Mascarade

Florence Magnin : « Je souhaitais depuis longtemps garder la spontanéité de l’esquisse »

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Propos recueillis par Julie Cadilhac – bscnews.fr/Avec un trait allégé et un dessin spontané sans encrage, Florence Magnin a dessiné « les mondes» de Mascarade : le récit des aventures d’un été d’une fillette nommée Gaëlle qui découvre qu’en se parant de masques étranges de sa création, les soirs de lune complice, elle peut franchir les portes du « Monde des Esprits». Entre réalité et univers fantastique, ce superbe roman graphique nous emporte dans son univers poétique et spirituel. Charmés par ce travail de très belle facture, nous étions forcément tentés de questionner son démiurge….

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Pourriez-vous nous raconter votre parcours éditorial et artistique en quelques lignes ?
Mascarade s’est développé au long d’une foule de cahiers, en passant d’une histoire inspirée par « Alice » qui devait reprendre la plupart des personnages de Lewis Carroll, à un récit tendance SF, avant d’aboutir à sa forme actuelle. La difficulté de n’accorder à ce projet que très peu d’heures, puisque je devais dans le même temps réaliser d’autres albums, a compliqué cette genèse qui ne s’est vraiment concrétisée qu’avec les encouragements de Vincent Odin (maquettiste des éditions Maghen) qui m’ont soutenue alors que j’étais sur le point d’abandonner.

Quelle a été la genèse de Mascarade? Une envie aussi de collaborer avec les Éditions Maghen?
Le projet a d’abord été présenté aux éditions Dargaud, chez qui tous mes albums précédents ont été publiés, mais leur refus m’a poussée à chercher un nouvel éditeur. Parmi ceux susceptibles d’être intéressés, Daniel venait en tête puisque de nombreuses illustrations et la plupart des planches réalisées auparavant ont été vendues à la galerie et qu’un livre d’illustrations : « les Contes aux Quatre Vents » a déjà été publié par lui ! Il faut ajouter qu’en tant qu’éditeur, Daniel fait des livres superbes et que la complexité graphique de Mascarade aurait été difficilement réalisable ailleurs.

Mascarade plonge le lecteur dans deux univers diamétralement opposés: celui de l’enfance et de son imaginaire et celui du monde adulte et de ses vérités bien plus ternes (divorce de la mère…) et parfois très sombres…. Quel était l’objectif? Montrer que les monstres des livres sont finalement moins dangereux que ceux du monde réel?
Il n’y avait pas vraiment d’objectif dans la mesure où j’ai écrit cette histoire avec trois pôles majeurs : le passage de l’enfance à l’adolescence, les rapports parfois conflictuels ou dangereux entre enfants et adultes, les séquelles du passé. A partir de là, le récit s’est développé sans que je cherche à prouver quoi que ce soit. Les monstres des livres ne me paraissent pas plus ou moins dangereux que les monstres réels. Ils sont leur vision symbolique ou fantasmée, ni pire ni meilleure.

L’ogre le plus dangereux est celui qui montre patte blanche, c’est bien connu… En outre, la candeur et l’imagination de l’héroïne l’empêchent de voir le danger qui la guette… l’adulte le perçoit très vite, lui, c’était volontaire? Histoire de créer une tension pour le lecteur adulte qui n’apprécie pas trop la proximité d’un «homme qui aime à jouer avec les enfants»?
Je n’ai pas voulu a priori, créer un climat qui mettrait le lecteur mal à l’aise ! Il se trouve que les personnages et le développement du récit entraînent cette réaction. Mais julien n’est pas un homme « qui aime jouer avec les enfants » c’est un enfant lui-même, incapable de grandir, qui n’a que l’aspect d’un adulte et se voit lui-même sous celui d’un gamin de six ou sept ans. Raison pour laquelle ses rapports avec Gaëlle sont immédiatement privilégiés. Cette intimité peut déstabiliser ceux qui en sont témoins mais il est clair qu’il s’agit de ce qu’on qualifie de Peter-Panisme, non de pédophilie, ce dont le lecteur s’aperçoit assez vite.

