Publier son roman : le parcours du combattant

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Par Emmanuelle de Boysson – Cher ami écrivain, Vous qui venez de passer des mois, peut-être des années, à écrire un roman, ne vous découragez pas. Même si vous avez une chance sur 60 000 d’être publié, soyez patient et suivez ces quelques conseils d’une romancière qui s’y connaît.

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Vous avez écrit le mot fin, vous avez mis vos tripes sur la table, passé des nuits à peaufiner cette histoire qui a mis du temps à germer. Vous vous êtes lancés, suivant un plan, vous documentant, puis en rédigeant une première version. Peu satisfait, vous l’avez reprise plusieurs fois, corrigé chaque phrase, traqué les clichés. Vos amis vous ont encouragé. Ca y est, vous envoyez votre bébé par la poste à une dizaine de maisons d’édition avec une belle lettre manuscrite. Pour que vos efforts soient récompensés, sachez que vous risquez de vous heurter à un premier barrage, celui du fameux comité de lecture. La plupart des maisons font appel à des lecteurs, souvent extérieurs à la maison, payés au lance-pierre, qui parcourent les textes et rédigent une note de lecture transmise aux éditeurs. Si votre roman ne les emballe pas, ils lisent le début, font une rapide note de lecture et l’éditeur vous envoie une lettre type de refus. S’ils accrochent au sujet, ils travaillent leur fiche et une seconde lecture sera faite. Mais ce n’est pas parce que ces avis sont bons que vous serez publiés. N’oubliez pas que l’éditeur est un commercial et voit rapidement si le texte est susceptible d’intéresser des lecteurs.
Les éditeurs français publient en effet en moyenne 600 livres par an. Chaque maison d’édition reçoit entre 100 et 10 000 manuscrits. En dehors des essais, bios commandées, livres de recettes… il ne reste qu’une centaine, voire un peu plus, de nouveaux romanciers par maison. Le chiffre tend du reste à se réduire. Il y a donc peu d’élus dans ce petit monde de l’édition !
Bon à savoir : sur la totalité des romans publiés par an, seule une dizaine dépasse les 50 000 exemplaires. En moyenne, les romans sont tirés à 7000 exemplaires. Mais le vrai chiffre est bien plus bas. Aujourd’hui, les éditeurs prennent de moins en moins de risques et préfèrent rééditer. Les premiers romans sont lancés comme des bouteilles à la mer à 1000 à 2000 exemplaires en tirage – ce qui veut dire que la mise en place en librairie est de 800 à 1000 exemplaires. Un livre qu’on ne trouve pas en librairie, c’est la roulette russe. Seul un miracle peut le sauver : un coup de cœur d’un libraire, un article élogieux d’un journaliste qui fait autorité.
Il n’y a qu’une poignée de romanciers qui vit de sa plume. Placé en librairie, votre roman ne sera pas forcément sur les étalages, faute de place. Les libraires sont débordés et votre roman risque de ne pas rester longtemps en magasin puisque la durée de vie des livres est en moyenne de trois semaines à deux mois. Aussi, lorsque vous recevrez vos premières lettres de refus, ne vous désespérez pas. Si par chance, on vous appelle pour vous donner un rendez-vous, ne vous emballez pas non plus. Il m’est arrivé d’être convoquée chez un éditeur. Malheureusement, le comité de lecture n’a pas suivi. Il m’a fallu téléphoner pour le savoir !
Mes conseils pour éviter que votre « chef d’œuvre » fasse partie des manuscrits empilés : allez à des salons du livre, parlez de votre roman, donnez-en un exemplaire. Il y a des salons du livre partout en province, des grands comme Metz, Nice, Nancy, Vannes, l’île de Ré, Saint-Malo ou Montpellier, des plus petits, comme Montaigu, Verneuil sur Avre… Et puis, il y a le salon du Livre de Paris, ce grand rendez-vous où les éditeurs payent une fortune leur stand. Au moment des prix, n’hésitez pas à vous rendre aux cocktails des prix littéraires, la plupart du temps dans les maisons d’édition. Enfin, tâchez de vous recommander d’une relation, un ami écrivain, un libraire, un journaliste : votre roman sera l’objet d’une attention particulière. Sachez que chez les petits éditeurs, votre livre risque d’être lu par un stagiaire. Celui-ci a des consignes et veille à sélectionner les romans en fonction des goûts de son patron. Aussi, prenez le temps de fouiner dans les librairies, de regarder les sites pour voir qui publie quoi. Les petits éditeurs ont leur ligne, ce qui fait leur force. Ils publient peu – environ 20 à 30 livres par an, et sont friands de nouveautés. N’hésitez pas à vous adresser en priorité à eux. Et sachez qu’il vaut mieux publier un roman dans une petite maison régionale que d’attendre en vain, un grand éditeur, comme Gallimard, Grasset, le Seuil ou Albin Michel. Chez les grosses maisons, le comité de lecture – de cinq à douze personnes – se réunit toutes les semaines ou tous les mois et reçoit des fiches de lectures. La plupart des auteurs dont les livres sont présentés viennent d’écrivains déjà introduits dans les cercles littéraires, journalistes, éditeurs, auteurs déjà publiés. En tous cas, évitez de demander la fiche de lecture de votre roman, elle reste confidentielle. Les membres du comité de lecture sont « subjectifs » ; ils se battront s’ils ont un coup de cœur. Mais attention, il faut qu’ils arrivent à persuader les autres qui, à leur tour, liront votre roman. S’ils ne sont pas convaincus, l’éditeur tranche et peut renoncer à le publier. Il faut au moins 3 voix pour ! Bien sûr, il leur arrive de laisser passer une pépite, un futur succès. Les exemples sont nombreux. Proust a été refusé chez Gallimard « trop de duchesses ! ». Ces lecteurs pointus ne prennent pas toujours la peine d’aller jusqu’au bout d’un texte, d’où la nécessité de susciter l’intérêt dès le début d’une histoire.
