Marguerite Duras : un barrage contre l’opacifique

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / On affirme que trois millions d’exemplaires de L’Amant auraient trouvé preneurs. Cela suffit-il à faire de Marguerite Duras un écrivain populaire, ou le Goncourt 1984 fut-il une victoire à la Roger Walkowiak ? Est-elle cacique, voire cactée, parmi les classiques ? Le débat reprend à la moindre occasion, par exemple celle de lire tout Duras.

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En fait, Duras est comme Proust : beaucoup l’évoquent dans les dîners en ville, mais peu l’ont lue. Pourtant Gallimard y croit, qui publie les œuvres complètes de Marguerite Duras. Deux volumes sont disponibles et deux autres sont attendus.
Son premier roman,« Les Impudents », paraît en 1943 suivi de près par « La Vie tranquille » qui restera longtemps son plus grand succès de librairie. Un succès très relatif face aux vedettes du moment,  émergentes  tel Saint-Exupéry, ou éphémères comme Lanza del Vasto. Dans les années qui suivront, on comparera successivement Duras à Mauriac, Sartre, Hemingway. D’aucuns se sentiraient flattés. Pas elle. Elle imaginait être le plus grand écrivain du monde, rappelait Alain Robbe-Grillet. Ce qu’elle ignorait, c’est que d’autres avaient cette ambition aux éditions de Minuit où la modestie n’a jamais été une vertu cardinale. Robbe, Beckett, Simon y pensaient aussi en se rasant. Plus tard, lors d’une poussée de prurit magnanime, elle concédera  qu’il existe deux géants : «  Simenon et moi » …
En 1950,  « Un barrage contre le Pacifique » manquera le Goncourt parce que Duras est membre du Parti communiste. Dix ans plus tard, le même prix sera attribué à Vintila Horia et non décerné à cause du passé politique de l’auteur, inopinément révélé. On se dédouane comme on peut.  Ce n’est pas de nature à dissiper le manque d’humour et d’autodérision que Marguerite D affiche déjà, parmi un faisceau de qualités, dont celle de tenir tête, toujours. Selon Dominique Noguez, elle était par bien des aspects admirable, par d’autres lamentable.
On le sait, les volumes de la Pléiade sont agrémentés de préfaces et de notes exigeantes, denses, chirurgicales parfois. Elles collent utilement à la superbe de Duras, adoubée depuis 1972 auteur pour universitaires. L’allusion à la « série labyrinthique de textes formant plis et replis, offrant réécritures et reprises » est confirmée par Michael Lonsdale. Le texte de la pièce L’Amante anglaise était devenu au gré des répétitions « une espèce de torchon avec des ratures partout », tant Duras le réécrivait sans cesse. Au point qu’après six semaines, il fallut lui dire : non, tu ne changes plus rien ! Un travail en évolution constante, dont les snobs de la mise en scène allaient faire un procédé systématique sous l’appellation work in progress. Diablement plus intelligent, n’est-il pas ? Yes indeed. .
L’édition est publiée sous la direction de Gilles Philippe, le premier volume  contient 10 titres , des « Impudents » à « Dix heures et demie du soir en été », avec notamment « Un Barrage contre le Pacifique,  Les Petits Chevaux de Tarquinia, Moderato cantabile ». La chronologie couvre les années 1872 (naissance du père de MD – elle naîtra en 1914) à 1960. Le deuxième volume  couvre les années 1960 à 1973, soit 21 titres, de « Hiroshima mon amour » à « Indian Song », avec « Le Ravissement de Lol V. Stein, L’Amante anglaise » et « Détruire, dit-elle ». L’appareil introductif et critique cerne et analyse finement les enjeux de chaque pan de l’œuvre, puisque roman, théâtre, cinéma se conjuguent désormais dans l’univers de celle qui préférait être considérée comme un écrivain, plutôt que comme une intellectuelle. Vous avez dit écran de fumée ? Et c’est sans évoquer la production journalistique à venir.

« Œuvres complètes », Marguerite Duras, Gallimard /Bibliothèque de la Pléiade, t. I, 58 euros (prix de lancement) ; t. II, 62 euros (prix de lancement)

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