nausica Zaballos - Dahlia Noir Livre

Nausica Zaballos : la tête chercheuse

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Par Sophie Sendra – bscnews.fr / Exclusivité BSC NEWS MAGAZINE – Sophie Sendra a correspondu avec Nausica Zaballos, l’auteur de «Crimes et Procès sensationnels à Los Angeles (1922-1962)», et de «Au-Delà du Dahlia Noir» (Éditions Édite). Nausica Zaballos a pris le temps pendant plusieurs jours de répondre à une interview épistolaire exclusive que nous vous proposons de découvrir.

propos recueillis par

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Le 12 Janvier 2012 Chère Nausica Zaballos,
J’ai reçu votre ouvrage Crimes et Procès sensationnels à Los Angeles (1922-1962), Au-Delà du Dahlia Noir( Éditions Édite). J’ai été étonné de voir que l’auteur était une femme et c’est peut-être cela qui m’a intrigué. Pourquoi cette réaction de ma part ? Je ne sais pas.
Dans ce genre d’ouvrage, on s’attend (par réflexe) à voir le nom d’un homme de façon générale. Il est vrai de constater que les spécialistes en criminologie sont en majorité des hommes.
Mais est-ce un ouvrage de criminologie ? En lisant, j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’une étude sociologique, d’une personnification de la ville de Los Angeles, d’une étude de cas très troublants de comportements humains. Tout ceci à la fois.
Même si tout ceci n’est explicite que dans l’Avant-propos, le lecteur est traversé par cet ensemble. Il s’agit également d’une sorte de critique d’une certaine presse, d’une critique de cet attrait morbide pour les scènes de crimes, un attrait que les séries télévisées, les programmes télévisuels actuels mettent en avant de nos jours, pour un public toujours plus nombreux.
Mais la question qui « brûle » mon clavier est de savoir comment ce domaine s’est imposé à vous ? Est-ce le résultat d’un cheminement d’idées, d’un projet d’étude culturelle plus vaste ?
Cela fait peut-être beaucoup pour une simple lettre, mais je dois avouer que mon désir de comprendre m’amène parfois à m’interroger plus que de raison.
Vous remerciant par avance de prendre le temps de me répondre,
Bien à vous,
Sophie Sendra

