VON GRAFENBERG David ( @Philippe Matsas / Leemage / Editions Héloïse d'Ormesson )

David von Grafenberg : « La sexualité en dit bien plus sur nous qu’on ne l’imagine ou ne le suppose »

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Est-ce parce qu’il a travaillé dans le monde de la mode que David von Grafenberg nous offre un roman qui pourrait s’apparenter à une collection de haute couture tant il est élégant et raffiné ? Lors de rencontres avec les mères de ses élèves, du temps où il était chargé de la discipline dans un collège catholique, il recueille des confidences qui lui inspirent « Madame de X ».

propos recueillis par

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Un titre énigmatique qui fait penser au fameux « Madame de », de Louise de Vilmorin. L’histoire ? Anne, la quarantaine, divorcée, deux enfants, décroche un poste dans une librairie en Toscane. Là-bas, elle se lie avec une jeune étudiante qui l’invite à vivre des aventures sexuelles. D’après la légende italienne, se donner tour à tour à cinq hommes permettrait de réaliser son rêve. Anne se lance, mais elle ne tarde pas à découvrir qu’elle a été l’objet d’une horrible machination. A la différence avec « Les liaisons dangereuses », Anne surmonte l’épreuve et y voit une source d’épanouissement, d’émancipation. Tant il est vrai que ceux qui vivent leurs fantasmes se sentent apaisés, réconciliés avec eux-mêmes. Un beau portrait de femme prisonnière de son milieu, de ses principes, en quête de beauté, de liberté et d’amour. Une écriture subtile et sensuelle. Sur le fil, on vit de l’intérieur les états d’âme, les peurs, les désirs, les souvenirs et l’intimité d’une belle de jour, une romantique, une femme, tout simplement, forte et fragile à la fois. Chapeau à l’auteur de s’être si délicieusement glissé dans sa peau !

Racontez-nous la rencontre qui a inspiré ce roman ?
Lorsque je travaillais dans l’enseignement catholique j’ai rencontré un grand nombre de femmes. Elles venaient dans mon bureau pour me parler des difficultés de leurs enfants. Avec le temps, un lien sincère s’est tissé et elles m’ont confié leur réalité. Madame de X est une de ces mères de famille, ou toutes à la fois… En tous cas, elle porte en elle toute la tendresse qu’elles m’ont inspirée.

 

Aviez-vous déjà l’idée d’écrire un roman sur une femme en quête de liberté ? Sur une manipulation, comme dans « Les liaisons dangereuses » ?
J’avais l’idée mais surtout l’envie d’écrire sur une femme d’une quarantaine d’années, parce que je trouve leur beauté et leur fragilité très inspirante. Très émouvante. Pour ce qui est de la manipulation, ayant été victime d’une machination dans le cadre professionnel, j’ai pu en mesurer la violence mais également à quel point cela exacerbe vos sentiments. Le parallèle que vous faites avec « les Liaisons Dangereuses » est très flatteur et je n’aurai jamais osé y songer mais ce qui les unit est effectivement cette manipulation née de la frustration, de la peur viscérale de l’amour.

Comment avez-vous construit Madame de X et comment vous êtes-vous glissé dans la peau d’une femme ?
J’ai écrit ce livre à un moment où j’ai dû reconstruire ma vie. Je voulais un modèle, un exemple et je voulais poursuivre ces moments d’échange, d’intimité avec les femmes que j’avais rencontrées alors j’ai imaginé le livre que j’aurais voulu lire…

Que diriez-vous de la psychologie de Madame de X ?
Ce qui fait sa force c’est d’avoir compris, par chance et de façon assez instinctive, qu’elle restait prisonnière de schémas, de modes de fonctionnement qui n’avaient plus lieu d’être, qui l’avaient protégée peut-être étant jeune mais qui adulte s’avéraient être des entraves. Et elle doit son énergie, sa combativité à son objectif : celui d’une vie lumineuse et épanouie.

Ressemble-t-elle à beaucoup de femmes qui ont renoncées à leur autonomie ?
Au départ oui, dans la mesure où elle ne se rend même pas compte à quel point elle est prisonnière de son éducation, des craintes de ses parents. Anne n’a rien d’exceptionnel en ce sens où elle est une femme comme il y en a tant, sa singularité vient de son affranchissement, du fait qu’elle accepte de vivre ce à quoi elle aspire mais aussi ce que la vie lui offre et qu’elle interroge.

 

 

Pensez-vous que la libération de la femme est loin d’être acquise ?
C’est l’épanouissement qui est très loin d’être acquis. Nous devrions tous aspirer à ça fondamentalement et pourtant tant de femmes mais d’hommes aussi se l’interdisent. Il faut dire que cette quête n’est pas évidente. Et il n’est pas facile de trouver le chemin, les interlocuteurs qui nous correspondent. Je crois que le bonheur est un combat qui nécessite bien plus de courage que le malheur. Pour répondre à votre question, oui la libération de la femme est très loin d’être acquise. Toutefois je suis optimiste, la sensibilité des femmes est une force et une arme redoutable.

