henri

Richard Guérineau : « L’un des défis de cette adaptation était de réussir à montrer au fil du récit la déliquescence physique du roi»

Partagez l'article !

Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Après un bac scientifique et des études d’arts plastiques, Richard Guérineau, passionné depuis tout petit par la bd, décide d’en faire son métier : il rencontre le scénariste Eric Corbeyran avec lequel va se tisser une fructueuse collaboration : L’As de Pique, le Chant des Stryges, Paroles de Taulards, Uchronie(s)….autant de titres qui affirment la réussite de ce duo. Charly 9 est le premier album en solo de Richard Guérineau : un one-shot qui s’inspire du roman historique de Jean Teulé paru en 2011. Séduits autant par le graphisme que par le scénario, nous avons eu envie de «soumettre à la question» Richard Guérineau. Aspergé d’hémoglobine et de delirium tremens, cette bd nous raconte avec autant de singularité et d’irrévérence que Jean Teulé un épisode terriblement sanglant de l’Histoire : de la Saint-Barthélémy véritable à l’hématidrose supputée du monarque décédé à 23 ans…

propos recueillis par

Partagez l'article !

La création de cette bande-dessinée est d’abord née d’un coup de coeur pour la plume de Jean Teulé? ou surtout pour l’histoire de Charles 9 ?
Je suis très amateur des ouvrages de Jean Teulé, particulièrement de ses romans historiques. J’aime le regard à la fois sérieux et goguenard qu’il porte sur les évènements et les personnages. Il est capable de raconter les pires horreurs sur un ton presque badin, ce qui donne un ton décalé, oscillant sans cesse entre l’humour et le tragique. Et quand j’ai découvert l’histoire de Charles IX, qui sombre dans la folie jusqu’à l’agonie, je me suis dit « ça, c’est du sur mesure pour moi ! ». J’adore ce genre de personnage, grandiose et ridicule.

Avez-vous travaillé en collaboration avec Jean Teulé pour créer le scénario?
Quand le projet a démarré, Jean Teulé m’a appelé en me disant qu’il était très content que son roman soit adapté en BD mais qu’il considérait qu’à présent, c’était mon bouquin et que je pouvais en faire ce que je voulais. C’est une attitude très saine et très honorable, qui laisse une grande liberté à l’auteur. Pour ma part, je voulais rester fidèle au ton du roman et à ses dialogues qui sont formidablement bien troussés. Mais je voulais également me laisser la possibilité de prendre des libertés pour en faire, non pas une plate illustration, mais une véritable Bande dessinée.

Dans quelle mesure êtes-vous donc resté fidèle au roman de Jean Teulé? Pourriez-vous nous citer des inventions de votre part qui n’apparaissent pas dans le roman?
J’ai ajouté ou transformé certaines séquences pour les adapter à la BD, ou pour amener des nuances qui me paraissaient intéressantes. La scène avec le bourreau ou celle des funérailles, par exemple, ont été complètement remaniées. J’ai inventé quelques passages avec Catherine de Médicis pour la rendre plus ambiguë dans son rapport à son fils. De même sur certaines scènes qui devaient être muettes au départ, j’ai posé des vers de Ronsard qui collaient parfaitement aux images et qui donnent au récit une dimension plus poétique et contemplative.

Si vous deviez définir en quelques mots le personnage éponyme de votre bande-dessinée, que diriez-vous?
C’est tout simplement un pauvre garçon qui ne voulait pas être roi et qui va faire une très grosse bêtise, en rester traumatisé jusqu’à la fin de ses jours et sombrer dans une folie grotesque et furieuse avant de mourir à 23 ans, malade, transpirant par tous les pores de sa peau le sang qu’il a fait couler durant son règne.

Vous jouez beaucoup avec la colorimétrie et utilisez des styles graphiques différents au cours du récit : en aviez-vous besoin pour exprimer les « états » différents par lesquels passe Charles 9 ( la folie sanguinaire, le remords etc…)?
Je voulais rester fidèle à l’esprit du roman, qui nous plonge dans l’horreur grâce à une écriture jubilatoire pleine d’ironie et d’humour. Mais je savais qu’en Bande dessinée, la puissance de l’image accentuerait forcément l’impact de la violence du récit. Pour rétablir l’équilibre, il m’a fallu jouer sur le contraste en exagérant par ailleurs l’aspect grotesque voire burlesque de certaines scènes.

