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Travis Louie et ses créatures anthropomorphes fascinantes

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Par Julie Cadilhac –bscnews.fr/ Travis Louie est né dans le Queens à New-York. Après le lycée, il suit les cours du Pratt Institute de Brooklyn où il obtient un diplôme en design de communication, avec l’intention de poursuivre une carrière d’illustrateur freelance.

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Le travail n’est pas aussi gratifiant que ce qu’il avait imaginé. Après quelques années en freelance, il crée un ensemble de peintures et commence à les montrer dans des galeries d’art locales. Encouragé par des retours positifs, il poursuit activement son travail d’illustration et a depuis exposé à Los Angeles, San Francisco, New York, Atlanta mais également à Berlin ou à la Dorothy Circus Gallery de Rome. Ses portraits d’animaux ou créatures anthropomorphes sont fascinants et semblent sortis tout droit d’une vieille malle découverte dans un grenier. Imitant le style des premières photographies du XIXème siècle, ses oeuvres cultivent cette touche surannée mais si rare et précieuse des clichés solennels d’antan où l’on prenait la pose avec une tenue endimanchée. Chacun de ces êtres fantastiques a d’ailleurs un passé, une histoire que leur créateur démiurge prend le temps d’inventer pour leur donner davantage de « vérité historique ». Ces monstres de foire, habillés et coiffés comme à l’époque victorienne, sont très inspirés de l’atmosphère et de l’éclairage propre aux films noirs des années 50 et de l’expressionnisme allemand et si leurs cornes, dents pointues, difformités ont tout pour nous effrayer, leur rondeur bonhomme, leur côté poilu nounours, leur sourire leur confèrent quelque chose d’extrêmement bienveillant tout de même. Dans les toiles de Travis Louie, l’étrangeté flirte avec l’élégance, l’humour avec la gravité et devant ces caractères si singuliers, on pourrait être tenté de redéfinir le mot « humanité ». Rencontre avec un peintre aussi talentueux que sympathique!

D’où vous est né le goût du dessin?
Mon désir de dessiner remonte dans ma mémoire à ma plus tendre enfance. Lorsque qu’on regardait une émission de télévision, je me souviens d’essayer de dessiner ce qui était sur l’écran. J’ai gâché pas mal de papier mais mes parents m’encourageaient à dessiner quand même. Je me souviens que mon professeur de maternelle m’avait demandé (j’étais alors âgé de 5 ans) de dessiner quelque chose avec des crayons. J’avais essayé de dessiner ce que j’avais vu la veille lors du journal télévisé car ça me fascinait. J’ai dessiné des images d’une audience du sénat. Quand j’ai dit à mon professeur ce que j’avais tenté de dessiner, elle a demandé un rendez-vous avec mes parents pour voir si quelque chose n’allait pas à la maison. Apparemment, le programme sur l’écran était à propos de la liste noire d’Hollywood et de la chambre des représentants sur les activités anti-américaines. C’était le 25e anniversaire des neuf jours d’audiences qui ont eu lieu en 1947. Même si je ne comprenais pas ce qui se passait sur l’écran, j’étais curieux parce qu’il y avait beaucoup d’acteurs de ces films que regardait mon grand-père assis dans le public. Je pense que le professeur pensait que j’étais un peu fou.

Tout petit déjà, vous regardiez des films d’horreur…parce que vous adoriez avoir peur? Quel film en particulier vous a séduit à cet âge-là?
Quand j’avais environ 7 ans, des films d’horreur et de science-fiction étaient diffusés chaque semaine sur les chaînes de télévision locales. Je pense que le plus effrayant film que j’ai vu fut un film réalisé pour la télévision appelé Dont’ Be Afraid Of The Dark (1973) mettant en vedette Kim Darby et Jim Hutton. Il a été récemment rejoué dans une version théâtrale produite et co-écrite par Guillermo Del Toro et mettant en vedette Katie Holmes et Guy Pearce. Je me souviens d’avoir été traumatisé par la version originale et vérifier tous les rideaux et regarder sous mon lit pendant des semaines! Je suppose que je pensais que la «vraie» vie était un peu ennuyeuse et je préférais avoir peur.

