Max Monnehay: généalogie de l’amoral

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Par Harold Cobert –bscnews.fr/ Max Monnehay a le chic pour revisiter et dépoussiérer les grands archétypes littéraires et philosophiques.
On se souvient de son entrée fracassante en littérature avec Corpus Christine (2006, Prix du Premier Roman), où la primo- romancière se glissait d’une manière très personnelle dans le canevas de la célèbre dialectique du maître et de l’esclave de Hegel.

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Dans Géographie de la bêtise, son deuxième roman publié au Seuil,Max Monnehay s’insinue dans la structure de la fable et de l’utopie pour mieux en faire éclater les cadres et les codes. De quoi s’agit-il ? Pierrot, estampillé idiot par notre société éprise d’intelligence rationnelle et d’efficacité mercantile, décide de fonder un village où les benêts de son espèce pourront vivre loin du regard condescendant et de l’ostracisme dont les gratifie l’humanité dite « normale ». Cette microsociété est une réussite totale. Hommes et femmes vivent heureux, en parfaite harmonie les uns avec les autres et avec eux-mêmes. Une sorte de paradis sur terre, d’Eden perdu enfin retrouvé. Très vite, le village et le bonheur de ses habitants font des envieux. Des êtres normaux essaient de se faire passer pour des idiots afin de rejoindre cette communauté. Pour endiguer cette menace, Pierrot met au point un test de QI inversé et redoutablement performant. Bastien, le narrateur, l’assiste et le seconde dans cette tâche primordiale de salut public. Lorsqu’arrive Elisa, il débusque tout de suite sa normalité qu’elle tente tant bien que mal de travestir en idiotie afin d’entrer dans le village. Sous le charme, raide dingue amoureux même, il trafique les résultats désastreux de sa bien aimée et l’introduit dans cet îlot tant convoité. Le ver est dans le fruit…
Porté par une écriture au couteau, Géographie de la bêtise interroge sur la normalité, l’anormalité, la différence, l’exclusion, l’inversion des valeurs, la perte du lien social, les dérives utilitaristes et la violence des rapports humains. La force de l’utopie, en général, est de nous faire envisager notre monde sous un angle inédit et critique. À l’instar des Persans de Montesquieu épinglant les aberrations et les travers de la société monarchique française du XVIIIe siècle, Max Monnehay griffe au sang notre raison qui déraisonne, harponne notre propension actuelle à travestir la bêtise des oripeaux d’une fausse intelligence qui détruit au lieu de construire, divise au lieu d’unir, génère la jalousie et la haine plutôt que la générosité et l’amour. « Heureux les simples d’esprit, car ils seront appelés fils de Dieu » pourrait être la morale de cette fable moderne ? Ce serait trop simple, et Max Monnehay est plus fine que cela. Sa fable ne livre pas explicitement son sens dérobé. Au lecteur d’être assez pertinent – ou impertinent – pour conclure.
Une remarque, pour finir, qu’on ne lira peut-être nulle part. Il faut plusieurs romans d’un auteur pour commencer à dégager les lignes de force d’une œuvre en construction. Penser que Max Monnehay n’aurait que le don de créer des situations étranges, bizarres, dérangeantes, et de tricoter des sujets originaux pour le seul plaisir de se démarquer serait avoir la vue basse et superficielle. Si l’on met en perspective son nouvel opus avec son premier, un sujet plus profond, sans doute une obsession souterraine, se fait jour : l’amour. Si, si, l’amour. L’amour vache, son caractère intrinsèquement conflictuel, ses déviances sadomasochistes dans Corpus Christine ; sa bêtise, son idiotie, sa folie, sa charge séditieuse dans Géographie de la bêtise.
« La poésie nous protège contre la rouille qui menace notre formule de l’amour et de la haine », écrivait Jakobson. À ce titre, la littérature et l’art sont des appels à la vigilance et à l’esprit critique. Les romans de Max Monnehay sont de cette facture et de cette envergure.

Titre: Géographie de la bêtise

Editions: Seuil

226 pages.

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