Des romans de la rentrée littéraire et quelques livres d’été

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Par Emmanuelle de Boysson – Difficile de trouver des fils rouges entre les romans de la rentrée littéraire, pourtant, j’ai tenté de créer des liens entre quelques-uns d’entre eux, reflets des thèmes éternels de la littérature : la nostalgie, la révolte, la résistance, l’histoire, la dénonciation des dérives de notre monde et l’amour du beau.

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Quelques idées de lectures pour la rentrée littéraire de septembre 2016

La peinture a toujours flirté avec l’écriture, comme le prouvent les « Lettres croisées 1858-1887 » entre Paul Cézanne et Emile Zola qui paraîtront chez Gallimard le 15 septembre. Après le roman de Marianne Jaeglé, Van Gogh sera à l’honneur, d’autant qu’un film mettant en scène ses toiles sort à l’automne. A-t-il été tué ? S’est-il suicidé ? Le mystère demeure mais dans « La valse des arbres et du ciel » (Albin Michel), Jean-Michel Guenassia prétend que le médecin du peintre, le docteur Gachet, aurait été un opportuniste cupide et vaniteux, sa fille, Marguerite, une jeune femme en mal d’émancipation, amoureuse de Van Gogh. L’homme aux tournesols aurait reçu une balle dans la tête. Thèse soutenue par des universitaires. Cette tendance à réinventer les derniers jours de Charles Baudelaire, d’Agatha Christie, de Freud peut agacer, sauf quand elle est traitée avec talent. Peu importe le sujet, seuls comptent le clair obscur du petit matin où Emma Bovary part se promener à cheval dans les forêts, la musique de Proust, le petit pan de mur jaune.
De Pagnol à Nathalie Sarraute, en passant par Duras, les souvenirs d’enfance sont une source inépuisable. Stéphane Hoffmann subliment les siens dans : « Un enfant plein d’angoisse et très sage ». Un gamin qui tente de réunir ses riches parents, monstres d’égoïsme. Un regard sur l’adolescence plein de tendresse, d’humour et d’empathie dans la veine des « Autos tamponneuses ». Dans la même maison, Joann Sfar part sur les traces de son père dans « Comment tu parles de ton père » et François Cérésa brosse un magnifique portrait du sien dans «Poupe» (Le Rocher). Florence Seyvos nous ouvre le monde de l’enfance dans « La sainte famille », (L’Olivier), celui des enfants de Henry James et de Flannery O’Connor. Suzanne revisite les lieux où des petits drames se sont joués dans le chemin du labyrinthe. Quant à Christophe Donner, il revit le temps béni de ses 13 ans, les flirts, les grèves du lycée, les fugues… et c’est délicieux (« L’innocent », Grasset). Santiago H. Amigorena a eu la bonne idée d’appeler son roman « Les Premières fois ». Celles de tous les émerveillements, des commencements, de l’amour, de l’amitié, des études, de l’indépendance. Tant il est vrai que notre vie est jalonnée de premières fois que Santiago magnifient : « Survivre à mon passé en recherchant mon temps perdu me suffit », écrit-il. « Mais qu’il est difficile, avoue-t-il, lorsque surgissent des preuves aussi simples, aussi flagrantes de ce que fut il a à peine quelques décennies notre vie, de ne pas se vautrer dans le regret. ». Tout est dit, si bien dit. Avec « Lithium », d’Aurélien Gougaud (Albin), premier roman, c’est toute la jeunesse actuelle qui est visée : réseaux sociaux, alcool, fêtes, solitude, quête de repères… Un tableau sombre d’une génération désenchantée. Un auteur de 25 ans qui ira loin.
Alors qu’on rend hommage à Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix, plusieurs auteurs traitent de la guerre et de la Shoah sous différents angles. Dans « Le dernier des nôtres », (Grasset), Adélaïde de Clermont-Tonnerre nous entraîne dans une histoire fascinante et terrible, celle de Werner et de Rebecca, deux amoureux qui vont découvrir des secrets atroces liant leur deux famille. Ca commence par une rencontre des plus romantiques jusqu’au jour où Werner est présenté à la mère de Rebecca. Un scénario haletant construit en deux récits qui se croisent, l’un dans l’Amérique insouciante, l’autre dans l’Allemagne nazie. Un grand roman écrit d’une plume enlevée qui vous hantera longtemps. Ghislaine Dunant publie une grosse biographie de Charlotte Delbo (Grasset), une résistante remarquable, écrivain, qui partit pour Auschwitz dans un train de résistantes, en 1943.