L’extraordinaire semble constituer l’essence même de votre inspiration : le reflet d’un peintre particulièrement fantasque?
J’ai toujours été attiré par les peintures dont je ne pouvais pas immédiatement comprendre comment elles avaient été faites. Enfant, la peinture était un mystère pour moi et le mystère de fabrication des belles images que je voyais devaient être résolues dans mon esprit. En grandissant, j’ai appris à apprécier plus que les simples aspects techniques de ces œuvres; je trouve qu’il y avait une grâce merveilleuse dans la façon dont elles coulaient. . . dans la façon dont elles ont été «conçues».

On peut lire dans votre biographie que votre art a surtout été influencé par les lumières et l’atmosphère de l’Expressionnisme Allemand et des films noirs….comment s’est produite la rencontre avec ces deux influences?
J’ai regardé beaucoup d’émissions de télévision publiques et la programmation de ces chaînes était davantage centrée sur les Arts et l’éducation. Il m’est arrivé aussi de suivre une chaîne de films muets et sur cette chaîne, on diffusait Metropolis (1927) réalisé par Fritz Lang. Ce film a déclenché mon intérêt pour ces films. J’ai fait la connexion des années plus tard, quand j’ai vu Citizen Kane (1941) réalisé par Orson Welles. J’ai commencé à remarquer que beaucoup de scènes de coups de feu étaient semblables à des images que j’avais vues dans Metropolis. Citizen Kane, à mon avis, est dans une catégorie à lui tout seul, mais on l’a intégré dans la définition du Film Noir car il possède l’essence du style visuel du cinéma noir. Par extension, le Film Noir est le parent pauvre du cinéma Expressionniste Allemand dans le sens où beaucoup de créateurs de l’industrie cinématographique allemande qui ont quitté l’Europe avant la Seconde Guerre mondiale ont travaillé ensuite sur les films noirs dans les années 1940 jusqu’aux années 1950. Je ne dessine pas à partir des thèmes de ce style de cinéma, mais j’admire cette esthétique .

Si vous deviez citer un film noir à voir absolument, lequel serait-ce?
Pour l’atmosphère, je recommanderais Out Of The Past (1947) réalisé par Jacques Tourneur et The Phantom Lady(1944) réalisé par Robert Siodmak.Travis Louie Pour la méchanceté pure du cinéma noir, je recommande Kiss Me Deadly (1955) réalisé par Robert Aldrich et Touch Of Evil (1959) réalisé par Orson Welles. Il y a beaucoup de films de ce genre, mais ce sont ceux qui se démarquent dans mon esprit aujourd’hui.

Regarder vos toiles donne le même plaisir que celui de découvrir au fond d’un coffre de vieilles photographies du passé…est-ce cette émotion que vous cherchez à faire ressentir?

Oui, l’intention originale pour cette série de peintures était de donner la sensation qu’elles sont des objets ou des images trouvés à partir d’un passé mystérieux qui a pu exister. J’ai choisi de représenter les photographies anciennes comme un tableau pour ancrer les tableaux à une réalité possible. Souvent, les gens me demandent si je dessine des gens que j’ai connus autrefois ou des personnes sorties directement de mon imagination. C’est les deux à la fois, mais le chemin le plus grand est fait par mon imagination.

S’y mêle la surprise exquise d’y découvrir des visages et corps hybrides…une sorte de famille originale que l’on aurait vraiment aimé connaître….
Je n’ai jamais eu de vieilles photographies de ma famille et je pense que je voulais juste créer mes propres anciens parents.

Collectionnez-vous ce genre de photographies d’ailleurs? Êtes-vous quelqu’un de nostalgique?
Je suis un collectionneur de photographies datant du 19ème siècle en effet. J’ai des milliers de photos dans ma collection. Elles m’apportent étrangement une sorte d’apaisement et j’essaie d’imaginer comment ces gens vivaient. J’ai toujours été attiré par l’histoire et ces collections de souvenirs d’autres gens me rappelle que nous pouvons tout aussi facilement être oubliés.Je veux laisser un héritage pour les autres qui sera entretenu par cette collection.