Le 15 janvier 2012
Chère Sophie,
Tout d’abord, j’aimerais vous féliciter pour votre brillante idée de renouveler le genre de l’interview journalistique en remettant au goût du jour l’échange épistolaire. Dans une société caractérisée par une accélération et multiplication des flux de communication, l’introspection et la distanciation que permettent l’écriture s’en trouvent parfois malmenées. Je compte également sur vous pour nourrir notre réflexion commune et animer notre débat.
Mon ouvrage suscite chez vous de nombreuses interrogations. Je vais essayer d’y répondre. Si Crimes et Procès semble relever de plusieurs genres, quelques éclaircissements quant à sa genèse pourront peut-être expliciter ma démarche. Mon intention n’était pas de rédiger un ouvrage de criminologie mais de dépoussiérer certaines affaires qu’il me semblait nécessaire de partager avec des lecteurs. 
Pourquoi? L’un des points communs aux différents procès abordés dans le livre est leur retentissement médiatique. Pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, les criminels arrêtés, jugés ou pourchassés (après s’être évadés) ont fait l’objet d’une attention particulière de la part des médias et de l’opinion publique qui tentaient de percer à jour les motivations de ces femmes et hommes, dont la conduite et l’apparence ne laissaient en rien présager de leurs méfaits. Et pourtant, après avoir fait la une des journaux, vu leurs vies adaptées en films ou séries TV (comme pour l’évangéliste Aimee Semple McPherson incarnée par Barbara Stanwick ou Faye Dunaway), ces individus ont sombré dans l’oubli. Sans vouloir réhabiliter ces criminels ou tenter de trouver des excuses à leur conduite délictueuse, il m’a semblé que tous et toutes, de la tueuse au marteau Clara Philips à William Edward Hickman en passant par Aimee Semple McPherson, étaient des figures proches des héros tragiques de l’Antiquité. Ce qui les avait perdu ou fait basculer dans le crime et la folie était d’une certaine manière leur soif de reconnaissance, le désir de n’exister qu’à travers autrui, d’être le point de mire de l’ensemble des regards. Hickman, qui démembra et éviscéra une petite fille, l’affirme bien pendant son arrestation et son procès. La question qui le taraude est « Vais-je devenir aussi célèbre que les étudiants Nathan Leopold et Richard Loeb? », deux autres meurtriers à l’intelligence remarquable qui assassinèrent Bobby Franks, un jeune de 14 ans quelques années auparavant à Chicago.
Il serait aisé d’intenter un procès à la presse qui s’est emparée – parfois de manière sensationnelle – de ces affaires criminelles. Certains accusés se sont posés en victimes des journalistes. Mais, tous les procès montrent que dès l’arrestation des suspects, un jeu de séduction s’est rapidement mis en place entre eux et les journalistes. Les déclarations provocatrices d’Hickman ont nourri la rage des habitants de Los Angeles et celle du procureur déterminé à obtenir la peine capitale. Elizabeth Mae Duncan, cinquantenaire incestueuse qui fit assassiner sa belle-fille enceinte car elle ne supportait pas de voir son fils quitter le domicile maternel, cabotinait régulièrement devant les flashs des photographes. Les illustrations du livre montre des criminels qui ne manquent pas d’aplomb, des meurtriers qui semblent trouver dans leur déchéance, leur condamnation par la justice et la vindicte populaire une forme d’ascension sociale et de reconnaissance ultime. Ce type de comportement est très troublant mais l’expliquer par la seule action de la presse serait – à mon avis – très réducteur. Ces personnes ont toutes recherché à être sous les feux des médias et lorsque l’attention des journalistes ou du public s’est relâchée à leur égard, elles ont tout fait pour être de nouveau sous les projecteurs, par une évasion rocambolesque, par une nouvelle remarque mesquine etc.
J’avais donc en tête de montrer comment l’hybris – l’orgueil, la confiance en soi absolue – peut conduire au meurtre, à l’abjection morale la plus complète. Les histoires que j’ai sélectionnées me semblaient intéressantes dans la mesure où il existait un certain décalage entre la figure publique de l’accusé – la manière dont il pouvait être perçu par ses voisins, ses proches – et ce qu’il était réellement, ce dont il pouvait être capable. On se représente souvent les tueurs comme des êtres dont l’apparence physique reflète le sadisme ou les vices. Les personnes décrites dans mon livre sont une épouse jeune et irréprochable, une évangéliste décrite comme un ange et à qui la foule prêtait des pouvoirs de guérison, un jeune homme distingué et brillant intellectuellement, une baby-sitter enfantine… Tous ses procès montrent que la question du pourquoi n’est jamais résolue et les débats des experts psychiatres prouvent que si l’on peut établir des profils de criminels, il nous demeure difficile de comprendre et encore plus d’accepter ces meurtres. En ce sens, certaines affaires criminelles renvoient à l’incompréhension naturelle de l’humanité pour certaines situations de souffrance et d’abus perpétrés qui peuvent incarner une forme de mal absolu. Si Hickman a souffert dans son enfance, cela n’empêche pas l’opinion publique d’être révulsée par le meurtre de la petite Marion Parker. D’où vient le mal ? Comment y remédier ? Peut-on imaginer une humanité sans part d’ombre, sans montres ?
Ses affaires m’intéressaient aussi parce que la plupart d’entre elles illustrait un rapport tronqué ou perverti à la transmission filiale (…) Sur huit histoires traitées, cinq d’entre elles mettent en scène des femmes criminelles. Ce n’est pas un hasard. Vous me parliez de la fréquence plus importante de criminologues hommes (je vous conseille le site Criminocorpus de Marc Renneville) et peut-être aviez-vous également en tête les nombreux auteurs de romans policiers hommes (même si de nombreuses femmes se sont illustrées dans le domaine, de Phyllis Dorothy James -P.D. James- à Fred Vargas). Et bien, on a souvent du mal à imaginer des femmes commettre des meurtres ou faire preuve de sadisme. Dans les divorces ou les affaires d’abus familiaux, ce sont souvent les pères et maris qui sont sur la sellette, la suspicion se portant généralement automatiquement sur eux. Or, les affaires que j’ai traitées montrent que les femmes peuvent faire preuve d’autant de violence (…) que les hommes. La violence ou le sang-froid criminel ne sont pas « genrés »: une femme peut aussi tuer. 
On associe volontiers des qualités maternelles aux femmes, c’est pour cela que l’affaire des bébés congelés ou le meurtre de la petite Caylee Anthony aux USA déchaînent les foules. On ne peut pas imaginer une mère être responsable de la mort de son enfant. Cet été, j’étais aux États-Unis. Casey Anthony, la mère de la petite Caylee, venait d’être reconnue non-coupable du meurtre de son enfant bien que presque tout dans l’affaire l’accablait. De nombreux américains furent outragés par le verdict du jury qui se justifia en évoquant le concept de « reasonable doubt ». Ce type de procès est capable de mettre en branle toute une série de fantasmes et d’interrogations, à cause de l’apparence de la prévenue – fragile, douce, jeune – et du résultat final. Au final, comment l’enfant est-il réellement mort ? Cela personne ne le sait réellement, mais cela n’a pas empêché l’imaginaire et la mémoire collective de s’emparer de cette triste histoire. A l’instar de l’affaire Edward Hickman traitée dans le livre, de nombreuses chansons ont été écrites en l’hommage de Caylee. Chacun ayant sa version de ce qui s’est réellement passé. Les débats soulevés par Elisabeth Badinter et ses contradicteurs m’intéressent beaucoup. Peut-être certaines femmes n’ont-elles pas d’aptitude à la maternité alors que des pères peuvent se révéler très papa-poule et faire preuve d’une bienveillance que l’on qualifierait traditionnellement de « maternelle » ?
Dans l’affaire du meurtre de Caylee, on a évoqué la famille dysfonctionnelle de la jeune maman de 22 ans pour expliquer ce qui aurait pu pousser cette femme au crime. Les affaires que j’ai traitées montrent des défenses bâties sur le même type de raisonnement et de justification. On en revient à la question de base – Pourquoi le mal ? – en ajoutant : « sur plusieurs générations ? ». Une forme d’atavisme peut-il nous aider à comprendre les motivations des criminels et dans une certaine mesure à les excuser ? Je ne souhaite pas répondre à cette question, mais les histoires que j’ai sélectionnées m’intéressaient avant tout pour ces motifs de répétition, de névrose de destinée comme aurait-pu dire Freud. Pourquoi Hickman, affublé d’une mère folle et d’un père inconséquent, n’a-t-il pas utilisé son intelligence pour échapper au sombre destin familial ?
Les conditions économiques ou sociales ne sont jamais éludées dans mon traitement des affaires, notamment lorsque j’évoque la réaction de la philosophe et essayiste Ayn Rand lors du procès Hickman ou la fascination exercée par Aimee Semple McPherson sur les foules de fidèles venus l’acclamer à l’Angelus Temple. Certaines affaires du livre mettent en scène des « flappers », des jeunes femmes émancipées des années 1920 et 1930. Ce furent des époques où la représentation des rôles des femmes – au sein de la famille et au cinéma pendant le passage du muet au parlant – fut modifiée, provoquant parfois l’incompréhension. Un acteur très apprécié du cinéma muet, Milton Sills, écrivit un article pour le Los Angeles Times en 1922 dans lequel il établissait un lien entre les femmes criminelles et les « flappers ». Certains observateurs ont pu voir dans les meurtres commis par des femmes ou des adolescents dans les années 1920 un moyen de s’émanciper d’une tutelle paternelle ou d’une autorité conjugale. S’il est intéressant d’avoir une approche de certaines situations s’inspirant de ce qui se fait aux États-Unis dans les Gender Studies (études de genre) et de favoriser l’émergence de ce type de recherches en France, peut-être faut-il parfois aussi se garder de tout interpréter à travers un prisme culturaliste ou d’identité minoritaire ? Il existe une expression actuelle qui m’exaspère : les médias parlent souvent de « vraies gens », les slogans publicitaires ou politiques matraquent « la vraie vie ». C’est quoi la vraie vie ? Les vraies gens ? Selon moi, il existe avant tout une multitude de gens, hommes et femmes, avec des expériences, des subjectivités, des passés différents. Lorsque certains comportements dépassent notre entendement, peut-être faut-il accepter les limites des catégorisations sociales, ethniques ou culturelles. Certes, elles rassurent, mais si l’on ne s’intéresse pas à l’homme ou la femme en tant que sujet, différent et unique, dont l’identité ne se réduit pas à l’appartenance à un groupe, alors reste-t-on étranger à ce qui fait son « exceptionnalité » d’être humain.
Pour conclure cette première lettre déjà très longue, j’évoquerai un dernier point : le lien entre mes recherches universitaires en histoire de la médecine et ce livre. J’ai reconstitué et analysé l’histoire d’un hôpital psychiatrique californien, le Camarillo State Mental Hospital, où de nombreuses stars l’auteure de roman policier Craig Rice, les jazzmen Charlie Parker et Phineas Newborn ont été internés. Certains des criminels de Crimes et Procès sensationnels ont également été internés au Camarillo. En étudiant cet hôpital, j’ai découvert toute une série de figures du monde judiciaire – le sheriff Biscailuz – ou du cinéma que je souhaitais voir revivre. L’histoire de l’hôpital faisant l’objet d’une publication séparée (à paraître chez Édite en mai-juin 2012), j’ai commencé à écrire Crimes et Procès.
J’espère avoir répondu au mieux à vos interrogations. Je pense peut-être en avoir suscité d’autres. Mais, en attendant votre prochaine lettre, me permettrez-vous de mentionner un nom : Stuart Kaminsky, une autre de mes inspirations ? Peut-être me laisserez-vous le présenter la prochaine fois afin que vous puissiez faire connaissance avec lui ?
Bien à vous,
Bon dimanche,
Nausica Zaballos.

