Les lectures de mai d’Emmanuelle de Boysson

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Par Emmanuelle de Boysson –

« Les Messieurs », de Claire Castillon (L’Olivier). Parmi mes romans du printemps, j’ai beaucoup ri à la lecture de ces nouvelles mi figue mi raisin. Avec son ironie et son mordant habituels, la romancière, experte en histoires de couples, croque des jeunes filles amoureuses de vieux messieurs qui ont l’âge d’être leur père. Des aventures à la fois pathétiques et pudiques : Claire Castillon ne tombe pas dans les clichés des filles intéressées par l’argent ou la gloire. Ces lycéennes cherchent le réconfort, un homme mûr. Pas de chance, elles tombent sur des pauvres types machos qui les traitent comme des kleenex. Une peinture de la couardise des hommes aux petits oignons.

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« L’année pensionnaire », d’Isabelle Lortholary ( Gallimard) m’a beaucoup touchée. Ce roman sépia, forcément autobiographique semble d’un autre temps.
Nous sommes dans un pensionnat de jeunes filles de famille riches et bourgeoises. La narratrice y a passé de longs hivers. Ce printemps-là, à 14 ans, elle est fascinée par Attali, une élève différente, plus sûre d’elle, plus énigmatique, plus femme. Ici, pas de scènes de sexe, pas de violence, tout est caché, maîtrisé, sous le boisseau. On chuchote, on pleure dans son lit, on attend, on se soumet. Jusqu’au jour où le drame arrive. Des mots doux, des phrases fluides, susurrées, des couleurs claires, des âmes grises : une tristesse au beau nom se dégage de ce roman récit, nous rappelant nos siestes d’antan, nos heures d’ennui à espérer un baiser de notre mère. Presque proustien.

« Libertango », de Frédérique Deghelt (Actes Sud). Luis raconte son histoire. Celle d’un gamin boiteux devenu chef d’orchestre. Un parcours difficile où ce passionné de musique a dû surmonter humiliations, brimades, oppositions des parents. Ce roman musical apparaît comme un récit plein d’espoir pour tous ceux qui souffrent d’handicap. Souvent dépendants de leurs proches, ils ont tendance à se dévaloriser, à abandonner leurs rêves alors que l’art leur est souvent salvateur. Une belle philosophie où l’auteur porte un regard confiant sur ceux qui souffrent d’être différents, incompris, rejetés. Ici, la musique libère, grandit, réchauffe le cœur. Un hymne à la liberté.

« Mariage en douce », d’Ariane Chemin (Equateurs). Romain Gary et Jean Seberg se marient le 16 octobre 1963. La noce se passe en Corse : l’écrivain a 49 ans, héros de la France libre, prix Goncourt pour « Des racines du ciel ». L’actrice en a 29. Ravissante, elle a joué dans « A bout de souffle ». Ce jour-là, secret d’Etat oblige, aucune personnalité, aucun journaliste n’est invité. Le mystère reste entier. Ariane Chemin, grand reporter au Monde, est partie sur les traces de cet amour mythique. Son enquête la conduit dans un dancing de l’île où elle rencontre le seul témoin de l’époque, un ancien agent secret qui lui a raconté ce mariage sous haute protection. Ariane Chemin retrace l’histoire de ce couple, une histoire tumultueuse, forcément tragique. Un récit passionnant.

« Philothérapie » d’Eliette Abécassis (Flammarion). Eliette est intelligente, brillante même. Normalienne, agrégée de philo, elle a connu le succès avec « Qumram ». Depuis, elle oscille entre thrillers historiques et essais sur Freud, sur le divorce aussi. Ici, elle se lance dans la comédie pour donner des leçons de philo sur les facettes de l’amour, du désir, à la passion jusqu’à la trahison. Beaucoup de dialogues, un ton léger, des témoignages, des histoires courtes, virtuelles, on s’y retrouve, on sourit. Dommage pourtant qu’il ne s’agisse pas d’un roman où l’on promène son miroir sur la route. Seul le roman parce qu’il ne propose pas de message ni de recettes ni de leçons, nous permet de sonder les arcanes sombres ou claires de nos cœurs tendres.