Peut-on parler de caricature et de physiognomonie dans votre travail?
La caricature. . . J’ai été un fan d’artistes comme Thomas Nast et Honoré Daumier pendant de nombreuses années. Ils ont eu tout à fait une influence sur moi en ce qui concerne la caricature. Leur influence se manifeste dans la conception de certains des personnages de mes tableaux. J’aime aussi Heinrich Kley et Jean Ignace Isidore Gérard Grandville alias JJ Grandville et ses personnages anthropomorphes. La raison pour laquelle je fais mes personnages non-humains la plupart du temps est que je peux aborder des sujets comme le racisme ou la question des classes sociales sans être spécifique. Je suis toujours intéressé par les « outsider », c’est à dire les gens qui sont persécutés à tort pour être différent. Mes personnages ont tendance à être juste des êtres exceptionnels qui essaient de vivre leur vie comme tout le monde. Malgré leurs différences évidentes visibles pour les gens normaux, je tiens à leur donner une sorte d’humanité et de dignité.

Quelles matières et outils utilisez-vous pour rendre ce côté « portrait victorien »?
Les outils que j’utilise sont de fins pinceaux kolinsky sable-hair , du graphite et de la peinture acrylique. Mes surfaces de peinture sont des planches ou des panneaux lisses.

On imagine un peintre doté de beaucoup d’humour et qui pratique la dérision, on se trompe?
J’essaie d’avoir le sens de l’humour dans mes tableaux. Je pense que je peux créer un tableau narratif qui soit aussi amusant.

Vous dessinez essentiellement des portraits : si vous deviez citer un portrait célèbre dont vous admirez le trait et le style, lequel serait-ce?
J’admire la tradition des portraits en peinture et j’ai étudié les portraits faits par des artistes comme Hans Holbein et Ingres.

Vos toiles nous soufflent-elles à l’oeil que derrière le monstrueux guette l’humanité , que le monstre est un homme comme les autres…?
J’essaie de donner à mes personnages l’humanité qui les fait paraître plus dimensionnel et qui donne au spectateur quelque chose à quoi ils puissent se raccrocher. Je pense que la qualité humaine que je donne à ces personnages  » monstrueux » les fait grandir dans une réalité qui fait sens. J’invente un passé pour chaque personnage que je peins. Je fais des recherches et trouve ce qui convient le mieux au personnage. Cela leur donne aussi une sorte d’humanité.

Ce côté loufoque, délirant est une manière de faire tomber les masques? peut-on dire que vous représentez l’être tel qu’il est vraiment?
L’absurdité de personnages qui ont des métiers et essaient de vivre leur quotidien en étant des monstres est une bonne façon pour moi de représenter certaines vérités qui existent dans notre monde sans les évoquer plus directement. Je laisse sur la toile et dans le texte de petits indices sur le genre de personnages dont je me moque.

Dernièrement, votre pinceau semble avoir évolué et l’on voit des personnages humains à part entière que vous accompagnez d’un compagnon étrange? D’où vient cette évolution?
Les travaux plus récents que j’ai conçus avec les personnages humains et les créatures est en lien avec un secret de la Victorian Pet Society qui a un spectacle pour animaux de compagnie tous les deux ans dans un lieu tenu secret. La série sera publiée dans un livre qui sortira plus tard cette année.

Vous avez déjà exposé votre travail en Europe… notamment à Rome et à Berlin. Une exposition à Paris, un jour, pourrait-elle se voir concrétiser?
Je fais actuellement partie d’une exposition qui se déroulera à Paris du 25/01 au 23/08 2013 à la Halle Saint Pierre ( Paris), intitulée : HEY! modern art & pop culture / Part II.

Le site de Travis Louie ICI

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