Jaccottet enfin, Jaccottet déjà

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Par Marc-Emile Baronheid –bscnews.fr/ Photo © ABL FD/ La Pléiade, c’est un peu le Nobel français de littérature, à ceci près que le second est réservé aux écrivains vivants, alors que la première accueille généralement des disparus. Adoubé par la bibliothèque la plus bcbg, Philippe Jaccottet en est-il l’hôte légitime, ou un visiteur peu assis et mal debout ?

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Le volume a été élaboré conformément au souhait de Jaccottet (né en 1925). Il réunit celles de ses œuvres, en prose et en vers, que l’on peut qualifier d’ « œuvres de création ». On les distingue ainsi des ouvrages critiques, des proses de voyage, d’une poignée d’écrits de circonstance, des traductions (Thomas Mann, Musil, Ungaretti, Hölderlin, Homère …), qui incarnent pourtant un pan considérable de son travail. On pense à un article comme Une transaction secrète, à des monographies centrées sur Rilke ou Gustave Roud. C’est sans conteste dans le poème que l’écrivain suisse est le plus souverain. Solaire, aime-t-on à dire, alors qu’un piètre chroniqueur a cru bon de qualifier sa poésie de scolaire. Ce n’était même pas une coquille, seulement une bourde. De la nigauderie considérée comme un crime de lèse-majesté …Voici 56 années de tutoiement de l’ineffable, des poèmes de L’Effraie (Gallimard, 1953) à la prose de Couleur de terre (Fata Morgana, 2009 – avec des dessins d’Anne-Marie Jaccottet).L’ordre du volume est soumis à la chronologie des parutions ; c’est le voeu de l’auteur. De la préface à la chronologie, l’appareil qui accompagne les textes est suffisamment légitime pour qu’il soit inutile de – mal – le commenter. Il excelle à permettre une approche et une compréhension de l’œuvre, en déterminant les contreforts de son inspiration, la parole des aînés qui allaient le féconder. Ainsi la prose de Bashô, dans laquelle il a trouvé la sente étroite par laquelle cheminer, inlassablement. Ce seront aussi le haïku, le spectacle de Grignan et les autres modèles dont le commentaire tente ici de clarifier la présence dans l’œuvre. L’homme, lui, prendra le parti de la clarté, de l’exigence, d’un retrait nécessaire mais nullement hautain (on est aux antipodes des poses d’un Gracq) des soubresauts ou des purulences de son temps. Il écartera l’abjection du nazisme et du fascisme. Il entendra à distance – mais concerné – les événements de mai 68, préférant à l’adhésion le lent travail du doute. Une manière de contre-courant vital. « La difficulté n’est pas d’écrire, mais de vivre de telle manière que l’écrit naisse naturellement » (La Semaison, 1976).
Le passeport pour Jaccottet : une invitation au voyage pour le pays où l’on n’arrive jamais, puisque « le plus simple est aussi le plus lointain ».

« Les nuages se bâtissent en lignes de pierres
l’une sur l’autre
légère voûte ou arche grise.

Nous pouvons porter peu de chose à peine une couronne de papier doré;
à la première épine
nous crions à l’aide et nous tremblons »
(Pensées sous les nuages, 1983)

« Œuvres », Philippe Jaccottet. Edition établie par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon. Préface de Fabio Pusterla. n° 594 de La Pléiade, Gallimard, 59 euros, prix de lancement jusqu’au 30 juin 2014.

Le couronnement de Jaccottet a galvanisé les ambitions de ses contemporains. Certains les clament haut et fort. Les plus habiles intriguent auprès d’Antoine Gallimard par missi dominici interposés. Il se dit que le salonnard Jean d’Ormesson serait parvenu à ses fins. Avec Mireille Dumas pour diriger la collection ?

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