Les prix littéraires : l’assurance d’un succès ?

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Par Emmanuelle de Boysson – Figurer dans la sélection d’un grand prix est un honneur. Les libraires y sont attentifs et ont tendance à mettre le livre en avant, quoiqu’ils préfèrent défendre leur propre sélection, épingler un petit carton sur la couverture avec leur avis, partager leur enthousiasme, dénicher une pépite.

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Prix littéraire : le Prix Goncourt mise sur des valeurs sûres

Mardi 6 septembre, les dix membres de l’académie Goncourt : Bernard Pivot (président), Pierre Assouline, Tahar Ben Jelloun, Françoise Chandernagor, Philippe Claudel, Paule Constant, Didier Decoin, Virginie Despentes, Patrick Rambaud et Eric-Emmanuel Schmitt se sont réunis chez Drouant pour établir leur première sélection. Seize titres figurent sur cette première liste qui privilégie les auteurs attendus de la rentrée littéraire 2016, mais aussi Gallimard puisque cinq titres de la maison ont été sélectionnés. Grasset parvient à placer deux titres dont le premier roman de Gaël Faye, « Petit pays », Prix du roman Fnac (lire l’article ici). Le Seuil, aussi. A noter que Magyd Cherfi, l’un des membres du groupe de musique Zebda, est également en lice avec « Ma part de Gaulois » (Actes Sud).

Parmi les romans de cette sélection, j’ai aimé celui de Nathacha Appanah, « Tropique de la violence » (Gallimard) qui dénonce la brutalité des jeunes de la rue à Mayotte. Moïse, orphelin élevé comme un blanc, rejoint la bande de Bruce, dealer et voleur. Sous influence, il ira jusqu’à délaisser sa mère à l’agonie. On croise aussi un policier, un humanitaire. Dès le mois de juin, le jury du « Premier Prix » Ile aux Livres/La Petite Cour couronnait le fabuleux « Règne animal », de Jean-Baptiste Del Amo, (Gallimard), salué à Nancy… avant le Goncourt, parions-le. Del Amo est d’abord un styliste. Alors que beaucoup de romans bien ficelés sont écrits à la truelle, on y sent son engagement, son amour des animaux. Une saga familiale dans une ferme à l’ancienne où les hommes et les bêtes sont en osmose jusqu’à l’horreur des abattoirs. Depuis « Kennedy et moi », Jean-Paul Dubois (L’Olivier) bâtit une œuvre où l’humour flirte avec la tragédie. Dès la première ligne, on reconnaît sa pâte, on entend ses rires, on sourit à tant de décontraction, d’aisance, d’autodérision, la signature d’un grand écrivain, au demeurant fort sympathique, loin des coteries, passionné de bricolage, qui mériterait de décrocher la timbale avec sa « succession ». Le succès de la rentrée, « Petit pays » de Gaël Faye (premier roman, Grasset) est bien parti pour remporter le Goncourt des lycéens. Etonnant que figure ici « Laëtitia ou la fin des hommes » d’Ivan Jablonka, (Seuil) qui s’apparente à un essai. Bref, ne chipotons pas.

« Les Possédés » de Frédéric Gros, roman historique, ne me semble pas assez grand public pour le Goncourt. Idem pour « Cannibales » de Régis Jauffret (Seuil). Yasmina Reza, la star de la rentrée, pourrait plutôt avoir le Renaudot qui mise souvent sur un succès en librairie, s’appuie sur un auteur reconnu. Chez Gallimard, on croit beaucoup à « L’Insouciance » de Karine Tuil, défendu par Pivot dans le JDD, malgré les réserves de certains critiques. Je ne citerai pas tous les romans de la sélection, faute de les avoir lus : nous en saurons plus le 3 octobre, à la 2ème sélection.

