Quand la science explore l’histoire : « plus que jamais, les vivants ont besoin des morts »

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Par Eric Yung – bscnews.fr/ Le saviez-vous ? La médecine légale connaitrait une crise quantitative. Etonnant ! C’est le docteur Philippe Charlier qui l’affirme : « la chute vertigineuse du nombre d’autopsies hospitalières et de dons du corps à des fins scientifiques oblige le chercheur à trouver ailleurs la « matière utile » à l’avancement des connaissances. » Et d’ajouter que ce sont « les restes humains issus de fouilles archéologiques » qui compensent le manque de substances cadavériques qui « permet à certains laboratoires de recherche d’améliorer les techniques de diagnostic rétrospectif (…) et d’identification individuelle (…) ». Ce constat met dans l’ambiance le lecteur qui a osé ouvrir les pages du dernier livre de Philippe Charlier écrit avec David Alliot et titré « Quand la science explore l’Histoire ». Si les auteurs de ce livre nous entraînent –par la nature du sujet même- aux confins du « néant » (ce qui peut nous faire frissonner) , « Quand la science explore l’Histoire» est, avant toute chose, un ouvrage pédagogique accessible à tous.

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Découvrir ici, en deux cent cinquante pages environ ce qu’est « la paléopathologie, c’est-à-dire « l’étude médicale des restes humains anciens issus de fouilles archéologiques ou de collections muséographiques », est passionnant. Ainsi, le néophyte apprend que cette « discipline scientifique » prend de plus en plus d’importance puisque, « associée à l’histoire de la médecine et des maladies, à l’archéologie, à l’anthropologie physique et à l’histoire, à la sociologie et à la démographie, elle explore toutes les voies de recherches possibles et imaginables pour identifier des maladies à partir de fragments plus ou moins complets de squelette et de momies. » On l’a compris et Philippe Charlier le dit et le répète tout au long de son ouvrage : la recherche en matière de médecine légale – pour faire simple- mais aussi de la paléopathologie n’est pas (ou n’est plus ?) un travail solitaire. Ainsi, on apprend que « certaines des études décrites dans le livre ont pu réunir sur un seul sujet- une trentaine de chercheurs » (…). On remarque également que pour certains cas d’identification post-mortem le médecin légiste qu’est Philippe Charlier, en charge de l’équipe d’anthropologie médicale et médico-légale à l’UFR des sciences de la santé (UVSQ/ AP-HP), a intégré –pour ses recherches- des spécialistes tels que « des philologues (pour mieux comprendre le sens et le contexte de textes et inscriptions), des « nez » de parfumeurs (pour identifier avec précision par olfaction les produits odoriférants issus d’un éventuel embaumement, intervenant à l’ouverture d’un reliquaire), des spécialistes des textiles, des mathématiciens etc… » C’est étonnant mais ce n’est pas tout ! Ainsi l’esprit libre du chercheur qu’est Philippe Charlier lui a permis de mettre à son actif des résultats surprenants concernant des personnages historiques tels que Diane de Poitiers, Agnès Sorel, Jeanne d’Arc, Richard Coeur de Lion et autres célébrités d’antan. Or, parfois, ces nouvelles découvertes scientifiques attisent des débats savants et provoquent des tensions entre scientifiques. Pourquoi ? Parce que écrit en préface de « Quand la science explore l’Histoire » le professeur Bernard Proust, neurologue et professeur de médecine légale au CHU de Rouen, il y a un « problème Philippe Charlier ». Il est vrai que, Philippe Charlier, ce jeune homme de 37 ans, a osé, avec son équipe et au nom de la science, remettre en cause quelques certitudes historiques. Evidemment cela déplaît… aux caciques et aux académies qui avaient conclu –de bonne foi- à une vérité qui aujourd’hui s’avère partielle et/ ou erronée. Un seul exemple : le travail de Philippe Charlier a permis d’établir que la très fameuse relique de Jeanne d’Arc, précieusement gardée à l’archevêché de Tours (Indre-et-Loire) était un faux. C’est la raison pour laquelle le professeur Bernard Proust écrit, avec une pointe de malice dans la plume, que Philippe Charlier a « une patientèle de personnages célèbres qui ont déjà été suivis par d’autres. Il fait en quelque sorte des contre-visites… » Et au professeur Proust de remarquer que « cela soulève des débats souvent passionnés » (…) mais qu’après tout « les coups de vent font partie de la navigation ».
Philippe Charlier (et cela fait la richesse du livre) ne se contente pas, à travers la quarantaine de cas qu’il nous rapporte dans son ouvrage (qui vont de la préhistoire jusqu’aux Romanov en passant par les têtes réduites de Jivaros) de nous raconter de belles histoires un tantinet extraordinaires et de démontrer la force du progrès scientifique en matière de paléontologie et paléopathologie. Non ! Ce jeune docteur s’interroge –et interpelle du même coup les lecteurs que nous sommes- sur l’éthique de son métier. Il pose, avec sagesse et gravité, quelques questions importantes voire essentielles : « y a-t-il une légitimité des travaux anthropologiques ? Peut-on tout s’autoriser avec un corps mort ? Est-il licite d’ouvrir un tombeau par curiosité scientifique ? Peut-on conserver un squelette au sein d’une institution au bénéfice (éventuel) d’une recherche future ? » Ses réponses (lorsqu’il parle des corps inanimés, des squelettes ou des « restes humains ») s’expriment tout au long du livre par les mots « patients » et « respect ». Et les auteurs de « Quand la science explore l’histoire » signent ensemble une conclusion sous cette forme : « la paléopathologie permet –très simplement- de mieux comprendre la vie de nos ancêtres, d’affiner des données historiques, et in fine, de mieux nous connaître. Aujourd’hui », disent-ils d’une même voix, « plus que jamais, les vivants ont besoin des morts ».

« QUAND LA SCIENCE EXPLORE L’HISTOIRE »

, Editions Tallandier, Philippe Charlier.

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