Le 19 janvier 2012
Chère Nausica,
Merci pour cette (longue) réponse qui précise effectivement les choses…
En fait, j’ai mis beaucoup de temps à vous répondre car je travaille beaucoup en ce moment et je lis votre ouvrage en même temps, ce qui me permet de comprendre au fur et à mesure votre démarche.
Ce qui me frappe en vous lisant c’est ce questionnement sur le « passage à l’acte » de ces criminels si normaux, si passe-partout. Quand on les découvre, ce qui nous stupéfait en premier c’est qu’ils ne sont pas des « monstres », mais ressemblent à nos voisins, nos copains de classe etc. Imaginer l’humanité sans part d’ombres, sans monstres comme vous le dites est, à mon sens, impossible car cette humanité est capable du pire comme du meilleur, elle n’est pas monstrueuse, elle est humaine dans tout ce qui nous dérange. Dire que ce sont des monstres reviendrait à les exclure de l’espèce humaine. Or, et c’est là que c’est dérangeant, ils sont humains dans ce que cette humanité à de pire.
Lorsque vous parlez de d’Éva, la maman D’Hickman, vous posez la question de savoir si la folie se transmet. La vie de ce meurtrier est semble-t-il, à l’origine de troubles du comportement, de passages à l’actes, mais la psychiatrie moderne montre qu’un faible taux de maladies mentales se transmet et que ce qu’ils vivent dans l’enfance n’est pas « une raison suffisante » qui expliquerait ces passages à l’acte (fort heureusement d’ailleurs) et qu’affirmer que, dans tous les cas, cela donne ces « monstres » serait du domaine du déterminisme.
Enfin, quelque chose m’a interpellé. Selon certains commentateurs de l’affaire, la lecture de Nietzsche ou de Schopenhauer serait dangereuse pour la santé (surtout des autres apparemment!) puisque cela inciterait à des conduites meurtrières. En tout état de cause, cela pourrait avoir un impact du moment où vous avez une faille comportementale, une faille narcissique diraient les psychiatres, car la théorie du surhomme de Nietzsche ne peut-être correctement interprétée que lorsqu’on connait l’auteur et sa vie d’une part, et que l’explication de texte est faite sans a priori d’autre part.
D’ailleurs, en parlant de la problématique homme/femme, ces dernières ne sont pas exempts d’atrocités, mais les criminologues s’accordent sur le fait que, selon le modus operandi, il est possible de connaître le sexe de l’agresseur ou du criminel puisqu’ils ne procèdent pas de la même façon et que (toujours selon eux) les actes ne prennent pas la même forme selon que ce soit une femme ou un homme.
Avez-vous, dans le cadre de vos recherches, trouvez des différences (que ce soit d’attitude devant la presse,de cruauté)? Une dernière question : pourquoi vous intéressez-vous à ce genre de sujet au-delà du fait de « dépoussiérer ces vieilles affaires et de les faire partager » ?
Encore une toute petite question : votre prénom fait référence à un des personnages de l’Odyssée d’Homère (la princesse Phéacienne qui aide Ulysse). Hasard ou choix (très original !) de vos parents?
Bien à vous,
A très bientôt,
Sophie