Avez-vous utilisé des techniques, des outils et des matériaux différents selon les « moments graphiques » de la bd?
Pour le dessin, je travaille sur papier avec feutres et pinceaux, et des sortes de lavis en niveaux de gris pour créer des modelés si besoin. Une fois les planches scannées, je pose des couleurs numériques en à-plats avec photoshop. Les changements graphiques jouent uniquement sur le traitement des gris, qui donnent un aspect plus doux à certaines scènes, et de la couleur, qui se réduit à une seule teinte accompagnée d’un noir et blanc aux contrastes très tranchés, pour les passages plus violents.

Vous insérez même à l’intérieur du récit des aventures comme celle intitulée « Pâté de mauviettes » où vous quittez le style réaliste pour opter pour un graphisme typique de la bd franco-belge à laRichard Guérineau Franquin…comment est née l’idée de ce décrochage graphique? La volonté d’insérer une récréation au sein de cette histoire épouvantable?
Au départ, l’idée était de créer une rupture de ton radicale. A ce moment du récit, les chapitres étant très courts et les anecdotes s’enchaînant très rapidement, je craignais qu’une monotonie s’installe dans le rythme de lecture. J’ai donc cherché à bousculer le lecteur par un virage graphique brutal, une embardée visuelle en forme de gag et de citation des bons vieux classiques franco-belges. Tout cela pouvant se justifier par l’expression de la folie grandissante du roi, c’était également une manière de signifier qu’en BD aussi, on peut tout se permettre.

Avez-vous fait un travail de recherche sur les véritables traits de Charles 9 ou vous êtes-vous laissé de la liberté quant à son physique?
Je n’ai jamais cherché à faire une BD purement historique, où la rigueur et la précision documentaire auraient pu m’enfermer dans un carcan trop étroit. j’ai simplement cherché à rendre une atmosphère XVIème siècle crédible, mais c’est surtout l’incroyable aspect graphique des costumes et des décors qui me fascine, plus que la justesse historique. Quant aux personnages principaux, je me suis évidemment inspiré des portraits de l’époque. Mais sachant qu’ils étaient probablement idéalisés dans leurs représentations, je me suis laissé toute liberté dans l’interprétation, en essayant de ne conserver que des détails significatifs. Par exemple, la plupart des membres de la famille des Valois étaient dotés d’un appendice nasal assez proéminent, un régal pour une transposition bande dessinée !

Dessiner un personnage atteint d’hématidrose a-t-il nécessité un travail de tâtonnement avant de trouver la manière définitive avec laquelle vous représenteriez la progression de cette manifestation clinique très rare?
L’un des défis de cette adaptation était de réussir à montrer au fil du récit la déliquescence physique du roi. Le récit s’ouvre sur le portrait d’un Charly au visage poupin, encore dans l’enfance, et se clôt sur un vieillard de 24 ans au visage décharné, miné par la tuberculose. Les transpirations de sang ne sont pas historiquement avérées, mais la métaphore est tellement belle que l’on ne peut l’ignorer ! Concrètement, cela se traduit par une sorte de dégénérescence chromatique sur la fin du récit. La couleur disparaît pour faire place au gris puis au noir et blanc, à l’exception du rouge qui envahit l’image de manière agressive.

Aviez-vous déjà adapté une autre oeuvre en bd? conçu votre propre scénario? Quel exercice vous convient le mieux selon vous?
Bien qu’ayant toujours participé de différentes manières au scénario de mes BD, il s’agit là de mon premier travail en solo. J’aime collaborer avec des gens que j’apprécie, le travail à deux est extrêmement enrichissant, mais cette adaptation m’a aussi donné l’envie de poursuivre dans cette voie et de me mettre à l’écriture. J’espère pouvoir trouver le temps de mener toutes ces activités en parallèle.

Crédit-Photo: Vollmer-Lo / Editions Delcourt

A lire aussi:

Juanjo Guarnido : « Le dessin animé est vraiment la meilleure école qui soit « 

Elise Griffon et Sébastien Marnier : salaires nets et pires jobs

José Lenzini : Camus, entre justice et mère

José Luis Munuera : la précision du trait d’un natif espagnol de talent

Philippe Richelle et les Mystères de la République

Jean Dufaux : un alchimiste du scénario au propos inspiré

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à