’étais là, sinon je me serais terriblement ennuyé. Et il y en avait une toujours plus sotte que l’autre que l’on pouvait promener une heure au moins en l’entretenant de la révocation de lady de Nantes, une bien agréable personne en vérité ». Evoquant ensuite les dîners mondains qui rassemblaient toutes les grandes figures de France et d’Europe. « Quand on est la femme du banquier de ce monde-là, il faut s’attendre à être le conservatoire de bien des embarras. L’idéal de la conversation est parfois de parvenir à se taire et de coïncider en silence, au lieu de chercher à tout prix à remplir ce que l’on croit être des temps morts »…Ou plus intime, à propos du général Changarnier avec lequel Betty de Rotshchild eût une longue correspondance. « Le seul signe d’amour qui ne trompe pas, lorsque le visage inspire encore plus de désir que tout autre partie du corps ».
Bref, il y a toutes les facettes de la vie dans le « Portrait » de Pierre Assouline : histoires, Histoire, société, sociologie, psychologie, amour, haine, passion, arts, lettres, savoir vivre, savoir être, management des hommes et des relations humaines, stratégies financières, vie de famille, gestion de l’espace-temps du XIXè siècle à nos jours de Paris (rue Laffitte, rue Saint Florentin….) à Ferrières, en passant par Neuschwanstein… Mais il y a plus encore, une femme, qui a vécu dans son temps et hors de son temps. Une femme d’esprit, vraie et humaine, qui a assumé son destin… sa vie… sa famille… son passé… son présent… et son futur… Une femme qui a porté toutes les émotions de femme avec une noblesse rare de nos jours…
A lire d’urgence…. et très lentement….

Catherine Motol – Février 2008

Auteur : Pierre Assouline
Titre : Le portrait
Editeur : Gallimard
Collection : Blanche
Prix : 18,90 €
Paru le : 13/09/2007

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