François Floret  : « La Route du Rock, c’est 28 ans de travail »

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Du 16 au 19 août 2018, le célèbre festival malouin La Route du Rock entamera sa 28ème édition en rockeuse compagnie (Patti Smith, Charlotte Gainsbourg, Nils Frahm, Etienne Daho, Phoenix…). Putsch a rencontré François Floret, son directeur et programmateur qui évoque l’histoire du festival, son ADN et son ancrage breton.

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Vous voilà déjà à la 28ème édition de La Route du Rock. Comment l’aventure a débuté ?
C’est d’abord 28 ans de travail ! Aujourd’hui encore, c’est l’association Rock Tympans qui gère le festival. Tout a commencé en 1986 à Rennes, on organisait des concerts pour défendre à l’époque la Cold Wave et plus globalement la New Wave. Petit à petit, on a voulu vivre d’autres aventures et de mon côté, j’ai rejoint une radio rock qui s’appelait Canal B (B pour Bruz, un village des environs de Rennes). On était alors en pleine libération des ondes avec l’émergence des radios libres. J’étais animateur de l’émission « Sale temps pour les hits » avec Stéphane Ridard (Président de Rock Tympans). C’est alors qu’on a rencontré Ludovic Renoult, un Malouin. Avec lui, on a organisé beaucoup de concerts à Saint-Malo et à Rennes puis on a très vite voulu un événement plus consistant… On a donc créé La Route du Rock, dans l’idée d’un rapprochement entre les deux villes. A Rennes, il y avait déjà les Transmusicales qui explosaient, il y avait peu de place pour un autre gros événement. On a donc décidé de partir sur Saint-Malo et en 1991, on organisait des concerts dans des petites salles, j’entends par là des MJC !

En 1993, on programme Radiohead dans une discothèque à Rennes et on rencontre Bernard Lenoir (l’animateur mythique de France Inter et des Enfants du rock). A l’époque, il était impliqué sur les Eurockéennes dans lesquelles il ne se reconnaissait plus et il avait entendu parler de nous. A partir de cette belle collaboration, nous sommes partis sur un festival l’été parce que Bernard Lenoir souhaitait enregistrer et diffuser les concerts sur France Inter.
Tout s’est enchaîné ensuite avec cette même année, notre arrivée dans ce lieu incroyable qu’est le fort Saint-Père : ça n’a pas été tout rose mais la mairie nous a finalement fait confiance et nous a laissés faire nos preuves. Ce n’était évidemment pas la même logistique mais on a réussi, avec Noir Désir en tête d’affiche ! 93, c’était donc la quatrième édition mais la première du festival dans sa forme actuelle. Au fil des ans, on l’a peaufiné jusqu’à faire, depuis 2012, la soirée inaugurale du jeudi soir dans la salle de concert La Nouvelle Vague de Saint-Malo qu’on gère aussi.

En quelques chiffres, La Route du Rock, ça donne quoi ?
On accueille en moyenne entre 20 000 et 25 000 personnes sur l’édition d’été, maximum 3 000 festivaliers l’hiver. On est évidement pas sur les mêmes enjeux. En été, on a 600 bénévoles, une équipe de stagiaires en production, 100 intermittents et un budget de 2,2 millions d’euros. En hiver, le budget est de 150 000 euros. L’équipe permanente est constituée d’une dizaine de personnes.

« La seule question qu’on se pose est de savoir si l’artiste est cohérent avec le festival »

On a l’impression que vous poussez le curseur de plus en plus loin, comme en témoignent les têtes d’affiche de cette édition : Patti Smith, Phoenix, Charlotte Gainsbourg, Etienne Daho…
Et Nils Frahm, qui un artiste incroyable ! Mais c’est une volonté, oui. C’est aussi en réaction à une édition 2016 ratée pour des raisons de disponibilités et de coupes budgétaires… On n’a pas réussi à décrocher de grands noms cette année-là, on a perdu de l’argent et nous nous sommes rendus compte que sans tête d’affiche, ça devient difficilement viable…
On a rectifié le tir l’année suivante avec la programmation de PJ Harvey. Et on assume totalement cette volonté de se faire plaisir avec de grands noms en gardant notre ADN « découverte ».
Patti Smith, tous les ans on veut l’avoir ! Et cette année, les planètes se sont alignées. Phoenix sont des amoureux du festival et on est amoureux d’eux ! Ils sont venus il y a onze ans avec Air, ils savent ce que ça représente. Nils Frahm, comme je l’ai dit, c’est tout simplement un grand bonhomme, très atypique, qu’on défend. C’est un virtuose du clavier avec ce mélange de musiques classiques et contemporaines… On assume totalement de mêler le « grand » et la découverte.

Justement, n’avez-vous pas peur de perdre votre âme « indie » ?
On n’a pas peur du spectre artistique. On prend le risque que les puristes se détournent mais franchement, ce serait snob de dire que ces artistes n’ont pas leur place dans notre festival. Ca nous arrive d’être catalogués par certaines personnes qui disent qu’il y a trop de têtes d’affiche. C’est oublier que nous avons programmé des groupes peu connus à l’époque comme M83 ou Placebo… On connaît leur trajectoire depuis. Encore une fois, c’est totalement assumé. On programme des artistes peu connus qu’on défend, pourquoi l’inverse ne serait pas possible ? La seule question qu’on se pose est de savoir si l’artiste est cohérent avec le festival. Etienne Daho est, à la base, un rockeur indé rennais. Charlotte Gainsbourg a sorti un excellent dernier opus produit par le non moins excellent Sebastian dont je suis depuis longtemps le travail… Ils ont tout à fait leur place sur La Route du Rock !

