Cyclisme : une affaire de géants

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ Peu de champions ont été capables de couper une des têtes de l’hydre Eddy Merckx. Luis Ocana fut de ceux-là.« Le Belge avait les canines les plus acérées. Nous l’avions surnommé Le Cannibale. Il nous bouffait à la suite, dans la mécanique de sa roue, ou tous dans le même temps. Mais moi je savais bien qu’un après-midi ou un autre, en un lieu choisi, je lui ferais ravaler ses tripes et sa morgue de boucher ».

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Ce serait en 1973. Le fier Espagnol monterait dans le camion balai 21 ans plus tard. Sensible au romantisme noir du beau Luis, Hervé Bougel lui dresse une stèle, se glissant dans le maillot jaune, le temps d’un peloton de textes brefs, intenses, orfévrés avec passion.
Poète, Bougel aime escalader les mots, sprinter avec les sonorités (une veine palpitante au creux poplité), relayer le silence, le doute, la souffrance, rejoindre son héros sur le dernier podium, celui de la mala muerte. Une évocation toute de respect, de sensibilité, de connivence discrète, au lyrisme déployé sobrement comme une faena. La muleta a changé de couleur. Le leurre est jaune désormais. Luis, le héros qui a porté l’estocade au taureau belge, revêtira une dernière fois l’habit de lumière, un jour de mai 1994. Le dérailleur a des ratés. Au lieu d’empoigner le guidon, il tient un pistolet. Pour cet ange de la montagne, la vie est devenue un col hors catégorie.

Notre maître à tous. Entre 1954 et 1982, Antoine Blondin a chroniqué chaque journée du Tour de France pour le journal L’Equipe, voyant des choses que personne d’autre ne soupçonnait. Exceptionnel conteur d’histoires, il a su capter la vraie profondeur d’une France que l’on n’osait pas encore mépriser en la qualifiant dédaigneusement de profonde. Blondin n’était pas spécialiste du cyclisme. C’est à cela aussi qu’il doit sa perspicacité, sa liberté de ton, des emballements qui n’ont rien de la cécité fanatique. Blondin sait tout voir, tout raconter avec ce brio qui lui vaut à jamais une place de choix au panthéon des lettres. Il a le don de l’épopée, le sens de la métaphore, cette élégance qui permet de témoigner de l’empathie sans passer pour un pharisien. On appelle cela un alliage de discrétion et d’émotion. Le Tour de Blondin ne fait pas étape dans les palaces où pontifient les pontes. Il sillonne « les Ardennes, où le regard s’étend sur un Sahara de verdure, superbe et toujours recommencé ». Il ne se pavane pas dans la voiture amiral. Au contraire, il prend un départ précipité sur le tansad d’une moto, en position de lanterne rouge, parce qu’il a chassé la canette plus que de raison dans quelque estaminet hospitalier. L’art et la manière d’être reçu zinc sur zinc. Cinq cent vingt-quatre chroniques dont plus de quatre cents inédites en volume. Intelligent, aérien, complice, le roman vrai du Tour de France. Découvrez-vous devant ce Traité de savoir dire à l’usage des jeunes générations.

« Tombeau pour Luis Ocana », Hervé Bougel, La Table Ronde, 12 euros
« Tours de France, chroniques de « L’Equipe » 1954-1982 », Antoine Blondin, La Table Ronde, 34,50 euros.

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