Prix littéraires : le prix Renaudot et ses choix hétéroclites

Une longue liste de 18 titres en lice pour le Prix Renaudot dont le jury, présidé cette année par Patrick Besson, se compose de Frédéric Beigbeder, Dominique Bona, Georges-Olivier Châteaureynaud, Jérôme Garcin, Louis Gardel, Frantz-Olivier Giesbert, Christian Giudicelli, J.-M. G. Le Clézio et Jean-Noël Pancrazi. C’est l’année Gallimard, décidément puisqu’on y trouve quatre ouvrages de la maison, dont ceux de Leïla Slimani et de Catherine Cusset, également en lice pour le prix Goncourt. Le Seuil parvient à placer deux titres, celui de Régis Jauffret et de Laurence Tardieu. Après avoir quitté Stock et Flammarion, cette romancière hyper sensible publie au Seuil « A la fin le silence ». En miroir, les effets dévastateurs de l’attentat de Charlie Hebdo et le chagrin de la vente d’une maison de famille. « Laetitia ou la fin des hommes », d’Ivan Jablonka est ici considéré à juste titre comme un essai. Si Stock est absent de la liste de romans (alors que celui de Luc Lang figure dans celle du Goncourt), deux de ses auteurs sont sélectionnés en essais.

Les choix du Renaudot me semblent moins cohérents que ceux du Goncourt mais le jury a le mérite de revenir sur des titres parus au printemps, notamment ceux de Lenka Hornakova Civade (« Giboulées de soleil », paru dans une toute jeune maison, Alma, en avril) et de Pierre-Yves Leprince (« Les nouvelles enquêtes de Monsieur Proust », Gallimard, mai). Tant il est vrai que les livres de la rentrée de janvier ne devraient pas être pénalisés.

J’ai lu et chroniqué pour Version Fémina « Deux remords de Claude Monet » de Michel Bernard (La Table ronde), un livre très intéressant sur les deux anges gardiens de Monet : Camille, son modèle, sa maîtresse, sa femme qui l’inspira tant et Bazil, un ami d’enfance. Avant d’être tué à la guerre, en 1870, celui-ci achetait des tableaux à Monet afin qu’il ne meure pas de faim dont Femmes au jardin. Plus tard, alors âgé, ce génie exigera que le Louvre acquiert la toile lorsqu’il offrira à l’Etat les Nymphéas. S’il tenait tant à ce chef d’oeuvre, c’est parce que Camille y est peinte trois fois et qu’il était reconnaissant à Bazil de l’avoir soutenu. Ce texte qui fait revivre Monet serait plutôt, à mon humble avis, une bio romancée qu’une œuvre de fiction. Ceci dit, aujourd’hui, de plus en plus d’écrivains choisissent des personnalités pour s’appuyer sur une histoire vraie, au lieu de donner libre cours au romanesque. François Cérésa mérite d’être dans cette sélection pour le magnifique portrait de son père disparu, « Poupe » (Le Rocher).

Dans notre dernière chronique, nous avons dit tout le bien que nous pensons du « Dernier des nôtres », d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre (Grasset). Succès assuré pour Catherine Cusset, l’invitée de Laurent Ruquier dans « On n’est pas couché » pour « L’autre qu’on adorait » (Gallimard), l’histoire fascinante d’une spirale d’échec. Depuis longtemps, Lionel Duroy a son public. Un véritable écrivain, à fleurs de peau qui avait fait pleurer ses lecteurs avec « Le chagrin ». « L’absente », merveilleux roman sur sa mère, correspond à une forme d’apaisement, de réconciliation. Jauffret et Frédéric Gros figurent dans les deux sélections ainsi que Yasmina Reza et Leila Slimani. Assez critiqué, « California girls » de Liberati (Grasset) valait un coup de chapeau. Tout comme Laurence Tardieu et Jean Le Gall.

Parmi les essais en lice, le formidable livre de Marie-Dominique Lelièvre sur Perdriel : « Sans oublier d’être heureux » (Stock), une de nos meilleures biographes. Trois des essais ont été sélectionnés par le jury du prix de la biographie Geneviève Moll (un prix plus modeste en souvenir de cette grande journaliste biographe) : celui de Dominique Missika, « Thérèse, le grand amour caché de Léon Blum » (Alma), de François-Olivier Rousseau, « Devenir Christian Dior » (Allary) et l’excellent « André Malraux et la reine de Saba », de Jean-Claude Perrier, (Cerf). Que les meilleurs gagnent ! Les paris sont ouverts.