Dans les salons du livre, soyez attentifs à ce qui fait la marque de chaque maison. Le premier critère de sélection est celui du « genre ». Votre livre fait-il partie de la ligne éditoriale ? Pas de polars ni de science fiction chez des éditeurs dits « littéraires ».
Les principales qualités recherchées : l’originalité du sujet – évitez l’autobiographie, les secrets de famille… le style – le mieux est d’adopter un ton simple, factuel, sans trop de psychologie, de ne pas plagier Duras, Céline ou Nathalie Sarraute. Traquez les clichés, les images banales, les évidences, les réflexions philosophiques… Soignez votre orthographe, musclez vos personnages, travaillez les détails, relisez Flaubert, Stendhal et Proust. Dès la première lecture, ces défauts risquent de vous pénaliser. Les éditeurs sont demandeurs de sujets « qui marchent » : bonnes biographies souvent romancées, faits divers, intrigues enlevées, page turner. L’aspect « commercial » d’un texte compte beaucoup.
Publier, c’est bien, reste ensuite à plaire à la presse, aux libraires et aux lecteurs ! Votre roman peut-être noté, comme une rédaction ! Chacun son système d’évaluation. Les lecteurs croulent sous les manuscrits – on leur en confie 10 à 20 par mois !
Faute de places, l’autoédition se développe. En 2016, au Salon du Livre de Paris, on trouvait de nombreux stands d’édition numérique : l’idée s’est répandue d’une « normalisation de l’autoédition ». Elle permettrait plus de liberté aux auteurs. Elle serait un moyen efficace et facile de publier un livre sur les réseaux de préférence. Il est vrai que des éditeurs comme Michel Lafon, (qui a déniché Agnès Martin- Lugand) ont édité des romans qui cartonnaient sur des blogs. Certains auteurs comme Nabbe ont misé sur une publication sans intermédiaires. Qu’en est-il ? Est-on lu ? Des millions de gens veulent publier et choisissent la toile où l’on trouve de tout : manga, SF, journal intimes, autobio…
Le Web est devenu un lieu d’expression pour écrivains confirmés ou apprentis.
De nombreux sites comme Monbestseller.com, short éditions, Hot Key ou Wattpad à l’étranger permettent à chacun de faire connaître ses écrits. Evidemment, ne comptez pas gagner de l’argent avec l’auto-édition online. Mais elle est une bonne formule si vous ne trouvez pas d’éditeurs dits classiques. Seule réserve : ne payez rien ! On vous fera croire à une promo : il n’en est rien.
A propos de promo, si par bonheur, votre petit bijou est pris dans une maison, un nouveau parcours du combattant commence. L’éditeur a un planning et il vous faudra attendre un an voire plus pour être édité. Vous signerez un contrat, la plupart du temps habituel et je vous déconseille de le discuter ! Les a-valoirs sont de plus en plus bas – certains ne vous en verseront pas ! En moyenne, de 2000 à 5000 euros pour auteurs débutants ou confirmés. La somme sera versée en 2 ou 3 fois. Les éditeurs ont la manie de travailler « au dernier moment ». Ils vous soumettront une couverture – et vous n’aurez pas trop le choix ! La phase « corrections » commencera peu avant la sortie du livre. Chaque maison a ses correcteurs – pas forcément l’éditeur trop occupé. Ils vous proposeront ou vous imposeront des corrections qu’ils jugent utiles. Vous recevrez enfin des épreuves sur lesquelles vous n’aurez pas beaucoup de marge de manœuvre. Elles coûtent cher ! Ensuite, c’est le Bon à tirer. Enfin, votre bébé est entre vos mains ! L’attachée de presse a préparé un service de presse – de plus en plus restreint – et vous voilà, face à des piles, hésitant entre « amicalement » ou une dédicace plus personnelle. Celle-ci sera réservée à vos amis. Les journalistes qui ne vous connaissent pas n’attachent pas d’importance et finiront par vendre votre livre que vous retrouverez chez Gibert ! Respirez : vous en avez fini de votre service de presse et vous espérez que votre roman sera lu par les critiques, que vous serez invité chez Busnel ou à « C’est à vous ». Mes chers amis, mettez vous à la place des critiques. Ils reçoivent plus de dix livres par jour, les empilent et n’ont pas le temps de tout lire – ou alors ils ne feraient que ça du matin au soir ! Ils liront en priorité les auteurs connus, ceux de leurs confrères, de leurs amis qui publient « un livre par an » et ensuite, ils tenteront de dénicher une pépite. Un coup de fil de l’attachée de presse leur permet de sortir un livre de leurs piles ! Un article les aiguille, l’avis d’un libraire aussi. Ne rêvez pas ! Beaucoup de romans n’ont aucune presse. Et la presse ne fait pas vendre. Là encore à vous de vous battre ! Allez voir les libraires, participez à des salons, invitez vos amis à une signature, usez des réseaux sociaux, de blogs littéraires, de communautés de lecteurs. Vous déchantez ? Vous appelez l’attachée de presse à la rescousse ? Elle a fait son travail, les livres sont partis, elle peut faire quelques relances mais elle s’occupe déjà du suivant… Il lui est difficile de solliciter sans arrêt les mêmes journalistes. Il y a de moins en moins d’émissions livres, de moins en moins de places dans la presse… Un de mes amis s’est démené dans sa région. Il a vu presque tous les libraires, a organisé des signatures et son roman s’est vendu à 2000 exemplaires ce qui est déjà bien sachant que certains ne dépassent pas 300 ! Soyez fiers de votre travail, parlez-en avec conviction, rien de tel pour donner envie ! Le bouche à oreille et les libraires restent les meilleurs atouts pour qu’un livre marche !