Le 23 janvier 2012
Chère Sophie,
Merci pour vos remarques pertinentes sur le sens que l’on peut attribuer à l’Humanité, une humanité capable du meilleur comme du pire, une humanité qui, si je comprends bien votre raisonnement, ne devrait pas être qualifiée de monstrueuse lorsqu’elle commet des atrocités. Peut-être peut-on comprendre les justifications logiques, intellectuelles, culturelles ou le cheminement personnel qui permettent le « passage au crime » (contre l’humanité pour les cas de génocides par exemple) mais ne peut-on pas estimer que certains criminels franchissent une étape, qui les isole, les rendant « monstrueux » aux yeux de la communauté ? Et que penser de l’impératif catégorique de Kant dans ces cas-là ?
Le problème du passage à l’acte criminel appelle encore d’autres réflexions lorsqu’il s’agit de meurtriers jugés irresponsables car fous. La judiciarisation de la psychiatrie et les débats en cours sur le traitement sécuritaire des malades mentaux ont remis cette question à l’ordre du jour avec notamment les actions menées par le Collectif des 39 (psychiatres) contre la Nuit Sécuritaire. Quant à savoir si la folie se transmet, vaste et vieux débat, toujours d’actualité. Certaines associations des patients ou de familles touchées par la maladie mentale militent pour que les recherches identifiant une cause génétique au trouble mental soient privilégiées. Si la cure psychanalytique à l’ancienne peut avoir ses limites, donner une explication naturaliste aux troubles (…) peut aussi permettre à l’individu malade ou à sa famille de se défausser quant au rôle de « l’histoire personnelle » dans l’apparition des troubles.
Mais revenons au livre. Vous vous interrogez à nouveau sur mon intérêt pour ces affaires criminelles. Ces « cas » faisaient le lien entre plusieurs domaines de recherche comme le cinéma, les États-Unis et l’histoire de la psychiatrie et les relater m’a aussi permis de m’exercer à un style d’écriture très particulier. Si Crimes et Procès se veut instructif, il souhaite aussi être divertissant. J’aime beaucoup les films noirs avec James Cagney et je suis une grande lectrice de romans policiers. Dans ma précédente lettre, je vous parlais du Camarillo Mental Hospital dans lequel deux des meurtrières du livre ont été internées. Eh bien, l’auteure de polars, Craig Rice, a également été internée dans cet hôpital. Elle avait aussi enquêté comme journaliste sur l’affaire du tueur en série au rouge à lèvre, William Heirens… Ce qui me plaisait dans ce projet c’était non de dénoncer la presse sensationnelle mais de rendre hommage à une manière d’écrire et de faire du journalisme, à une époque où les journalistes se dépêchaient pour aller sur les lieux du crime, couvrir l’actualité et n’hésitaient pas à se transformer en enquêteurs. J’ai donc essayé de faire revivre l’ambiance d’une époque. L’encadré de début d’histoire avec les mots en caractères plus ou moins gras, rappelle les headlines ou gros titres et la reconstitution des histoires se veut factuelle, suivant au plus près les déclarations de l’époque. J’ai aussi été très inspirée par les romans de Stuart M. Kaminsky, aujourd’hui décédé. Enseignant à l’université de Floride, c’est aussi l’inventeur du personnage de Toby Peters, un détective privé qui opère dans le milieu du cinéma et sauve la mise à Errol Flynn, Judy Garland etc. Les meurtriers que j’ai sélectionnés avaient des « gueules » de cinéma et leurs procès montrent qu’ils ont souvent usé de leurs charmes pour tenter d’échapper à la peine capitale… Kaminsky a souvent brossé le portrait d’un Hollywood où les célébrités côtoient des demi-mondaines, des petits délinquants, toute une faune qui, elle aussi, rêve de passer à la postérité… J’avais envie de faire revivre un peu tout cela.
Concernant mon prénom, je le dois à mes parents, tous deux férus d’Homère. 
Je m’interrogeais quant à l’origine de votre nom de famille, est-ce français, du sud de la France, italien…?
En vous souhaitant une bonne fin de semaine,
Nausica Zaballos.