Dans la lignée de Houellebecq, beaucoup dénoncent les failles, les peurs et les dangers qui menacent notre planète. « Règne animal » de Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard) a reçu le « Premier prix » de la rentrée par le jury L’Ile aux Livres/ La Petite Cour. Pour cette histoire pleine de souffle, d’une exploitation familiale vouée à devenir un élevage porcin racontée avec le talent d’un styliste qui travaille « à l’oreille » et vous emporte dans son fleuve de sang. Cinq générations y traversent la guerre, les crises, jusqu’à l’arrivée des abattoirs industriels à la chaîne. Del Amo dénonce la domination de l’homme sur l’animal, sa sauvagerie et ça fait froid dans le dos. Egalement chez Gallimard, « L’Insouciance » de Karine Tuil, révèle la violence du monde à travers une affaire d’accusation de racisme qui fait basculer la vie de Romain et de celle qu’il aime. Dans la même veine, Natacha Appanah nous plonge dans une jeunesse aux illusions perdues à Mayotte, un réquisitoire contre la misère et la montée de la violence (Gallimard). La religion ou plutôt la passion mystique fascine. L’éditrice, Maëlle Guillaud publie « Lucie ou la vocation » (HO). Dans un couvent aux règles impénétrables où Lucie va se donner à celui qu’elle aime, le Christ. Porté par la grâce, ce roman est celui de l’amour. Un amour troublé par les mesures disciplinaires des religieuses, l’ascèse, les humiliations et un secret… A sa manière, « Lucie ou la vocation » porte aussi sur les dérives du fanatisme. D’une certaine façon, Céline Minard est aussi une mystique. Dans « Le grand jeu », elle raconte une expérience « border line » : dans un refuge montagneux, une femme s’isole pour tenter de répondre à cette question existentielle : « comment vivre ? » Alors qu’elle s’oblige à des marches éreintantes, des activités de survie, surgit un ermite qui bousculera ses projets. Un texte superbe.
L’histoire reste au cœur de la rentrée avec « Possédés » de Frédéric Gros (Albin) qui sort de l’ombre l’affaire des possédés de Loudun, en 1932, lorsque Jeanne des Anges, supérieure du couvent des Ursulines, est saisie de convulsions ainsi que d’autres religieuses. Un roman qui dénonce aussi les fanatismes d’hier et d’aujourd’hui. Après « André Malraux et la tentation de l’Inde » et « Les mystères de Saint-Exupéry », Jean-Claude Perrier publie au Cerf « André Malraux et la reine de Saba », un récit fabuleux, entre chronique et biographie, sur cet aventurier, lauréat du Goncourt, qui part à la recherche d’une souveraine qui régna trois mille ans plus tôt. Grand voyageur, Jean-Claude Perrier ressuscite l’expédition que mena Malraux, à 33 ans, en 1934, au Yémen, pour retrouver la reine de Saba. Jean-Claude Perrier a relu Flaubert et Lawrence d’Arabie, traversé le désert, volé comme Mermoz ou Saint-Ex afin de comprendre les raisons de l’adieu à sa jeunesse de Malraux lorsqu’il publia son reportage dans « L’Intransigeant ». Le livre d’un érudit, passionné par l’Inde et ses mystères. On y croise Gide, Saint-Ex et sa femme, Consuelo, Henri Munier, on voyage en Orient, de Djibouti à Addis-Abédba, le passé mythique et biblique du temps de Salomon resurgit. Se dessine le projet d’un journaliste hors pair, celui de l’auteur des « Antimémoires », de l’amoureux de la reine de Saba. Remarquable ! Peu connaissent Mandelstam. Romancière et poète, Vénus Khoury-Ghata ressuscite cet immense poète russe dans « Les derniers jours de Mandelstam » ( Mercure). En 1938, il a 47 ans et se meurt dans un camp de transit près de Vladivostok. Le coupable ? Staline. Du fond de la cellule, le russe voit défiler sa vie : des années de création, de combat, des amis comme Pasternak, Tsvetaïeva. De son écriture sensible, Vénus prouve que le poète a toujours raison. Magnifique.

