Pedro Juan Gutiérrez - L'insatiable homme-araignée ( photo)

Pedro Juan Gutiérrez :  » Vivre hors de son pays est castrateur « 

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Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / L’inénarrable Pedro Juan Gutiérrez nous revient cette fois-ci avec un roman qui ne trahit pas sa plume ciselée et violente. Ce nouveau roman sert le dessein d’une frénésie charnelle et sexuelle propre à l’écrivain cubain qui parle sans ambage d’un Cuba, loin du pastiche de la carte postale qui exige de Cuba une vision idyllique et très éloigné de la réalité. Malgré tout, Pedro Juan Gutiérrez le dit « Vivre hors de son pays est castrateur». C’est pour cela qu’il y vit dans l’idée de témoigner au mieux de la misère, de la violence et de la part d’humanité souffrante de ce pays mais il nous assure «qu’il rit beaucoup et qu’il est très optimiste même s’il nous avoue qu’écrire ne lui procure aucune sérénité contrairement à la peinture.

propos recueillis par

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La citation de Frank Lloyd Wright au début de livre n’incarne-t-elle pas à elle seule le fondement de votre écriture?
J’aime utiliser chaque fois que je peux une citation en première page de mes livres, qui sert de clé pour le lecteur. C’est un code que je lui donne pour qu’il sache vers où j’essaye d’orienter le livre.

Vous faites dire à votre personnage Silvia dans les toutes premières pages du roman que “cette île est une cage”. Est-ce plus vrai aujourd’hui qu’avant?
Toute île, par définition, est une cage. Mais dans le cas de mon pays, ça a été vrai pendant plusieurs années. Aujourd’hui tout se relâche un peu. Lentement. Et c’est bien comme ça. Ils se sont crispés très vite et ça a duré des années, maintenant ils se détendent. Qu’ils continuent de se détendre lentement !

Vous commencez votre livre avec un prologue dur et saisissant que vous terminez en racontant votre situation actuelle. Vous semblez ainsi vouloir mettre le lecteur dans les meilleures dispositions pour rencontrer l’insatiable homme-araignée. Est-ce une façon d’accueillir le lecteur dans votre univers?
Le livre n’est pas un roman. C’est un recueil de nouvelles, très proche de « Carne de perro ». Mais ce sont des nouvelles qui s’enchaînent et qui peuvent donner l’apparence d’un roman ou d’un récit continu. D’autre part, quand j’écris je ne pense jamais au lecteur. J’écris en étant plongé dans le monde qui se crée entre les personnages et moi. Je crois que c’est ce qui arrive à tous les écrivains.

Comme vos derniers romans, ce livre ne détonne pas des autres ni par son style ni par sa violence humaine. Il n’y a pas de compassion envers les personnages ni entre eux par ailleurs, mais plutôt une froideur efffrayante face à la misère et au désespoir. Est-ce le cas?
J’ai écrit ce livre il y a une dizaine d’années environ. Je vivais comme mes personnages, qui sont tous pris de la réalité. Ce ne sont pas des inventions. Aussi quand tu vis une situation aussi dure, tu ne peux pas vraiment t’attendrir et devenir sentimental. Et surtout tu ne peux pas compatir ni avoir pitié. C’est une lutte féroce pour survivre. Une lutte individuelle. Une bande de loups.

Vous parlez de vos trente ans et vous dites que vous étiez idéaliste, que vous conceviez le monde de façon bipolaire avec les bons et les méchants et que vous faisiez partie du camp des gens biens. Aujourd’hui, avec une certaine amertume, vous analysez cette vision comme de la bêtise. Est-ce que vous diriez que Cuba vous a transformé?
Cuba a transformé ma vie, mes années, le temps, ma faculté d’analyser, d’avoir beaucoup plus d’information objective et fiable. Et surtout ma décision de mettre de l’amour et de la compassion dans mon cœur et de ne pas continuer à vivre en luttant comme un fauve. C’était une vision très autodestructive. Je me suis efforcé de mettre de côté la haine et la rancœur, les divisions stupides entre bons et méchants. C’était une manipulation sordide. Je me sens aujourd’hui beaucoup mieux.

Si vous aviez vécu ailleurs, dans un autre pays, cela aurait-il été différent?
Oui, bien sûr. Ça a toujours été très clair pour moi : l’exil ne m’intéresse pas. Parce que vivre hors de son pays, c’est castrateur. Du moins pour les artistes cubains et les écrivains. C’est très castrateur. Ici à Cuba, j’ai sous la main toute la matière première que j’utilise dans mes récits, dans ma poésie, dans tout. Et ça c’est très encourageant.

La désillusion quant à la notion d’idéal dans l’existence revient souvent. En cela, vous pensez que l’idée même de la femme idéale n’existe pas et que “tout cela est écrasé par l’esprit de l’époque”. Qu’entendez-vous par l’esprit de l’époque?
L’esprit de l’époque c’est le mercantilisme. Tous les interstices dela vie quotidienne ont été inondés par le mercantilisme. Nous voulons tous vendre quelque chose. Ou acheter. Et nous passons notre vie à ça. Dans cette roue insatiable. Dans le capitalisme, la social-démocratie perd de plus en plus de terrain tandis que le capitalisme sauvage en gagne. C’est une situation terrible pour la littérature, pour les arts, pour la vie spirituelle. Par exemple, en littérature ce à quoi aspirent presque tous les éditeurs c’est de trouver un best seller tous les mois pour devenir millionnaires et pouvoir faire autre chose. Je suis sûr qu’un écrivain aussi expérimental et révolutionnaire que Julio Cortázar ne trouverait pas aujourd’hui d’éditeur et vivrait inconnu et abandonné dans un coin de Paris.