 

« La libération de la femme est très loin d’être acquise. Toutefois je suis optimiste, la sensibilité des femmes est une force et une arme redoutable »

 

Y a-t-il chez Madame X une faille qui expliquerait qu’elle se laisse piéger ?
Lorsque vous êtes à l’étranger, vous êtes beaucoup moins à même de cerner le caractère des gens. Vous êtes sans défense, plus vulnérable mais aussi plus spontané. C’est une bénédiction et une fragilité. Toutefois, je crois qu’il était très difficile de ne pas tomber dans le piège. Lorsque quelqu’un veille sur vous, est si prévenant, si présent, à ce point si disponible à votre écoute, vous ne pouvez que lui faire confiance. Sa seule faille finalement aura été de vouloir retrouver le chemin amoureux… Le désir est un inconnu, seuls ceux qui l’associent au danger se seraient tenus à l’écart de cette légende.

 

Comment vit-elle ses aventures successives avec des hommes ? Comme un jeu, une libération, une revanche sur le passé ?
Elle les voit comme des opportunités que la vie lui offre. Elle veut vivre, les vivre, profiter de ces rencontres. Il y a cette phrase dans le texte qui illustre, il me semble, très bien cela : « J’avais l’âge où l’on décide sciemment si l’on s’autorise le désir ou si l’on s’abstient. Se retirer de la question du désir ne se résume pas à abdiquer de la vie. Il s’agit juste d’occuper une autre place, d’avantage tournée vers les autres. C’est la place du dévouement. Moi je n’avais pas été assez émue, je n’avais pas assez vécu. J’ai choisi de penser d’abord à moi. »

 

Diriez-vous qu’elle a été trahie, manipulée ? Ou qu’après la colère, elle surmonte le déshonneur parce qu’elle a pu vivre des expériences audacieuses et évoluer ?
Elle a été trahie, manipulée, ça ne fait aucun doute. Mais elle a su surmonter cette épreuve. D’une certaine façon c’est un peu un rite initiatique. Elle est devenue la femme qu’elle est, cette femme droite et épanouie, parce qu’elle n’a pas voulu se laisser abattre. Cette machination l’a poussée à accepter et assumer celle qu’elle était et c’est à partir de là qu’elle a pu parvenir à ses fins : « retrouver l’enfant ensoleillée qu’elle était et lui donner la chance d’exister enfin. ».

 

Le libertinage serait-il une philosophie ?
Pour moi, il n’est pas tant question de libertinage que de sexualité. Je pense que la sexualité en dit bien plus sur nous qu’on ne l’imagine ou ne le suppose. Mon héroïne, en se confrontant à ses fantasmes va apprendre combien elle a été conditionnée par son éducation et ses parents. Il me semble que les fantasmes nous parlent de notre part d’ombre quand le libertinage est d’avantage un désir d’hédonisme, du moins c’est ce qu’il devrait être… La frontière entre l’ombre et la lumière dans ce domaine est vraiment très fragile.

 

« Il me semble que les fantasmes nous parlent de notre part d’ombre quand le libertinage est d’avantage un désir d’hédonisme, du moins c’est ce qu’il devrait être… »

 

Comment avez-vous écrit ce roman ?
J’ai écrit ce livre au café, le même, près de chez moi, tous les matins, où Jojo me réserve la même table et où m’attend un pain chocolat. J’observe la vie du quartier, les gens et je travaille. Face à moi, en terrasse, il y a un groupe de mères de famille, des femmes, la quarantaine, qui tous les jours prennent un café, fument des cigarettes et parlent de tout un tas de choses. Ce sont des amies maintenant et leur épanouissement m’a inspiré. Comme cette photo de Charlotte Jolly de Rosnay qui est en couverture et qui leur ressemble de par son élégance et sa délicatesse. Pour ce qui est de la technique je pars d’une idée, d’une intention puis je construis un plan qui évolue au fur et à mesure. Mais je fonctionne essentiellement à l’instinct. Pour Madame de X, il y eut sept versions.

 

Merci de nous parler de vous, de votre parcours professionnel…
J’ai travaillé dans la mode essentiellement en tant que styliste puis directeur artistique. J’ai également une expérience dans l’enseignement catholique où j’ai été en charge de la discipline. Mon parcours n’est qu’une succession de rencontres, d’envies, aussi inattendues soient-elles. C’est un chemin du cœur plus que de raison.

 

Parlez-nous de votre passion pour la mode, du reste très présente dans le roman ? Vous y travaillez, je crois…
J’ai toujours pensé que les couturiers étaient des romanciers, des romanciers des temps modernes. Ceux qui m’importent sont ceux qui ont joué un rôle déterminant, qui ont accompagné et pressenti une évolution dans la société comme Courrèges. Il y a Saint Laurent et Chanel bien sûr mais aussi Sonia Rykiel. Ils ont tous crée un mouvement, un style. Ils ont su donner vie à un univers. Je trouve ça très inspirant. Je vous assure lorsque vous allez chez un grand couturier, chez lui ou dans son atelier, c’est toujours une claque ! Et j’ai eu la chance de travailler aux côtés de grands noms, c’est aussi à eux que je dois mon éducation. J’ai eu et j’ai cette chance là.