Les romans de l’été pour préparer la rentrée littéraire de septembre

Avant de partir en vacances, ne pas oublier d’emporter quelques livres déjà parus pour la plage ou la chaise longue histoire de ne pas bronzer idiot, par exemple : « Le Destin de Laura U » de la délicieuse Susana Fortes, aux éditions Héloïse d’Ormesson. Juana a été au service de la famille Ulloa pendant des années. Elle se souvient du vieux père, le comte de Gondomar, de ses deux fils, Rafael et Jacobo. Le patriarche dictatorial a laissé un testament : il a tout conçu pour séparer les deux frères. L’un hérite du domaine en Galice, en Espagne, l’autre, Jacobo, des terres de Cuba. A la mort de Jacobo, Rafael part à Cuba aider sa belle-sœur et sa nièce, Laura. Rien ne se passera comme prévu. Un conte sur les secrets de famille, plein d’odeurs, de couleurs, de non-dits, de peurs et de fièvre. L’esprit du « Guépard », de Lampedusa, version espagnole. Autre livre qui excitera vos méninges : « J’ai une bonne solution de repli sur Mimizan » d’Olivier Disle (Cent Mille Milliards). Vingt-cinq chroniques nostalgiques sur les objets inutiles, les films en cassette audio, les chanteurs populaires comme Michel Delpech, le rituel de la communion, les parties de tennis, nos bonnes vieilles cantines, des personnalités avec lesquelles il a grandi : Raymond Barre, Beigbeder, Attali, Chirac, Drucker, les artistes avec lesquels il a passé des milliers d’heures, les jeux : le Risk, les vieilles émissions d’Apostrophes avec Patrick Rambaud. Bref tout ce qu’on aime et qu’il tente de sauver par liste, par pense-bête, par brides, les épinglant dans un album comme des photos sépia qui pourrait être le nôtre. Ici point de clichés, de l’inattendu, des coups de gueule contre la manie des mises en bouche au restaurant, l’introduction des livres sur ebay… Un ton moqueur, des folies, de l’auto dérision. Un régal.
A lire entre mère et fille : « Faut qu’on parle », de Clara Gaymard et de Bérénice Bringsted (Plon). Présidente du Women’s forum, ancienne directrice de la filiale de Général Electric, Clara Gaymard a eu la bonne idée dialoguer avec sa fille, Bérénice, et de publier ces échanges. Deux générations y débattent de leur conception du travail, de l’écologie, de la famille, tout en explorant la question du genre, du numérique, de la démocratie. Deux manières de consommer, deux idéaux, deux façons de communiquer, d’apprendre. Deux mondes face à des enjeux différents. Celui de la mère, lié à la croissance, celui de la fille, plus proche d’une société en mouvement, toute en mobilité, où les jeunes misent sur leurs passions, comme Bérénice, qui se consacre à l’écriture. Un livre édifiant, objet de conversation mère fille, sujet de réflexion sur le monde et son évolution. Deux femmes lumineuses, féministes, décidées et engagées.
« La Beauté n’est que la promesse du Bonheur », disait Stendhal. Sandro Veronesi est le lauréat du Prix littéraire Marco Polo pour son roman «Terres Rares» (Grasset). Le prix a été remis par sa Présidente Muriel-Mayette-Holtz, directrice de la Villa Médicis et par Philippe Donnet, Président Generali dans le Palais Morosini le samedi 11 juin. Veronesi nous entraîne dans le chaos mental de Pietro Paladini, un loser pour lequel on se prend d’affection, qui essaie désespérément d’être honnête, s’efforçant de faire les bons choix sans y parvenir, aspirant à la paix sans jamais la trouver, toujours dans l’ombre d’un autre. Il ne contrôle plus rien, tout lui échappe, même sa vie… Un texte enchanteur, dense et puissant… Au cours d’une soirée exceptionnelle, les invités ont célébré l’esprit de Venise. Un esprit de dialogue et de voyage à travers les arts. Ce Prix Institutionnel Franco-Italien soutenu par l’Ambassade d’Italie à Paris, l’Ambassade de France à Rome et l’Académie de France à Rome-Villa Medici participe à la qualité des liens culturels entre la France et l’Italie…Venise restera toujours un port ouvert au monde. Et les livres, nos plus fidèles amis !

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