Cyril Montana : les quarantièmes hésitants

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / D’aucuns tentent d’imposer le concept « 2013, année de la neurasthénie ». En voici déjà l’antidote. Certes, Montana n’en est pas à son coup d’essai et il a marqué son territoire, mais arpenter la drôlerie avec sérieux ne souffre pas le moindre relâchement.

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Flétrir par ailleurs le cynisme des éditeurs qui débauchent froidement les auteurs après que les petites structures aient essuyé les plâtres n’interdit pas de saluer le pragmatisme de Cyril Montana. Révélé dès 2003 par « Malabar trip », paru à l’enseigne d’une officine dont Anna Gavalda est l’arbre qui cache la déforestation, Montana a choisi de porter désormais la casaque de l’écurie de Jean-Edern Hallier et Nadine de Rothschild. C’est que, passé un certain cap, le dilettantisme fait long feu.
Le roman se déroule en une suite de tableautins doux-amers, dans lesquels la douceur de vivre le dispute à un amalgame de cynisme, de gauloiserie légère, de lucidité sociale, agrémenté d’un zeste de naïveté hérité de parents authentiques baba cool. Il n’y a pas à dire, être élevé au fromage de chèvre indigène laisse des traces collatérales.
Le narrateur a une femme et deux enfants qui lui procurent des émotions contrastées. Il travaille dans l’immobilier, en faune arriviste et hypocrite. Surtout, il est un ado prolongé et le grand bond en avant vers ses quarante ans n’ira pas sans une pluie d’interrogations existentielles.
Montana est capable de réussir le grand écart entre le récit goguenard d’une incursion clandestine en franc-maçonnerie et la disparition de sa grand-mère, qu’il raconte avec cette sobriété qui dilate l’émoi. La grande affaire de son narrateur, ce sont les femmes. C’est insensé ce qu’elles peuvent l’accaparer, le perturber, l’obnubiler. Il leur voue un culte inculte. Plus il les approche, plus lui apparaissent l’inconfort et les aléas de leur commerce. Juge et partie, il autorise le censeur à accorder au prévenu des circonstances atténuantes : « En rentrant à la maison, je culpabilisais d’avoir fait le con à Compiègne avec la Vanessa. Puis, j’ai relativisé en me disant que je n’avais pas vraiment fauté. Disons, juste un peu dérapé /…/ Je suis un mec et, comme tous les mecs, il y a un queutard qui sommeille en moi ». La faute aux femmes ? Le narrateur noie le poisson : « Les femmes, elles, sont souvent d’une intégrité fatigante ». Passé maître dans l’imbrication du désir, de l’élégance, de la culpabilité, Montana est un digne disciple d’Apollinaire tel que Desnos l’entrevoit dans son essai « De l’érotisme ».
Un agent immobilier qui se respecte doit avoir l’œil et le bon. On le reconnaît à son souci du détail. Croisant une clown à la combinaison en polyamide jaune et étoiles bleues, il est tombé en arrêt devant la forme de ses seins de taille moyenne en poire et, par innocent réflexe professionnel, s’est demandé si cette petite boule qu’il distinguait « était bien son téton qui pointait, ou un défaut de fabrication de son costume ». Un cas d’école, à n’en pas douter.
Ce n’est pas le seul élément du registre de l’émotion selon Montana. Evoquant ses proches et les moments cruels ou tendres du quotidien d’un homme de quarante ans, il sait mettre le lecteur de son côté. La lectrice aussi, guère dupe de ce bonobo de pacotille. C’est ce qui s’appelle tenter le diable.

« Je nous trouve beaux », Cyril Montana, Albin Michel, 15 euros
« De l’érotisme », Robert Desnos, L’Imaginaire/Gallimard, 6, 90 euros

(Crédit photo Astrid Di Crollanza)

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