 

Quels sont vos couturiers fétiches ?
J’étais très proche d’Emmanuelle Khanh. Durant les sept années qui ont précédé sa mort on a fait les quatre cents coups ensemble et nous nous sommes beaucoup amusés. Un jour, par hasard, alors que nous cherchions quelque chose dans sa cave nous avons ouvert trois malles rouillées et oubliées. Elles contenaient toute la garde robe d’Emmanuelle, des années 60 aux années quatre-vingt-dix. Des maillots de bain aux robes de soirées. Je ne connaissais pas bien son travail pour être honnête. Mais j’ai été subjugué par ses créations, par ce qu’elles avaient de délicat, par la tendresse, la bienveillance qu’Emmanuelle avait portée à leur création et qui se ressentait toujours. Nous avons mis cette garde robe en vente et ce fut un déferlement de demande d’interviews mais surtout un défilé de fans. On ne trouve pas facilement ses vêtements dans les boutiques de vintage, les femmes les ont gardés précieusement dans leurs placards, par affection. Ce lien qui a uni Emmanuelle Khanh à ses clientes, cette tendresse et cette bienveillance entre elles est sans doute ce qui dans la mode m’a le plus impressionné et fait d’Emmanuelle ma couturière fétiche.

 

Vos auteurs préférés morts ou vivants ?
Les livres de Nina Bouraoui sont comme un talisman, je n’ai de cesse de les relire. Il y a Sagan aussi bien sûr qui n’est jamais aussi juste que lorsqu’elle a écrit le roman que vous avez entre les mains à l’âge où vous le lisez. Et puis Modiano car il a construit une œuvre et un style avec un sentiment que je trouve très suggestif sur lequel nous n’avons jamais réussi à mettre de mot, et qui en allemand se nomme « Sehnsucht ».

 

Votre avis sur la critique littéraire aujourd’hui ?
Les critiques littéraires, comme les libraires, pour moi, sont des apothicaires des sentiments, ils prescrivent des livres comme d’autres des remèdes. Ils ont donc un rôle primordial et passionnant. Mais j’ai découvert également sur les réseaux sociaux, notamment Instagram, toute une communauté, enthousiaste et bienveillante de passionnés qui s’échangent leurs coups de cœur, leurs découvertes avec spontanéité. Ils mettent les romans qu’ils aiment en scène, en parlent comme un ami vous conseillerait une jolie trouvaille. En ça, les réseaux sociaux sont formidables !

 

Vos films et séries préférés ?
Je regarde tous les jours « Plus Belle la Vie ». C’est une très belle fenêtre sur la vie, sur la société. C’est un vrai moment de bonheur, juste et humain. C’est une série courageuse aussi, bien plus courageuse qu’un grand nombre de programmes. La série « Engrenages » m’a glacé le sang, c’est aussi redoutable que juste. C’est un véritable travail d’orfèvre.
Pour ce qui est des films, c’est comme les livres, j’évite de donner la liste de ceux qui ont compté, c’est trop intime. Mais j’ai revu récemment « Nelly et Monsieur Arnaud » de Sautet, son dernier film. Je ne sais pas pourquoi, j’y ai souvent repensé depuis sa sortie, comme une petite mélodie que l’on n’oublie pas. Quelques fois, votre attention est prémonitoire. Ce film si simple d’apparence est une magnifique réflexion sur l’amour, dans ce qu’il a d’inattendu, sur les belles surprises de la vie.

 

Vos chanteurs préférés ?
Françoise Hardy et Alain Chamfort. J’ai découvert Françoise Hardy avec l’album « Le Danger », pour sa pochette incroyablement élégante et terriblement rock’n roll. Il m’a fallu du temps pour l’apprivoiser mais depuis ce disque et tous ceux qui ont suivi sont devenus des disques de chevet. Quant à Alain Chamfort je l’ai découvert dans un livre de Christine Angot, « Quitter la Ville », je crois, et pareil, depuis je ne me lasse pas de son travail, rien n’y fait, j’y reviens toujours pour la subtilité mélodique et la finesse des textes.

 

Ce qui vous énerve aujourd’hui que ce soit dans les médias ou dans la société ? Votre petit coup de gueule pour Putsch !
La liste des choses que je trouve indécentes me semble vertigineuse, de plus en plus longue et révoltante. Mais ce qui m’ahurit le plus est l’absence de réforme, de réflexion de fond sur l’éducation. Le fossé entre l’éducation et les jeunes, entre l’éducation et les parents ne cesse de s’accroitre et je trouve tout bonnement scandaleux qu’aucune réforme fondamentale ne soit engagée, qu’aucun gouvernement ne s’attèle courageusement à cette tâche. Je préfèrerai que nous, ainsi que les générations futures, soient le fruit de notre éducation et non d’une révolte.

 

David von Grafenberg « Madame de X » (Héloïse d’Ormesson)

 

 

Crédit photo : VON GRAFENBERG David – @Philippe Matsas / Leemage / Editions Héloïse d’Ormesson.

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