Sylvie Brodziak : « Clemenceau était patriote mais pas nationaliste »

Partagez l'article !

Dans le cadre de l’exposition « Clemenceau, le courage de la République » qui vient de s’ouvrir au Panthéon, Sylvie Brodziak, commissaire de l’exposition ( également professeur des Universités en Littérature française et spécialiste de Clemenceau), nous éclaire sur le personnage passionnant que fût Georges Clemenceau. Ce républicain forcené apparaît aujourd’hui comme une figure historique « constitutive de l’imaginaire français » et son parcours nous apprend beaucoup sur l’idéal républicain.

propos recueillis par

Partagez l'article !

Qu’est ce qui vous a amené dans votre carrière à vous intéresser et à vous spécialiser sur le personnage de Clemenceau ?
Après une première vie d’historienne dix neuvièmiste et dont la première thèse en histoire a été dirigée par une des plus grande jaurésienne du XXème siècle Rolande Trempé ( Université Jean Jaurès à Toulouse) , je me suis intéressée à l’écriture de l’histoire et des mémoires, et passionnée par la littérature, j’ai découvert que Clemenceau avait une oeuvre littéraire. J’ai donc fait la seule thèse sur Clemenceau écrivain. Puis je ne l’ai plus quitté car c’est un homme pluriel, à l’immense curiosité et culture.

 

« Nous ne voulions pas panthéoniser par défaut Georges Clemenceau »

Dans cette exposition sur Clemenceau organisée au Panthéon, comment avez-vous appréhendé sa construction et son fil rouge ? Quels sont les thèmes qui vous paraissaient importants de mettre en avant pour une meilleure compréhension du personnage ?
Nous avons voulu cette exposition à la fois pédagogique, chronologique, accessible à tous et à toutes et étonnante. Nous ne voulions pas panthéoniser par défaut Georges Clemenceau.
Aussi comme c’est un personnage que l’on ne connait vraiment que sous le nom de Père la Victoire, et bien nous avons raconté sa longue vie. Il fallait montrer son histoire familiale et intime, son rôle dans la construction de la République, ses combats, ses échecs, ses fragilités et ses passions pour les arts, le théâtre et la littérature.

© Didier Plowy – Centre des monuments nationaux

 

Comment permet-on à une exposition comme celle-ci d’être accessible au plus grand nombre ?
D’une part, en rédigeant des textes accessibles et clairs, même si parfois ils sont trop brefs et résument trop mais également en montrant au public des documents authentiques et des tableaux authentiques, des photographies et des objets familiers qui parlent aussi au public.

Pourquoi ce titre « Clemenceau, le courage de la République » ?
J’ai donné ce titre pour quatre raisons, le courage est la vertu la plus importante aux yeux de Clemenceau. Le courage, il en faut pour construire la République et la démocratie de façon durable. Il faut avoir du courage pour agir dans la République. Il faut accepter non seulement de prendre des risques mais aussi de ne pas être aimé. Enfin, la République peut être fragile, et il faut avoir toujours le courage de la défendre.

 

« Selon Clemenceau, lorsque la République est en désordre, les premières victimes sont les plus faibles »

 

Quelles sont les caractéristiques qui attestent de l’idéal républicain pour lequel vivait Clemenceau ?
L’idéal républicain, c’est de réaliser la devise républicaine, en mettant au coeur de son combat la justice. L’ensemble du projet politique de Clemenceau est de résoudre la question sociale en respectant les libertés. Mais cela n’est possible que dans une République sereine, en ordre républicain car, selon lui, lorsque la République est en désordre, les premières victimes sont les plus faibles. En fin, Clemenceau, homme de La Convention, a un respect sacro-saint du suffrage universel et de la représentation nationale. La République, c’est aussi défendre l’intégrité du territoire, mais la République doit être ouverte et accueillante car l’étranger enrichit la nation. Lui-même a le goût de l’autre et il va beaucoup voyager.

 

« Clemenceau, homme de La Convention, a un respect sacro-saint du suffrage universel et de la représentation nationale. La République, c’est aussi défendre l’intégrité du territoire »

 

En quoi le voyage de Clemenceau aux USA a-t-il forgé sa personnalité politique et son sens de la démocratie ?
Ce voyage est fondamental. Il arrive en pleine reconstruction, donc il rencontre les séquelles de la guerre civile qu’il cherchera à tout prix à éviter en 1870. Il découvre également l’esclavage. Il découvre aussi combien il est difficile de garder la démocratie sereine, il arrive en pleine campagne électorale après l’assassinat de Lincoln. Cet assassinat lui démontre que la démocratie peut être constamment menacée.