La collection été diffère-t-elle de la collection hiver ? En quoi proposer deux éditions dans l’année est-il important pour vous ?
En fait, l’édition d’hiver est née en 2006 d’une frustration de ne programmer qu’une trentaine d’artistes par an ! Mais elle a surtout vu le jour après le festival de 2005, une de nos meilleures éditions avec la programmation de The Cure. Quel souvenir ! Plus de 27 000 personnes étaient au fort Saint-Père et on s’est dit que c’était l’année où il fallait se lancer : on était motivés, la mairie nous suivait, la collection hiver est née. Ce qui diffère ? Principalement la taille de l’événement, forcément plus contraignant en hiver. Dans une salle de 1 000 places, on ne peut pas programmer les mêmes têtes d’affiche que dans le fort. Mais on est dans la même dynamique en terme de programmation, on prend simplement en compte la jauge.

Quel type de public accueillez-vous sur La Route du Rock ?
S’arrêter à un public de connaisseurs comme on le dit souvent, c’est un peu snob et prétentieux. Ce sont surtout des passionnés de musique, de musique indé, de rock. Le public est vieillissant, c’est vrai, on s’en rend compte quand certains débarquent avec leurs enfants ! Alors il faut se renouveler sans cesse. C’est pourquoi on met plus d’électro : ça rajeunit le public. Mais c’est toujours en cohérence avec nos choix artistiques. Prenez Ellen Alien, Jungle ou Veronica Vasicka cette année : ce sont des univers riches qui rentrent totalement dans l’esprit du festival.

« J’aimerais qu’il y ait plus de discussions
entre bretons »

Comment se positionne La Route du Rock dans la programmation des grands festivals de Bretagne, voire nationaux ? En Bretagne, on pense aux Vieilles Charrues, au Hellfest…
La plupart sont des mastodontes et ils sont esthétiquement très différents. Il n’y a pas de concurrence entre nous, on mène même des collaborations techniques, notamment avec Les Vieilles Charrues qui est un beau projet, peut-être plus fédérateur. C’est un vrai miracle ce qui s’est passé à Carhaix et beaucoup de festivals se sont engouffrés dans la brèche avec plus ou moins de succès, mais Les Vieilles Charrues, elles ont créé une dynamique. En plus, c’est des amis, le directeur a été bénévole sur La Route du Rock ! C’est très éloigné de ce qu’on fait mais je salue leur succès.
Pour le reste, les propositions sont tellement larges qu’on n’est pas en concurrence, on entretient des rapports cordiaux. Pour moi, un des plus beaux festivals en France reste les Eurockéennes de Belfort.
Alors bien sûr, en Bretagne, il m’arrive de pousser des coups de gueule comme quand Fête du bruit à Landerneau est programmé aux mêmes dates que nous… J’aimerais surtout qu’il y ait plus de discussions entre bretons !

Est-ce qu’il y a des nouveautés que l’on peut attendre cette année ?
Je dirais plutôt qu’on continue à peaufiner. Nous nous sommes surtout consacrés à un meilleur accueil du public avec le développement du Cashless, ce portefeuille électronique qui simplifie tout achat pendant le festival et qui est intégré à la puce du bracelet d’entrée, activable et rechargeable en amont sur notre site internet.
Côté nouveautés, on propose cette année une expo photos d’Etienne Daho à partir de mi-juillet. C’est une partie de l’expo de la Philharmonie de Paris « Daho l’aime pop ! » : la pop française y est racontée en photos.
Puis Apple nous a cédés les droits pour diffuser le film Horses de Patti Smith que les festivaliers pourront voir en exclusivité. Il sera diffusé en présence de la chanteuse et une conférence suivra. Je n’oublie pas les concerts gratuits sur la plage de Bon-Secours, la plus belle de Saint-Malo ! Il y aura enfin un tournoi de sport le dimanche, avec du foot, du rugby et du dodge-ball et tout ça se passe dans une super ambiance… On fait ça pour bien finir le festival ou se finir tout court !

Êtes-vous attaché à votre ligne « pirate et indépendante » ? Comment le restez-vous aujourd’hui ?
C’est un peu une étiquette qu’on nous colle. Même si on revendique notre côté corsaire ! Notre logo est la reprise d’un logo des années 70, à l’époque où l’industrie du disque s’inquiétait de l’arrivée des cassettes, c’était le « How Taping Is Killing Music ». Des décennies plus tard, on a eu les mêmes inquiétudes avec l’arrivée du MP3, c’est un éternel recommencement. Puis la tête de mort est un clin d’œil à notre côté corsaire. On est plutôt un village d’irréductibles Gaulois, c’est un peu ça. On est totalement indépendants et ça fait bien longtemps que nous n’avons plus de pression de toute sorte. La seule pression que l’on se met est de s’améliorer. Et de continuer.

La Route du Rock
Saint-Malo
Du 16 au 19 août 2018
www.laroutedurock.com

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