Beauté Congo : une explosion de créativité kinoise

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Par Florence Yérémian – bscnews.fr / La Fondation Cartier accueille jusqu’au 10 janvier 2016 une exposition mettant à l’honneur les artistes congolais ayant jalonné depuis près d’un siècle l’histoire de cette singulière République démocratique. De la peinture à la photographie en passant par la bande dessinée, près de 300 oeuvres témoignent avec éclectisme de l’extraordinaire vitalité propre à cette école africaine encore trop méconnue.

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Une explosion de couleurs

L’exposition Beauté Congo se déploie sur deux niveaux: le lumineux rez-de-chaussée de la Fondation Cartier présente essentiellement les oeuvres de Cheri Samba ou d’artistes contemporains issus des Beaux-Arts de Kinshasa. Le sous-sol, plus feutré, se consacre, quant à lui, à l’atelier du Hangar d’Elisabethville ainsi qu’aux rares peintres pionniers des années vingt.
Grace aux murs de verre du bâtiment, l’ensemble des toiles laissent rayonner leurs couleurs vives et brillantes. Qu’il s’agisse des acryliques de JP Mika, des élégants hommes oiseaux de Bodo ou des panneaux illustrés de Cheik Ledy, tous débordent alternativement de tissus rouges, de fleurs jaunes ou de boubous à motifs mis en valeur sur de grands aplats chatoyants. Au premier regard ces multiples créations séduisent l’oeil grâce à leur chromatisme et à la simplicité apparente des personnages qui les habitent. En y regardant de plus près, on comprend cependant que derrière cette naïveté stylistique se dissimule souvent un art aussi revendicatif que politique.

Un véritable message politique

Cheri Samba est un peu le porte parole de ces coloristes politiciens: à travers ses grands tableaux populaires, cet artiste égocentrique interpelle perpétuellement son public en lui demandant de réfléchir sur les libertés, la paix ou l’évolution mondiale de la société. Recouvrant ses oeuvres d’enfants soldats, de téléphones portables ou d’éminentes figures black telles que Nelson Mandela ou Barack Obama, il dénonce les dictatures, la corruption et offre une nouvelle carte du monde replaçant l’Afrique en son centre originel. Dans son sillon contestataire, les partisans Chéri Chérin et Cheik Ledy croquent à leur tour la vie quotidienne et le folklore de Kinshasa en y portant un regard très critique: l’illettrisme, la violence, les partis « pourritiques », la domination du G8 sur l’ensemble de la planète… tout y est remis en question avec dextérité mais aussi avec un humour désarmant!

L’humour et l’amour omniprésents

Pour témoigner de leur révolte intérieure, la plupart des artistes congolais utilisent la satire picturale et l’autodérision. Avec malice et truculence, ils capturent d’étranges scènes de rue, caricaturent les défauts de leurs concitoyens et mêlent intentionnellement des textes ponctués de fautes d’orthographes à leurs amusantes allégories. Il en va ainsi des « Chasseurs de moustiques » de Cheik Ledy ou du couple buveur de bières signé Moke. Le couple et l’amour sont, de toute évidence, des éléments redondants de l’art congolais: qu’il s’agisse de voluptueuses rencontres nocturnes ou de cinglantes disputes conjugales, ces épisodes amoureux traduisent avec générosité la place éminente de la femme africaine et l’immense pouvoir de ses charmes. La séduction semble, en effet, être un facteur très important au sein de la culture kinoise: ce n’est pas pour rien que l‘extravagant courant vestimentaire de La SAPE, la « Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes », s’est si bien propagé à Kinshasa! L’on doit d’ailleurs au jeune peintre JP Mika une magnifique série de portraits de ces « sapeurs » tirés à quatre épingles: grâce à son pinceau aussi méticuleux qu’élégant, il a su capter l’exhibitionnisme criard de ces Dandys afros et leur a rendu un très bel hommage pictural.

Un peu de poésie

Dans un tout autre genre, l’exposition Beauté Congo nous offre aussi un voyage unique à travers les aquarelles d’Antoinette et Albert Lubaki: ancien peintre de cases, ce couple fait parti des rares artistes congolais ayant présenté leurs oeuvres au-delà des frontières africaines dès les années 1930! La pureté et la poésie minimaliste qui découlent de leurs dessins sont d’une étonnante modernité. Cette inventivité se retrouve également au sein des frises stylisées de Djilatendo, un autre précurseur du siècle dernier, très inspiré par les motifs géométriques des tapisseries Kuba et des velours Kasaï. Parmi les toiles plus modernes saluons enfin l’art embryonnaire de Mode Muntu, les chatoyantes compositions aquatiques de Bela ainsi que les peintures animalières de Pilipili Mulongoy où la sophistication du trait et des couleurs se mélange avec élégance à la candeur esthétique d’un Douanier Rousseau.

Beauté Congo est, à n’en pas douter, un voyage fou qui vous fera découvrir tout un foisonnement d’artistes congolais à mi-chemin entre tradition et modernité. A vous de décortiquer leurs oeuvres pour en capter la beauté singulière, l’optimisme et l’impressionnante vitalité !

Beauté Congo – 1926-2015 – Congo Kitoko
Commissaire Général: André Magnin
Fondation Cartier pour l’art contemporain
261, boulevard Raspail – Paris 14e
Métro: Raspail ou Denfert-Rochereau
T: 0142185650
www.fondation.cartier.com
Jusqu’au 10 janvier 2015
Le mardi de 11h à 22h – Du mercredi au dimanche de 11h à 20h
Visite guidée de l’exposition, tous les jours à 18h
Activités et visites ludiques pour les enfants: les mercredis et samedis

L’exposition a donné lieu a un catalogue très complet sur la création artistique au Congo:
Beauté Congo
Editions: Fondation Cartier pour l’Art Contemporain
Paris 2015 – 380 pages – 47€

> Plus d’informations ici sur le site de la Fondation Cartier

( Visuel : P Mika – Kiese na kiese – 2014 – Huile et Acrylique sur tissus – Pas-Chaudoir Collection – © JP Mika – Photo © Antoine de Roux )

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