Le 23 janvier 2012
Chère Nausica,
Impossible de passer à côté d’Homère quand on voit votre prénom ! C’est peu banal et très poétique.
En fait, pour préciser ma pensée, l’humanisme veut qu’on accepte cette problématique très humaine. Nous sommes capables du pire comme du meilleur…malheureusement. Je comprends le terme « monstrueux » (ce que je conçois aisément concernant les cas que vous décrivez), mais il laisse dire à certains qu’ils ne font pas partie de la race humaine, ce qui est faux. Certains criminels passent une étape, et je suis d’accord avec vous sur ce point, mais lorsqu’on regarde l’Histoire, on découvre, bien à regrets, que les horreurs ont toujours été, c’est seulement en les découvrant, en les médiatisant, qu’on a pris conscience de ces « monstruosités » dont l’humanité était capable.
Bien entendu, ce que je dis n’excuse en rien tout ceci, cela ne fait (peut-être) qu’expliquer une partie (horrible) de ce qui compose notre humanité.
Quant aux recherches sur les protagonistes de ces crimes, il faut chercher les raisons, sans doute multiples, qui peuvent expliquer les passages à l’actes. La psychanalyse est, à mon sens, limitée en la matière. La psychiatrie est certainement plus appropriée. Les recherches en matière de génétique ou de « déterminisme » doivent aussi être soutenues, mais elles peuvent amener à des dérives (eugénisme, déterminisme à la « Minority report » etc.). La science doit garder une certaine conscience (comme le disait Rabelais). Cette idée d’une « génétique » du meurtre (en dehors de maladie type Schizophrénie etc.) est à prendre avec recul. Certains pourraient se rapprocher de thèses dérangeantes et les ériger en vérités absolues. Alors, je reste prudente…
Par contre, votre présentation est extrêmement claire et rend la lecture de votre livre très facile. Elle permet de revenir en arrière, de comparer les éléments entre eux.
J’adore également les séries qui parlent de détectives privés et, moi aussi, je me suis approchée de la littérature américaine des années 40 et 50 (sous un autre angle). C’est l’ambiance jazz, images en noir et blanc, une Amérique pleine d’espoir et de chamboulements, de liberté…
Un autre point qui a attiré mon attention : pensez-vous que certaines villes engendrent certains comportements, certains crimes ? C’est une sorte de « personnification » que je fais là, mais il semble que certaines d’entre elles « produisent » des criminels de plus en plus extrêmes.
En France, nous n’avons pas de « Crimes à Orléans » ou de « Dhalia Noir à Perros Guirec ». Je le dis avec humour, ne m’en veuillez pas, c’est juste pour me faire comprendre.
On dirait simplement qu’il y a (aux États Unis) un gigantisme des crimes qui est à l’image du gigantisme des villes elles-mêmes.
J’aimerais votre point de vue à ce sujet.
Enfin, pour répondre à votre question : mon nom est d’origine espagnole et, en très mauvaise représentante de mes ancêtres, je préfère les pays froids !
Mes origines sont diverses, je suis à moi seule un véritable melting pot. J’ai découvert ça en faisant quelques recherches…
Dernière question : à quoi ressemble votre bureau ? Photos en noir et blanc ? Affiches de films ? Une passionnée de cinéma comme vous doit collectionner certains objets représentatifs de ses passions ?!
Bien à vous,
Sophie

