Henri Dhellemmes : « Yves Navarre a été étiqueté écrivain homosexuel. Donc on ne lit pas ses livres car les gens pensent que ça ne les concerne pas »

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Les éditions montpelliéraines H&O ont récemment édité les Œuvres complètes d’Yves Navarre, un premier opus qui couvre les années 1971-1974, incluant deux textes inédits. Parallèlement, une association, un Fonds littéraire et de nouvelles éditions de romans de l’auteur disparu en 1994 voient le jour. Un travail colossal de remise en lumière opéré par Henri Dhellemmes, directeur de H&O. Il nous parle de sa passion pour cet auteur qui a marqué les scènes littéraire et sociale des années 70-80.

propos recueillis par

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Pourquoi avoir fait le choix de rééditer Yves Navarre ?

J’ai « rencontré » Yves Navarre dans mon adolescence, c’est un auteur culte pour moi. Quand je suis devenu éditeur, jamais je n’aurais imaginé le rééditer un jour… Quand j’ai su qu’il n’était plus édité j’ai sauté sur l’occasion : j’ai rencontré les ayant-droits et fait le nécessaire. Pour moi, c’est une sorte d’hommage. Quand j’ai lu pour la première fois « Le petit Galopin de nos corps », j’ai été surpris par son ampleur : ça fait trente ans que je fais ce métier, jamais je n’avais lu un texte aussi intense…

Yves Navarre (© Micheline Pelletier-Gamma)

 

Au final on connaît peu Yves Navarre…

Yves Navarre était quelqu’un de très tourmenté, d’assez caractériel. Même s’il avait beaucoup de relations mondaines, il s’est fâché avec ses éditeurs notamment avant de revenir chez Flammarion. Il a été étiqueté écrivain homosexuel, du coup on ne lit pas ses livres car les gens pensent que ça ne les concerne pas, ils ne sont pas intéressés… A l’époque on le fuyait comme Cyril Collard ou Hervé Guibert, c’était la « littérature Sida ». Son lectorat est au final très féminin et j’espère que ces rééditions vont permettre d’élargir son public, il en vaut vraiment la peine.
Puis en 1980, il obtient le Prix Goncourt pour « Le Jardin d’Acclimatation » et en 1992 le Prix Amic de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre…
C’est évidemment mérité. Avec « Le Jardin d’Acclimatation », on est dans la limite autobiographique, dans l’écriture de soi. On sait que son père a eu le projet de le faire lobotomiser, ça a été un traumatisme. S’il y a une fêlure chez lui, c’est celle-là.

 

« Il a été étiqueté écrivain homosexuel, du coup on ne lit pas ses livres car les gens pensent que ça ne les concerne pas, ils ne sont pas intéressés… »

 

Ce livre dresse le portrait d’une famille déchirée par cette décision du père… Dans la réalité, qu’en est-il ?

Quand son seul frère encore vivant nous a contactés, on a découvert un autre angle de vue sur sa famille. Yves Navarre adorait par exemple passer du temps avec ses petits neveux à Noël, mais on sait que certains membres de sa famille ont mal vécu « Le Jardin d’Acclimatation ». La figure du père est plus complexe qu’il n’y paraît : dans le livre il y a d’ailleurs une certaine humanité, Yves Navarre tenait beaucoup à cette complexité.

 

Il y a eu aussi son engagement politique…

Yves Navarre était une personnalité de gauche. Mais il voulait surtout une reconnaissance sociale car il a toujours eu du mal avec la politique stricto sensu.

 

«L’association Les amis d’Yves Navarre permet de créer de l’écho, du coup, on s’aperçoit de l’intérêt que suscite l’auteur»

 

Parlez-nous de l’association, Les amis d’Yves Navarre, quel est son objectif ?

L’association est née en 2016. C’est une action importante car c’est une base, la structure qui nous permet d’organiser les colloques internationaux et de lancer les Œuvres complètes. De quatre adhérents nous sommes aujourd’hui 80, c’est pas mal ! La création de l’association a fait que je n’étais plus un éditeur isolé et je découvre des passionnés, notamment lors des salons. On a fouillé les archives pour la création du Fonds littéraire Yves Navarre l’année suivante. C’est aussi un lien avec le public. Dans les colloques que nous organisons, il y a des lecteurs, des artistes, des universitaires, aucune hiérarchie, même si Yves Navarre, paradoxalement, ne voulait pas être décortiqué car il pratiquait le culte de la spontanéité.
L’association permet de créer de l’écho, du coup, on s’aperçoit de l’intérêt que suscite l’auteur. On a le soutien de mécènes dont on a besoin pour les colloques et les Œuvres complètes comme l’Institut de France ou la Fondation suisse Jan Michalski. Même les petits mécènes sont aussi importants car si cela s’avère très difficile pour une maison d’édition de porter un tel projet, quand c’est l’association, tout se passe bien. Puis Yves Navarre a cette dimension internationale, il est connu en France, en Belgique, en Irlande, en Italie, au Canada, au Québec… Tous les intervenants offrent une dynamique supplémentaire dans ce travail autour de l’auteur.

 

Yves Navarre « Oeuvres Completes » (H&O Editions)

On a l’impression, en dépit de l’édition des Œuvres complètes, qu’il y a encore beaucoup de richesses à partager autour d’Yves Navarre…

En tant qu’éditeur, je veux qu’on construise un monument Yves Navarre ! Les Œuvres complètes, c’est 1360 pages, mais je souhaite éditer des poches pour les étudiants. L’Université de Galway a par exemple mis l’auteur dans son programme, c’est super. Partout, il y a pas mal de créativité autour d’Yves Navarre, des œuvres de musique, des plasticiens… Même dans l’association, un jeune a découvert Le petit Galopin de nos corps et depuis, il nous a avoué avoir tout lu ! Tous les jours on découvre des pans de sa vie, des œuvres, on s’aperçoit que tout s’est délité à grande vitesse et qu’effectivement, il y a encore beaucoup de travail pour remettre cet auteur sur le devant de la scène. C’est vraiment passionnant.

 

« Yves Navarre était une personnalité de gauche »

 

Le Fonds littéraire Yves Navarre s’est d’ailleurs récemment enrichi à Montpellier…

Oui, le Fonds a reçu deux donations importantes le 24 septembre 2019. Gilles Gudin de Vallerin, directeur des médiathèques et du livre de Montpellier Méditerranée Métropole et les responsables de l’association Les amis d’Yves Navarre ont accueilli Anne de Tienda et Claude Gubler à la médiathèque centrale Emile-Zola. Ces amis intimes d’Yves Navarre qui ont tous deux entretenu une importante relation épistolaire avec lui, ont en effet décidé de confier leurs archives – riches correspondances et tapuscrits – au Fonds créé à l’automne 2017 à Montpellier.

De nouvelles publications sont-elles en préparation ?

Nous travaillons actuellement sur le volume 2 des Œuvres complètes qui sera publié en septembre 2020, à l’occasion du 80ème anniversaire de la naissance d’Yves Navarre.

 

Yves Navarre « Le Jardind d’acclimatation » (© H&O Editions)

Œuvres complètes 1971-1974
Yves Navarre
Édition préparée et présentée par Sylvie Lannegrand et Philippe Leconte
1360 pages – 42 €
H&O éditions

Le jardin d’acclimatation
Nouvelle édition enrichie d’une préface de Tatiana de Rosnay
Yves Navarre
448 pages – 9,90 €
H&O éditions

Les éditions H&O
https://ho-editions.com/
Les amis d’Yves Navarre
www.amis-yvesnavarre.org

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