« Tomber » d’Eric Genetet ( Héloïse d’Ormesson). Eric Genetet écrit en funambule, sur le fil de l’émotion sans « Tomber » dans le pathos et les discours vus et revus sur l’enfance. Mariano Pfeiffer, 13 ans, se construit en réaction aux adultes. Par l’absence, le vide. Sa mère a quitté le domicile conjugal le laissant seul avec son père violent, taciturne. Un cataclysme qui survient après une consultation chez le docteur Fuchs qui pose l’imposant diagnostique de dyslexie. « Je venais d’avoir douze ans, j’étais un confetti. Celui qui reste au fond du paquet quand la fête est finie. » Ce jeune garçon, à la tête sur les épaules, pose un regard sur le monde qui l’entoure à la fois naïf et plein de maturité. Épaulé par sa grand-mère, son ami Laurent Muller et son chien Dago (qui ne manquera pas d’évoquer à certains d’entre vous le « Dagobert » de la série du Club des cinq), il cherche ses repères malgré un père complètement dépassé par les événements. « Je ne pleure jamais devant lui. Je suis presque un homme. Un homme ne pleure jamais. Il me l’a assez répété. Cela ne change rien de toute façon, parce qu’il ne verrait pas mes larmes, ou, plus précisément, il ferait semblant de ne pas les voir. Il ne sait pas comment s’y prendre avec moi. Ma mère est partie avec la notice qu’elle n’utilisait elle-même que très peu. » Le roman s’articule autour de cinq parties et deux axes narratifs, le premier en 1983, le second, composé de souvenirs d’enfance racontés par Mariano devenu adulte. Le tennis tient une place centrale et devient le symbole de la libération de la parole de l’enfant, de la prise en main de son destin. Le récit se déroule en Alsace entre Wissembourg et Strasbourg. Un rythme enlevé oscillant entre gravité et légèreté, une poésie : ici, les désillusions de l’enfance apparaissent sans mièvreries ni pathos. Profond, poignant.

Les prix du printemps

50e anniversaire de la Fondation Prince Pierre de Monaco. Prix littéraires.
En présence de S.A.R. la Princesse de Hanovre, Présidente de la Fondation Prince Pierre de Monaco, des membres du Conseil Littéraire se sont réunis au Grand Véfour, à Paris, pour établir la liste des auteurs en lice pour : le prix littéraire qui honore un écrivain francophone de renom pour l’ensemble de son œuvre. Sont sélectionnés : Adonis, Charles Dantzig, Michel Del Castillo, Denis Tillinac et Michel Tremblay. Ont également été sélectionnés pour la Bourse de la Découverte, prix récompensant un auteur francophone pour un premier ouvrage de fiction : Stéphane Barsacq- Le piano dans l’éducation des jeunes filles, Albin Michel. Julien Donadille – Vie et œuvre de Constantin Eröd, Grasset, janvier 2016. Paul Gréveillac – Les âmes rouges, Gallimard. Pascal Manoukian – Les échoués, Don Quichotte éditions, août 2015.Garance Meillon – Une famille normale, Fayard, janvier 2016. Séverine Werba- Appartenir, Fayard, août 2015.Le Prix Littéraire et la Bourse de la Découverte seront proclamés le mardi 4 octobre 2016 à Monaco.L’ensemble des ouvrages fera partir du Marathon de Lecture, dont le lancement aura lieu le mercredi 15 juin prochain à la Médiathèque de Monaco.
La lauréate du prix Cazes Lipp est Dominique Paravel pour“Giratoire”aux Editions Serge Safran. Lui, Joaquin, est chargé de concevoir la décoration d’un rond-point pour une petite ville de la Drôme. Elle, Vivienne, est mandatée afin de l’assister – ou de le surveiller. Elle arrive de Paris en Mercedes et, sans se connaître, ils partent ensemble assister à la réunion du conseil municipal de La Virote, non loin de Montélimar. S’enchaînent alors, dans une sorte de road novel, multiples péripéties rencontrées par ces deux personnages que tout oppose et qui portent chacun un lourd secret. Leur aventure prendra une tournure inattendue. À la fois cocasse et tragique, en tout cas, hors du commun. Par sa construction originale, son écriture incisive, « Giratoire » confronte un homme et une femme obsédés par le désir de la fuite, le désir d’un lieu où la mort s’abolit dans la beauté. Le roman de Franz Olivier Giesbert « L’arracheuse de dents » (Gallimard) a reçu le premier PRIX RECAMIER le 3 mai. Une dotation de 5 000 euros lui a été remise. Saluons ce nouveau prix dans ce restaurant prestigieux. Alors espérons que les prix littéraires feront vendre et mettrons en lumière un auteur de talent peu connu.

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