Dans vos romans, la femme a souvent un rôle de tentatrice et de sources de désirs pour l’homme qui lutte pour résister. Est-ce l’expression de votre sentiment ou la perception fantasmée d’une certaine féminité?
Vous me posez des questions comme si j’étais un philosophe ou un anthropologue. Vous êtes très sympathique. En réalité, je suis seulement un écrivain de la Caraïbe. Et c’est fondamental. Un écrivain de la Caraïbe est très différent de beaucoup d’autres écrivains parce qu’il est formé par un contexte très particulier. Le contexte de la Caraïbe c’est, en général, un contexte d’hommes machistes, avec du racisme, et une pauvreté considérable. Et la plupart de mes personnages sont des hommes noirs, machistes et pauvres. Et ils voient la femme au-dessous d’eux. Ces personnages pensent et agissent de cette façon. Je n’ai rien à voir avec mes personnages. Ils sont indépendants. Mais ils peuvent être charmants, malgré leur vision très primitive des choses.

Vous parlez avec truculence de votre ancien métier de journaliste. Et vous dites “les bons journalistes ont toujours été des fils de pute”. Pouvez-vous nous éclairer sur cette idée?
Je crois que la phrase est assez explicite. Un journaliste ne peut jamais être quelqu’un de bien parce qu’il meurt de faim. Le bon journaliste est toujours un manipulateur, qui utilise celui qu’il a besoin d’utiliser, qui trompe, qui écrit ce que le directeur l’oblige à écrire et qui peu à peu se transforme en mercenaire. Il y en a très peu qui échappent à ce destin qui conduit directement au cynisme.

Qu’est-ce qui fait que l’homme araignée est insatiable?
Parce que tout lui paraît trop peu. Il veut toujours plus.

Est-il à ce point torturé par le sexe?
J’ai toujours été un très gros drogué du sexe. Mais des fois, je me dis qu’à Cuba, quand les gens sont jeunes et que les glandes sécrètent de grandes quantités de testostérone, on est tous très agités par le sexe, tels des étalons sauvages courant dans la prairie derrière des juments. Forts, puissants et simples. Après 60 ans, ça s’assagit un peu et on gagne en équilibre.

On a l’impression pesante que votre livre est une parabole du chaos. Lorsque vous écrivez : “J’ai passé presque toute ma vie à apprendre à voir quelques éléments cohérents au milieu du chaos”. Diriez-vous que vous avez perdu tout espoir?
Quand j’ai écrit ce livre, j’étais, c’est vrai, très désespéré. Plongé dans le chaos, la violence, le désespoir. Ça, la pauvreté, la peur de la misère et les effets de la pauvreté, sont les véritables sujets de tous mes livres, non seulement en prose mais aussi en poésie. Dans ceux-là (dans la poésie) je m’exprime avec davantage de liberté sur tout ça. Malheureusement, je ne trouve jamais d’éditeurs pour la poésie. Il y a des lecteurs mais les éditeurs n’osent pas.

On vous sait également peintre. Dans quelle expression artistique trouvez-vous le plus de sérénité?
Écrire n’est pas une source de sérénité. Bien au contraire. La peinture est beaucoup plus reposante. Et les collages. Je fais de la poésie visuelle. Je fais des expériences avec des collages et des textes, c’est merveilleux.

La peinture vous éloigne-t-elle du chaos?
Ma peinture est le chaos exprimé en action. Je libère beaucoup d’énergie négative pendant que je peins. Je cache beaucoup de tableaux. Mon webmaster me demande des photos pour les mettre sur le site internet et moi je ne veux pas. Je ne veux pas montrer ces tableaux si terribles. Ce sont des images de l’enfer.

Malgré tout le désespoir qui plane sur vos romans depuis “Trilogie sale de la Havane”, Pedro Juan Gutiérrez est-il si profondément fataliste?
Non. Pas du tout. Je ris beaucoup. Je suis très optimiste. J’ai de la patience et de la bonne humeur pour répondre à ces longues interviews cartésiennes, et en général je suis convaincu que l’humanité vit mieux de jour en jour, quoique les hommes politiques et les médias nous fassent croire le contraire, pour mieux nous manipuler. Ils veulent nous injecter une dose de peur chaque jour. Je crois que dans Trilogie et dans tous les autres livres, il y a toujours un esprit de lutte, de joie et d’optimisme. Mes personnages, quand ils ne peuvent plus rien faire, se mettent à boire du rhum, à avoir des relations sexuelles débridées et à écouter de la musique. C’est un bon antidote contre le désespoir.

Pedro Juan Gutiérrez – L’insatiable homme-araignée – Editions 13ème note

( traduction de l’interview : Olivier Malthet / photo : DR)

Le site de Pedro Juan Gutiérrez
Le site des éditions 13ème note

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