 

© Didier Plowy – Centre des monuments nationaux

 

Même question au sujet de la guerre de 1870. En est-il l’héritier ?
Clemenceau était contre l’armistice de 1870 car le territoire issu de la Révolution française est amputé. De 1870, il hérite de la haine et la peur de la guerre. Clemenceau n’est pas revanchard. Jusqu’en 1911, il croit dans les négociations avec l’Allemagne. Il les pratique lors de sa première présidence en 1906 avec l’affaire du Maroc. En revanche, si l’ennemi veut la guerre, il faut défendre la France comme le peuple de Valmy l’a défendue. Clemenceau est patriote mais pas nationaliste.

Pouvez-vous nous éclairer sur l’inclinaison forte de Georges Clemenceau pour le journalisme ?
Clemenceau aime écrire. C’est incontestable. Il commence donc par s’opposer à l’Empire en faisant non pas des articles politiques mais de la critique du théâtre bourgeois aimé par Napoléon III. Il excelle dans l’écrit court car la plume est une arme comme l’épée. A partir de 1893, il va faire ce qu’il désire le plus : tenter l’écrit long. C’est un échec… mais c’est un homme des médias. Il a le sens du public, de la salle dans ses discours. II sait qu’avec le développement de l’alphabétisation, de la presse et de l’industrialisation, on va prendre de moins en moins de temps pour lire donc il donne le conseil au jeune journaliste d’écrire pour un homme qui lit son journal le temps d’une voyage en autobus, sur l’impériale. Donc vite.

 

« Clemenceau est un homme des médias. Il a le sens du public, de la salle dans ses discours. II sait qu’avec le développement de l’alphabétisation, de la presse et de l’industrialisation, on va prendre de moins en moins de temps pour lire »

 

En quoi, selon vous, Georges Clemenceau est-il « constitutif de l’imaginaire français » ?
Clemenceau appartient d’abord à l’imaginaire politique : le vainqueur, de la guerre, l’homme charismatique, déterminé, le chef énergique, celui qui a toujours pris ses responsabilités, courageux, « irréductible » , un homme sincère puis il appartient de façon extraordinaire au roman familial des Français : l’homme providentiel qui rassure, un peu comme un grand père, Je suis sans arrêt interpellée par des gens qui ont, disent-ils, un grand père ou un grand oncle qui a connu Clemenceau.

 

© Didier Plowy – Centre des monuments nationaux

 

Selon vous, Georges Clemenceau n’a jamais oeuvré pour sa postérité. Il aurait brûlé la plupart des dossiers. Pourquoi ?
Clemenceau a une conscience aigüe de la finitude de l’homme. Il croit dans le progrès. Il faut s’appuyer sur le passé mais tout change. Il faut faire que ce changement doit le plus favorable pour arriver à un idéal. Clemenceau n’est pas un nostalgique. Il a une vision optimiste de la vie et pense que chaque génération doit jouer son rôle.
Quand il a renoncé à se présenter à la présidence de la République, il ne joue pas le rôle de grand sage. Il quitte définitivement les affaires. Il ne revient qu’en 1922 par le voyage aux USA pour rappeler à ceux-ci qu’il est dangereux de se replier sur eux mêmes.
Et puis il y a cette phrase :  » Vous avez vu ? Voilà la conclusion de tout ce que vous écrirez sur moi : un trou et beaucoup de bruit pour rien… » ( Clemenceau 1928)

Et pourtant, il reste une figure centrale de la France moderne. Pourquoi selon vous ?
Parce qu’il est complexe. Parce qu’il est clivant, c’est un homme du dissensus, du débat et il suscite des réactions. Ses actions peuvent être encore le sujet de controverses.
Ensuite ses combats sont toujours actuels : le rôle de la presse ( liberté, respect de la loi de 1881 même en cas de terrorisme, anarchisme 1892 1894) , la culture et l’éducation au coeur de tout : c’est cela et seulement cela qui construit un homme, la séparation des Églises et de l’État : l’impératif de laïcité ou encore de la République accueillante…

 

« Clemenceau est clivant, c’est un homme du dissensus, du débat et il suscite des réactions. Ses actions peuvent être encore le sujet de controverses »

 

Clemenceau n’était-il pas quelque part un homme politique iconoclaste pour cette époque ?
Il n’était pas vraiment iconoclaste car il avait des combats communs aux Républicains. En revanche, il est iconoclaste dans la méthode, le refus de tout parti car un parti aliène l’individu qui doit suivre une ligne. Clemenceau fut un homme souvent seul en politique avec un projet collectif.