Pour finir, trois conseils de lectures. J’ai adoré Cap Kalafatis de Patrick Besson (Grasset). A Cap Kalafatis, île le Mykonos, en Grèce, sur une plage déserte, Barbara, une jeune parisienne se fait bronzer, seins nus. Nicolas, étudiant, plutôt beau gosse, sort de l’eau, s’allonge à côté d’elle. Il tente de la séduire, elle le rembarre : pas trop près, là si vous vous taisez. Arrive José, son amoureux, 90 kilos : « un type lourd, carré et rond à la fois, un carré mou ou un rond cassé d’une cinquantaine d’années, en tenue de véliplanchiste ». Il a trente ans de plus que Barbara. Commence alors un jeu digne de Laclos. Le couple se confie à Nicolas, se dispute devant lui. Devant ce déballage, l’étudiant veut fuir, il finira par rester dîner et deviendra, le temps des vacances, le jouet, le miroir du couple. Une menace plane, un complot se trame. José a pris une assurance de 3 millions au bénéfice de Barbara… Un huis clos, triangle amoureux où les dialogues claquent, avec cette ironie, ce mordant, cette drôlerie qui n’appartiennent qu’à Patrick Besson. Avec une œuvre exceptionnelle, cet écrivain est un des meilleurs de sa génération.

Parmi les essais, ce livre coup de poing : L’impersonne de Martine Roffinella (Editions François Bourrin). Une femme de 50 ans se penche sur son passé, sa vie amoureuse, son alcoolisme, ses échecs professionnels. Elle nous raconte ses luttes, ses espoirs pour sortir de la solitude, pour ne pas devenir « impersonne », « non pas un fantôme mais un organisme » dépourvu de cœur, de chair, de sang, d’amis…Sans concession ni pathos, ce récit dresse le portrait d’une femme dépossédée d’elle-même par l’alcool, qui ne peut plus dire « je ». Aux prises avec ses démons, elle nous interpelle, nous renvoie à nos failles, à nos dépendances, que ce soit l’alcool, la cigarette, ou la drogue. Un ton direct, un témoigne fort dans la veine de Duras, autre alcoolique. Extrait : « Quand on buvait on était en plein amour. On en avait à foison ça débordait des veines ça giclait de partout ça faisait des fontaines de je t’aime qu’on aurait pu dire à un mur ».
Dans un genre, très différent, Quarante ans de Marc Lambron (Grasset). Marc Lambron, 60 ans, a tenu son journal pendant des années. Ici, il s’agit de celle de 1997. Au jour le jour, on est avec lui, au fil de ses journées : relations avec des éditeurs, cocktails, déjeuners, sorties, voyages. Des portraits délicieux de Woody Allen, Isabelle Huppert, Sollers, Mitterrand, Sophie Marceau, Alain Juppé… Marc Lambron publiait « 1941 ». Dans la course aux prix littéraires, il est pris dans la tourmente, suscite passions, jalousies et rumeurs. Tout un petit monde, une comédie humaine avec ses marquis, ses duchesses, ses Tartuffe, ses Don Juan que Lambron connaît bien.

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