Ubu Roi: un précipité théâtral qui va vous faire bourdonner les « oneilles » !

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Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Grognements, soupirs et sifflotements… Ainsi débute la pièce ubuesque d’Alfred Jarry mise en scène par le frénétique Valéry Forestier. Après nous avoir gratifié en 2013 d’une version schizophrénique du Hot House de Pinter , le voici de retour avec une adaptation d’Ubu Roi où trois comédiens se sont volontairement mis en boite. Telles des marionnettes-troncs, ils vont durant plus d’une heure interpréter les 43 personnages de cette singulière parodie du pouvoir.

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L’histoire en est fort simple: manipulé par sa femme, le père Ubu décide de massacrer le roi Venceslas de Pologne pour prendre sa place. Une fois intronisé, il met à mort ses nobles, ses financiers et l’ensemble de ses magistrats. Grisé par sa toute-puissance, ce stupide souverain passe tous ses citoyens à la trappe et s’empare sans aucun scrupule de leurs biens. Le pays crie famine, le fils du roi Venceslas crie vengeance mais rien ne semble effrayer cet écervelé d’Ubu. Tentant de rallier l’armée russe à sa cause, ce vil usurpateur se fera à son tour chasser du trône, comme l’exige, une fois de plus, la loi du plus fort…
C’est à Michaël Egard que revient le rôle principal du Père Ubu. Affublé d’une barbiche et d’une ridicule couronne enjolivant son crâne d’oeuf, il confère à ce triste sire une mine aussi lâche que grotesque. Avec son rire glauque et ses yeux d’ahuri, il pousse grassement la caricature – un peu trop d’ailleurs – afin de souligner l’incommensurable bêtise de ce despote. A ses côtés, la très jolie Sabrina Amengual se transforme euphoriquement en horrible Mère Ubu. Les cheveux en choucroute et les mains débordant de couteaux, elle donne l’impression de se complaire à travers la figure cynique de cette perfide épouse. Semblable à une harpie, elle jette des regards assassins, rugit comme une lionne blanche et n’est avide que de fortune. Le troisième comédien de ce trio déjanté est Valéry Forestier, le metteur en scène. Friand de travestissement et de provocation théâtrale, cet habile caméléon incarne à lui seul tous les autres personnages de sa pièce: tour à tour soldat, financier, paysan ou roitelet, il fait preuve d’une belle souplesse de jeu et change d’apparence toutes les dix secondes. Modulant son faciès au grès de l’histoire, il entraine son public dans un délire clownesque avec autant d’humour que d’ingéniosité. On apprécie particulièrement sa petite pause-café qui calme – enfin! – le rythme effréné de ce spectacle dynamité. Car il faut le dire: dans cette adaptation loufoque du Père Ubu, les comédiens ne s’arrêtent pas un instant de parler, de crier ou de vociférer! Munis de trois bouts de ficelle, deux poulets en plastique et de quelques couronnes dorées, ils parviennent à recréer de façon abracadabrante le monde Ubuesque – c’est le cas de le dire – de cette folle épopée. Egrenant les « Merdre » à chaque fin de phrase, ils ne cessent d’agoniser, de conspirer ou de passer tout le monde au hachoir. Scandant leur comédie de « flash infos » retransmis sur une vieille télé, ils s’appliquent à parodier frénétiquement l’intarissable soif de pouvoir qui anime encore et toujours les Grands de ce monde. A mi-chemin entre une bouffonnerie contre les dictatures et un clin d’oeil satirique à la figure de Macbeth, cette farce du XIXe siècle a le mérite d’avoir parfaitement su conserver tout son sens critique.
Par ma chandelle verte, après une heure de spectacle, on peut dire que cette jeune bande de sagouins a définitivement de l’énergie à revendre! Pour apprécier leur performance à sa juste valeur, il faut cependant adhérer à l’humour grotesque et décalé d’Alfred Jarry. Si vous n’aimez pas les propos outranciers ou l’ironie caustique du théâtre de l’absurde, passez définitivement votre chemin!
Ubu Roi? Une caricature du despotisme qui vous fera bourdonner les « oneilles »…

Ubu Roi
Texte d’Alfred Jarry
Mise en scène Valéry Forestier
Avec la Compagnie du Puits Qui Parle: Sabrina Amengual, Michaël Egard et Valéry Forestier
(1h15)

Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
Paris 6e

Jusqu’au 7 juin 2015
Relâches le 29 avril et les 16 et 17 mai
A 20h du mardi au samedi et le dimanche à 17h
Réservations: 0145445734

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