Le 25 Janvier 2012
Chère Sophie,
C’est vrai, à ma connaissance pas de « Dahlia Noir à Perros-Guirec » ou de « Crimes à Orléans », bien qu’en cherchant dans les archives de faits divers, on devrait pouvoir en trouver. Néanmoins, votre remarque m’a fait réfléchir quant au lien grande ville-criminalité. A supposer que le grand banditisme, le crime organisé ou les meurtres crapuleux aient besoin d’un environnement propice telle qu’une métropole ou une grande ville portuaire pour fleurir, de nombreux tueurs en série opèrent sur les routes de campagne ou dans de petites bourgades, au vert, à l’abri des regards. Je pense à l’Ogre des Ardennes, Michel Fourniret ou à Emile Louis dans l’Yonne, on a aussi l’affaire des disparus de Mourmelon…
Pour les États-Unis, ce n’est pas tant le gigantisme des villes qui influe sur la violence des crimes. Ce sont surtout les conditions sociales/économiques et la politique menée par le maire qui vont contribuer à faire d’une ville un aimant à criminalité. Une amie qui vit dans l’Iowa (état du Midwest, très rural) m’expliquait récemment que sa ville est victime des mêmes phénomènes de violence qui touchent de grandes métropoles comme New York ou La Nouvelle Orléans. A New York, on s’accorde à dire que les années Rudolph Giuliani ont été marquées par une baisse incroyable de la criminalité. Des quartiers entiers sont redevenus fréquentables grâce aussi à un processus de « gentrification ». Je pense à Hell’s Kitchen (un quartier surnommé la cuisine de l’enfer), des endroits dans le Lower East Side ou près de Harlem. En outre la criminalité aux États-Unis est indissociable de l’essor du crime organisé, boosté par la Prohibition dans les grandes villes comme Chicago ou Los Angeles dans les années 20, des grandes familles mafieuses – italiennes, juives ou chinoises – auxquels s’ajoutent aujourd’hui le phénomène des gangs de rue.
Après, le cinéma s’est emparé de tout cela, magnifiant la dimension criminelle de certaines villes comme Los Angeles. En même temps, le crime est peut-être plus séduisant à L.A qu’à Moute, ville de Franche-Comté. Pourquoi cette affirmation ? L’année dernière, un film français très original, Poupoupidou, mettait en scène l’enquête d’un écrivain parisien ayant perdu l’inspiration (joué par Jean-Paul Rouve) dans un petit village de Franche Comté où la présentatrice blonde locale, sorte de Marylin Monroe cheap, avait été assassinée…C’était un hommage décalé aux films noirs américains et c’était très bien vu de la part du réalisateur, Gérald Hustache-Matthieu, d’avoir situé ce type de récit dans un univers où justement on ne s’attend pas à trouver de détectives blasés ou de femmes-fatales ! J’avais d’ailleurs fait la chronique du film sur le site Cinemapolis (www.cinemapolis.info) 
Mais, vous avez raison, il me semble. La France, de par son histoire, sa culture et ses institutions, est heureusement assez préservée…Nous n’avons pas le même rapport aux armes, à la self-defense, pas de National Rifle Association, pas du tueries dans les lycées, pas encore beaucoup de « gated communities », ces villes ou quartiers refermés sur eux-mêmes avec des miradors, des palissades, un système de sécurité ultramoderne, qui ne sont ouverts qu’à une certaine catégorie de la population, que ce soit les retraités ou les riches…La mixité sociale et culturelle est, je pense, un barrage à la violence. 
Concernant mon bureau, j’en partage un au centre Alexandre Koyré mais il n’est nullement décoré ou agrémenté de photographies. Pour mon bureau à la maison, il y a pêle-mêle : un masque iroquois accroché au mur, sur le bureau un presse-papier en pierre de savon de la tribu des onondaga, un Shalako dancer en bois sculpté acheté à un ado à la sortie de Window Rock, capitale Navajo, une peluche snoopy, un vieux télérama, un lecteur de cartes photo, une boîte en papier mâché et plein de documents….Mais, pas de photo de cinéma! La seule reproduction de cinéma est un Robert de Niro en noir et blanc, qui joue du saxophone dans une scène de New York, New York, elle est dans un coin de bibliothèque qui elle, comporte plein de livres sur le cinéma. Je n’ai jamais été très collectionneuse (sauf de fèves depuis mon enfance!), une collection, ça prend beaucoup de temps et c’est sans fin!
A très bientôt,
Nausica Zaballos. 