Avez-vous pensé, à un moment, pouvoir avoir des jeunes lecteurs pour Mascarade? Vos dessins, en effet, jouent sur l’émerveillement ( notamment des tenues inventées pour l’héroïne mais aussi ses « voyages» dans l’univers des contes)….
Il me semble que ce livre peut être lu à partir de douze ans. Les adolescents de cet âge n’ignorent rien de ce que cette histoire évoque. Il est évident que de plus jeunes lecteurs seraient rebutés par la complexité de certains passages ou de scènes peu adaptées à leur âge, encore qu’il n’y ait rien de vraiment traumatisant dans tout le livre, mais l’aspect « merveilleux » est sans âge…J’adore l’illustration fantastique depuis toujours et je crois avoir quitté l’enfance et l’adolescence depuis longtemps ! Les planches qui s’y réfèrent n’ont pas été conçues pour appâter le lecteur mais parce qu’il s’agit de mon propre mode d’expression et qu’elles correspondent à telle ou telle partie du récit. C’est d’ailleurs plus un risque qu’un avantage dans la mesure où le public français n’est pas franchement acquis à ce genre d’images.

Que pourriez-vous nous dire à propos du thème du masque, récurrent dans votre ouvrage?
Qui n’en possède pas un ? (Ou même plusieurs ?!). En parallèle à cette évidence, le masque en tant qu’objet, à la fois mystérieux et inquiétant, correspond à l’ambiance de Mascarade et leur utilisation pour représenter des esprits ou des divinités, m’a suggéré la quête que mène Gaëlle dans les mondes où chacun d’eux l’entraîne. Cette solution m’a paru plus originale que lui faire franchir une suite de portes et offert l’occasion d’inventer des masques que j’aurais aimé avoir le temps de fabriquer réellement.

Quels ont été vos sources d’inspiration? Pour l’écriture et pour les dessins?
Rien de précis pour l’écriture, si ce n’est peut-être « Alice », mais de façon indirecte, pour les rapports qu’entretenaient Lewis Carroll et Alice Liddell. Quant aux dessins, ils viennent de souvenirs emmagasinés depuis l’enfance, parmi lesquels prennent place de nombreux illustrateurs du dix-neuvième siècle : Doré, Rackham, plus récemment Alan Lee, John Howe, mêlés à des références cinématographiques : Le Seigneur des Anneaux, le labyrinthe de Pan, L’échine du Diable, (parmi beaucoup d’autres !) qui ont depuis toujours alimenté mon travail et fourni le terreau où, mêlés à mes propres souvenirs, ils ont donné naissance (comme pour tout auteur…) au style graphique qui est le mien et aux autres histoires que j’aimerais raconter.

Enfin, sur quel support et avec quelles matières travaillez-vous?
Mascarade a marqué une évolution par rapport aux albums précédents. Je souhaitais depuis longtemps garder la spontanéité de l’esquisse sans y parvenir. Il a fallu photocopier les crayonnés et coloriser directement sur ce support pour toucher au but ! Cette méthode a eu également l’avantage de me permettre d’aller quatre fois plus vite et boucler plus de 270 planches et illustrations en 18 mois en évitant la saturation qu’entraîne la réalisation de cinq albums d’affilée. Les matières par contre ont peu changé : des techniques simples, encres, crayons de couleurs, rehauts de gouache. J’ai l’impression d’avoir acquis avec ce livre une plus grande liberté graphique, donné plus d’importance au récit et mieux géré le scénario. Mais je suis consciente des progrès qu’il reste à faire, que seul un nouveau projet me donnera l’occasion de réaliser…

Mascarade / Editions Daniel Maghen
Scénario, dessin, couleurs : Florence Magnin
Genre : Roman graphique, aventure, fantastique, conte
Parution : 6 novembre 2014
Pagination : 240 pages
Prix : 29€

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