Georges Clémenceau  » Le courage de la République » L’ouvrage dédié de l’exposition – Editions du Patrimoine

 

Dans une interview donnée récemment sur le site centenaire.org, l’ancien diplomate Jacques-Alain de Sédouy déclarait, « qu’il reproche à Clemenceau d’avoir manqué de vision pour l’avenir, (lors du traité de Versailles) il a été un peu trop l’homme de la revanche de 1871 ». Quel est votre avis à ce sujet ? Et quel rôle a joué Clemenceau dans le Traité de Versailles, selon vous ?
Je ne suis pas d’accord sur la revanche et je l’explique en partie plus haut. D’abord, on ne fait pas un traité tout seul. La stratégie de Clemenceau est celle qu’il a affirmée en public ou en privé de novembre 1917 à novembre 1918 : faire une paix qui assure la sécurité de la France à l’avenir, face à une Allemagne vaincue mais plus peuplée et plus puissante sur le plan industriel.
Pour cela, il s’efforce de maintenir jusqu’au bout l’union des trois grandes démocraties occidentales, union qui, à ses yeux, est la meilleure garantie de la sécurité française à long terme. En effet, le républicain Clemenceau croit en la force de la démocratie, et pense que, triomphante partout, en Europe elle sera capable de s’opposer à tout retour de forces réactionnaires, à toute tentative de restauration de pouvoir autoritaire et belliciste. L’union des démocraties est, à ses yeux, le seul rempart contre la guerre.

 

« En effet, le républicain Clemenceau croit en la force de la démocratie, et pense que, triomphante partout, en Europe elle sera capable de s’opposer à tout retour de forces réactionnaires, à toute tentative de restauration de pouvoir autoritaire et belliciste. L’union des démocraties est, à ses yeux, le seul rempart contre la guerre »

 

Son action lors de la paix de Versailles est critiquée dès 1919 et l’est jusqu’à nos jours. Or Clemenceau savait que le traité était imparfait. Le 25 septembre 1919, lors de la discussion de ce dernier, à la Chambre, il est le premier à le constater : « Je n’arrive pas ici pour défendre ce traité comme une œuvre réclamant des acclamations enthousiastes. Non ! C’est une œuvre nécessairement imparfaite.»
Aujourd’hui, nombreux sont les travaux d’historiens qui font un sort à l’idée d’une paix bâclée et d’un mauvais traité. De même, l’argument qui consiste à faire endosser au seul Clemenceau les imperfections du traité paraît de nos jours peu sérieux. En effet, la paix de Versailles fut faite à plusieurs. Les travaux furent longs et dès le lendemain de l’armistice, les délégations se mirent au travail. Les éternels chefs d’accusations concernant Clemenceau sont désormais à nuancer. L’historien Vincent Laniol dans le numéro spécial de l’Histoire consacré à 1918 conclut : «Clemenceau pouvait difficilement imposer le démantèlement de l’Allemagne à des Alliés réticents ou à l’inverse élaborer une paix plus « douce » face à une Allemagne jugée comme dangereuse aux yeux de nombreux Français. Clemenceau a surtout voulu maintenir l’alliance de guerre avec les Anglo-Saxons dans le but d’obtenir une aide économique pour la reconstruction de la France et de garantir la sécurité de son pays. A cet impératif, il a accepté des compromis ».

 

« Aujourd’hui, nombreux sont les travaux d’historiens qui font un sort à l’idée d’une paix bâclée et d’un mauvais traité. De même, l’argument qui consiste à faire endosser au seul Clemenceau les imperfections du traité parait de nos jours peu sérieux »

 

Pour finir, quelles sont les lectures et les documents que vous conseilleriez pour aller plus en avant et mieux comprendre Clemenceau?
Je peux vous indiquer ma biographie « Sylvie Brodziak, Clemenceau, PUV, 2015 » mais également les ouvrages suivants sur le sujet :

– TOMEI, Samuël, Clemenceau au Front, Ed. Pierre de Taillac, 2014.
– WINOCK, Michel, Clemenceau, Perrin, 2011.
– DUROSELLE, Jean- Baptiste, Clemenceau, Fayard, 1988. ( encore incontournable )
– DUVAL STALLA, Alexandre, Claude Monet, Georges Clemenceau, une histoire, deux caractères Biographie croisées, Gallimard, 2010.
– GARRIGUES, Jean, Le monde selon Clemenceau, Tallandier, 2014
– JEANNENEY, Jean Noël, Clemenceau, Dernières nouvelles du Tigre, CNRS Editions, 2016.

 

Exposition «  Clemenceau, le courage de la République »

INFORMATIONS PRATIQUES :

Du 31 octobre 2018 au 10 février 2019
Entrée de l’exposition comprise dans le billet du monument
Gratuit pour les moins de 26 ans (ressortissants de l’Union Européenne)
Plein tarif : 9 €
Tarif réduit : 7 €
Bonus : Profitez d’une entrée demi-tarif au musée Clemenceau grâce à votre billet Panthéon.
Lieu : Panthéon
Place du Panthéon
75005 Paris
Partenariat entre le Centre des monuments nationaux et le musée Clemenceau
Le site officiel du Panthéon www.paris-pantheon.fr

Le site officiel du Musée Clémenceau

 

( Crédit Photos Exposition – © Didier Plowy – Centre des monuments nationaux / Crédit Photo @ Sylvie Brodziak – Centre des monuments nationaux )

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à