Le 27 janvier 2012
Chère Nausica,
Bien entendu, la France connait également des crimes, mais comme vous le dites très justement, nous sommes tout de même très éloignés, culturellement et politiquement, de ce qui se passe aux États-Unis…enfin pour l’instant.
J’ai deux ou trois petites questions à vous poser avant que notre correspondance ne s’achève.
Pouvez-vous me dire, en quelques mots, quelle est cette médecine Navajo pour laquelle vous avez consacrée un ouvrage en 2009 (quelle est sa particularité) et dans un deuxième temps, en quoi consiste votre poste de recherche au sein du Centre Alexandre Koyré ? Quel est le but de ce dernier.
J’ai regardé sur le site du Centre et je n’ai pas trouvé de « philosophe ».
Enfin, avez-vous un ouvrage en préparation ? Si oui, quel en est le thème ?
Bien à vous,
Sophie Sendra

Le 03 Février 2012
Bonjour Sophie,
Concernant la médecine Navajo, c’est assez compliqué de résumer en quelques mots. Mon explication sera quelque peu schématique. C’est une médecine rituelle qui s’organise autour de la perpétuation des histoires sacrées des Navajo. Pour les Navajo, la maladie résulte d’un déséquilibre qui affecte hozho (beauté ou harmonie), l’harmonie de l’individu avec les autres individus (famille, clan, société, étrangers) mais aussi l’harmonie de la personne humaine avec les autres formes de la création, lesYei qui sont des divinités qui peuvent recouvrir différentes formes, animales, atmosphériques, minérales ou végétales (le peuple serpent, le peuple éclair…)
La médecine Navajo repose sur différents praticiens : des diagnosticiens qui vont établir la cause du mal et déterminer quel manquement a été commis par le patient (il a mangé une grenouille, il a dérangé un serpent, il a contemplé des éclairs etc…). Ces diagnosticiens peuvent découvrir la cause de la maladie de diverses façons en regardant les étoiles, en pratiquant un rituel de main tremblante… L’autre catégorie de praticiens est le hataali (ou chanteur) qui va chanter pour le patient afin de rétablir l’harmonie. Les cérémonies de guérison impliquent aussi des rites de purification, l’ingestion d’émétiques (pour chasser le mal), des danses et surtout la création de peintures de sable qui représentent des épisodes mythiques où des héros Navajo ont combattu la maladie et en sont ressortis vainqueurs. Les cérémonies peuvent durer plusieurs jours et sont appelées Voies (Voie du projectile, Voie de la Nuit…) En principe, si le Navajo connaît les histoires sacrées, il peut se prémunir de la maladie en évitant de transgresser les tabous ou en acceptant de se remémorer de la conduite harmonieuse pendant la cérémonie. Mais la maladie peut aussi résulter de l’action d’un tiers, le sorcier ou porteur de peau, qui peut rendre sa victime malade à l’aide de différentes techniques.
L’objectif de mon livre Le système de santé Navajo, publié en 2009 aux Éditions de L’Harmattan, était de montrer comment cette médecine holistique avait traversé les âges malgré l’hostilité de certains docteurs et infirmières missionnaires qui utilisaient leur structure de soin pour assimiler et évangéliser les Navajo et comment les deux formes de médecine – blanche, scientifique – et Navajo – rituelle, spirituelle – n’étaient plus en concurrence dans les structures de soin de la réserve aujourd’hui. Cette page de l’histoire est un bel exemple de lutte pour la reconnaissance des droits des patients mais c’est surtout la démonstration qu’au-delà des différences ethniques, religieuses ou identitaires, des voies de collaboration sont possibles pour œuvrer vers plus de santé, de respect, de bonheur, bref de beauté (hozho). Notre échange touche à sa fin mais je vous encourage si vous ne connaissez pas cette région du globe à vous perdre un jour en Arizona, chez les Navajo. Malgré la pauvreté, la réserve est une très belle région de l’ouest américain, une région qui se découvre lentement et qui recèle des paysages magiques et un peuple très attachant.
Quant au centre Alexandre Koyré, c’est un centre de recherche pluridisciplinaire en histoire des sciences et des techniques qui accueille des doctorants, postdoctorants, des chercheurs CNRS, des maîtres de conférences etc… Il regroupe des historiens, des épistémologues, des sociologues…Les recherches qui y sont développées peuvent porter sur différents champs et disciplines : histoire de la médecine, histoire de la physique, des mathématiques, les formes de gouvernance dans les Sciences etc. Les séminaires qui y sont proposés sont très intéressants et ouverts à tous. Il est sous la tutelle de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris (EHESS) qui m’a octroyée une allocation de recherche. 
Sinon, j’ai un autre ouvrage en préparation ou plutôt en « post-production », un livre sur le Camarillo Mental Hospital qui devrait être publié en octobre 2012 aux Éditions Édite (l’éditeur de Crimes et Procès) 
Voilà, j’espère avoir satisfait votre curiosité. Une petite question avant de nous quitter : quelle est l’histoire de Crimes et Procès qui vous a le plus intéressée et pourquoi ?
Bonne route à vous. 
Nausica Zaballos.