Prix littéraires : les coups de coeur d’Emmanuelle de Boysson

Parmi mes favoris de la rentrée : « Lucie ou la vocation », de Maëlle Guillaud (Editions Héloïse d’Ormesson) Maëlle Guillaud est éditrice chez Albin Michel. Sans doute a-t-elle hésité avant de se lancer tant elle sait combien un auteur peut être déçu, voire amer si son livre ne marche pas. Pour son premier roman, elle a choisi une histoire qui aurait pu tomber dans la mièvrerie, mais qui s’avère des plus audacieuse : celle de l’emprise de la religion sur un être idéaliste et fragile, une forme de radicalisation en résonance avec l’actualité. Lucie, 19 ans, ne se rend pas à la moquée, mais à l’église. Etudiante en khâgne, elle est folle amoureuse de celui qui ne la décevra jamais : le Christ. Passion, ivresse : prête à tout, elle ira jusqu’à entrer au couvent, à se sacrifier. N’en déplaise à sa mère, à sa grand-mère, à son amie, Juliette. Mère Marie-Thérèse lui demande de lui « confier l’histoire de son âme » et lui propose de passer quelques jours chez les novices. Dans sa cellule, « la maison de son futur époux », Lucie flotte, confiante en l’avenir. Dès le premier repas au réfectoire, elle fait signe à sœur Marie-Christine qu’elle ne veut qu’une petite part du bœuf braisé aux carottes. La mère supérieure la foudroie, les sœurs cognent leurs couverts contre la table : on remplit son assiette à ras bord. Lucie sera obligée de se gaver, grossira, subira mille humiliations, découvrira les bassesses et magouilles du couvent. Victime d’une tyrannie sournoise, manipulée, soumise aux règles sévères et absurdes de la congrégation, après des années entre les murs de cette prison, la religieuse finit par s’interroger, le doute s’immisce. Mais quitte-t-on le plus puissant des amants si facilement ? Qui l’attendra à la sortie ? Mené de main de maître, subtil, juste et sensible, ce Nom de la Rose au féminin vous entraîne dans les alcôves d’un cloître où se trament pièges, trahisons, jalousies et vengeances. Au nom de Dieu.

A lire à tout prix, le « Dictionnaire amoureux de la littérature », de Pierre Assouline (Plon), cet écrivain qui a acquis dans le monde des lettres une audience convoitée, nous dresse un inventaire personnel, subjectif des écrivains qu’il a aimés ou rencontrés, des livres qu’il a lus et des évènements de la vie littéraire qui l’ont marqué. Un voyage sur un ton libre avec des entrées inattendues…Visites, critiques, admirations…à l’égard de ceux qui nous rassemblent et nous enrichissent.

Chez Albin Michel, la « correspondance Romain Rolland et Stefan Zweig, 1928-1940 ». Deux intellectuels, grands romanciers amis qui s’admirent, s’encouragent, commentent l’actualité littéraire, théâtre ou littérature. Zweig écrit : « J’étais chez Freud… Il a repris toute sa vitalité (…) Il me semble que Staline a peur de lui-même, de sa propre violence. En tous cas, toute vie intellectuelle semble détruite ou oppressée : la mort de Maïakovski (…) m’est très suspecte ». 10 mai 1933 : « Mes livres flambent sur le bûcher à Berlin (…) on chasse Thomas Mann et vingt autres de l’Académie ». Hitler prend le pouvoir, Zweig va partir, d’abord à Londres puis au Brésil où il se suicide en 1942.

Paraît aussi une biographie de Zweig « L’impossible exil ou la fin du monde », de George Prochnik (Grasset). Sous la dictature de Staline en 1938, le poète Mandelstam a fini ses jours dans un camp de transit. Vénus Khoury-Ghata, l’immense poétesse libanaise, lui rend hommage. « Les derniers jours de Mandelstam » (Mercure) est un texte poétique de toute beauté. Du fond de sa cellule, Mandelstam se souvient de son combat, des années de création et d’amour auprès de son épouse, des amis écrivains. Quant la littérature est le meilleur moyen de lutter contre la barbarie. Vénus publie aussi « Le roman d’Asia Bibi » au Cerf, cette pakistanaise condamnée à mort pour avoir bu un verre d’eau dans un puits réservé aux musulmans.

Un premier roman coup de poing : « A la place du mort », de Paul Baldenberger (Equateurs). David, 12 ans, attend Nina devant le lycée. Une Peugeot bleue s’arrête. Un homme armé l’oblige à monter. Pendant trois heures, le criminel va maltraiter l’enfant, le violer. Avec ses armes, le gamin tentera de sauver sa peau. Retour sur sa vie en banlieue, un frère absent. Plus tard, il en gardera des séquelles, voyagera pour oublier. Aucun pathos : une quête de beauté et de bonheur, portée par une langue superbe.

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