Le 03 Février 2012
Chère Nausica,
Notre correspondance s’achève et c’est avec regrets car j’ai grandement apprécié nos échanges.
Je sais que vous allez à nouveau vous envoler vers d’autres recherches, d’autres festivals de films, écrire pour cinemapolis.info (site internet d’actualités du cinéma) et terminer votre thèse à l’EHESS de Paris…Plusieurs vies en quelque sorte… Cela me rappelle des souvenirs !
Pour répondre rapidement à votre question : l’histoire la plus marquante de votre ouvrage est La disparition de soeur Aimée (1926) car comme je vous le disais dans une autre lettre, je m’intéresse beaucoup aux phénomènes sociaux et aux manipulations mentales. Maintenant, il est certain qu’elles sont toutes très intéressantes et qu’elles feraient de belles adaptations cinématographiques ! N’avez-vous jamais pensé en proposer une à un réalisateur, un producteur ?
Je sais aussi que votre temps est précieux en ce moment.
J’espère que nous pourrons correspondre à nouveau ou boire un café en bord de Seine… vous me parlerez de votre nouvel ouvrage, du Centre Koyré/IRIS, de votre prix OFQJ (de la meilleure critique à la dernière édition du festival Paris Cinéma en 2011) et je vous parlerai sans doute de mes préoccupations philosophiques et de ce Paris que je n’ai pas revu depuis plus de 20 ans !
Merci à vous d’avoir pris le temps de me répondre,
Bien à vous,
Sophie

Le 05 Février 2012
Chère Sophie,
Merci pour votre intérêt pour Crimes et Procès sensationnels et pour cette interview atypique. Vous vous présentez comme spécialiste de la perception, j’aurais aimé connaître votre définition de cette expression mais vos remarques et questions ont souvent touché juste… Est-ce que j’ai pu avoir envie de soumettre une de ces histoires à un producteur de cinéma? eh bien, j’y ai déjà pensé…surtout que d’autres récits noirs restent en réserve…certainement dans une autre vie trouveront-ils des personnes pour les incarner à l’écran… Je serais très heureuse de vous retrouver pour un café si vous êtes de passage sur Paris. En tout cas, je vous souhaite d’autres belles interviews épistolaires…à très bientôt,
 Nausica Zaballos.

S’il fallait conclure

Lisez ce livre décoiffant sur les Crimes et Procès à L.A, vous y apprendrez beaucoup de choses intéressantes, mais aussi effroyables parfois. L’auteure est une « tête chercheuse » qui vise à mettre en valeur des thèmes très atypiques dans la littérature actuelle et cela ne se rate pas !

Il vous reste

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