Alain Caillol fait la lumière sur son passé de truand

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Par Eric Yung – bscnews.fr / Il est de certains livres exprimant des  «mémoires intérieurs »* qui nous sont si peu familières qu’ils nous laissent, sitôt lus, un trouble émotionnel indéfinissable. Ce sentiment est d’autant plus étrange que l’on en ignore et la raison et le pourquoi. C’est le cas pour « Lumière », le récit d’Alain Caillol paru aux éditions du Cherche Midi et qui relate comme personne ne l’a fait jusqu’ici – et pour cause ! – le rapt, en 1978, de l’un des magnats de l’industrie,  le baron Jean-Edouard Empain. Faut-il le rappeler ? Cette affaire, en France, a été sans précédent.

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Et, pour mesurer sa réelle dimension, il faut se remémorer quelques événements de l’époque, celle des années 60/70. C’est le temps des Brigades Rouges, de la RAF et de la bande à Baader, des Cellules Combattantes Communistes, du M.I.L, d’Action Directe, des GRAPO, des NAPAP etc. Les enlèvements de personnalités sont fréquents et se terminent le plus souvent par une exécution : Siegfried Buback, le procureur général près de la cour fédérale allemande est assassiné avec son chauffeur et son garde du corps en avril 1977, Jürgen Ponto, président du directoire de la Dresdner Bank (une ancienne banque nazie) est abattu le 30 juillet lors d’une tentative de kidnapping, Hans Martin Schleyer, ancien SS devenu, Président de Daimler-Benz  et également élu  patron des patrons allemands est enlevé le 5 septembre et son corps est retrouvé quarante trois jours plus tard dans le coffre d’une voiture garée dans une rue de Mulhouse, quant au rapt d’Aldo Moro, le président du conseil italien, il a lieu le 16 mars 1978 ; son cadavre est découvert 55 jours plus tard dans une rue de Rome. En Belgique, en Grèce, en l’Italie, en Allemagne, en Espagne et en France s’est installé un climat de violence sociale et politique. L’Europe vit alors ses années de plomb. Le 23 janvier 1978, c’est-à-dire durant  cette période agitée et sanglante, le baron Jean-Edouard Empain est kidnappé devant son domicile du 33, Avenue Foch à Paris. Or, la victime est l’héritier et l’actionnaire majoritaire d’un groupe industriel réunissant trois cents sociétés, employant cent cinquante mille personnes et réalisant un chiffre d’affaires de vingt-deux milliards de francs. Empain est-il un symbole du capitalisme ?  L’homme d’affaires a-t-il cristallisé la vindicte révolutionnaire ? Le gouvernement et les policiers en sont d’abord persuadés et ce, d’autant plus, que le crime est revendiqué  par  un groupe prétendant s’appeler les « Noyaux armés pour l’autonomie populaire »  qui réclame  « la libération de camarades emprisonnés ». C’était le lendemain du rapt. Mais six jours plus tard, les hommes de la brigade criminelle sont convaincus que cet enlèvement a été organisé et exécuté par une bande de truands relevant du droit pénal commun. Dès lors, débute ce qu’il a été convenu d’appeler « L’affaire Empain » et qui se terminera le 24 mars par une fusillade entre flics et voyous, près de Paris sur l’autoroute du Sud et qui fera un mort (l’un des ravisseurs) et deux blessés (deux policiers de l’antigang). Une sale affaire qui va drainer derrière et avec elle de pestilentielles rumeurs et révéler le cynisme et l’impudence des mœurs du petit monde de la haute finance et de la politique française. L’auteur de « Lumière » nous raconte tout cela. A quel titre ? Alain Caillol a été le chef du gang qui a organisé et exécuté l’enlèvement. Pourquoi trente trois ans après les faits ? Parce que « ça me travaillait depuis longtemps. Je ne voulais pas mourir ou qu’il meure sans qu’il connaisse la vérité. Et puis Empain est un homme exceptionnel, a récemment déclaré Alain Caillol dans un entretien accordé à l’agence France Presse. De tels propos venant de l’un des gangsters qui a, durant 63 jours et 62 nuits, dans des conditions épouvantables, séquestré un homme, sont assez étonnants. Ils peuvent même apparaître –et le vocable est ici difficile à employer- déstabilisant tant son récit chambarde l’ordre moral établi qui fixe et définit les notions de bien et de mal. On se demande depuis toujours ce que doit être la littérature générale. En cela « Lumière » apporte, à sa façon, une réflexion supplémentaire sur ce qu’elle est. Dès lors on comprend bien la phrase, fameuse, d’Emile Zola qui nous a dit que si certains « suspectent la littérature –dont les gouvernements- c’est parce qu’elle est une force qui leur échappe.
Le livre de Caillol, l’ex-gangster,  n’est pas seulement un amas de souvenirs, un agglomérat d’actions qui trouveraient aisément une place dans un film ou un roman noir, un exposé détaillé d’une suite d’événements, le récit d’un crime qui a défrayé la chronique des faits-divers ou  le témoignage du drame vécu par le baron Empain. Non ! « Lumière » est une quête quasi-initiatique de la recherche de la vérité et de son contenu mystérieux. Pour y parvenir son auteur raconte, dans la première partie de l’ouvrage, sa longue démarche. Il revient sur l’enfant élevé au sein d’une famille socialement avantagée, sur l’adolescent turbulent qui s’est inventé une ascendance puisée parmi les héros de la bataille de Stalingrad, sur le jeune homme qui a cru choisir le banditisme alors qu’il l’a subi. Ainsi, durant un peu plus de deux cent pages, Alain Caillol, pareil à un pèlerin, se rend auprès d’anciens acteurs de cette affaire (vieux amis, ex-complices, ancien policier etc.). Il les prie alors de l’aider à le délivrer. Et un jour, il y a la conversation. Matthieu (l’un des personnages principaux du récit) dit à Alain Caillol :
– Tu sais, parfois ça prend des générations pour savoir où nous sommes quand nous ignorons d’où nous venons. Il n’est pas nécessaire d’être un immigré pour se sentir déraciné. Toi, tu es un déraciné de l’intérieur, mais à partir des branches tu peux faire des bouturages qui donneront des arbres magnifiques.
Et Matthieu conseille fermement celui qui a été le chef du gang qui a kidnappé le baron Empain :
– Il faut que tu le voies.
– Non, j’peux pas. Je l’ai déjà rencontré en 1989, quelques minutes, chez lui. C’était comme avec mon père, on est resté l’un en face de l’autre, j’ai rien su dire.
– Arrête, ajoute Matthieu le vieil ami d’Alain Caillol qui n’a jamais été inquiété par la justice mais qui  a manifestement joué un rôle dans le kidnapping :
– Il y a un homme qui attend depuis trop longtemps. Un hombre, avec des vraies cojones, lui ! (…) On n’est pas quittes avec lui. Tu dois y aller. Peut-être il te tendra la main, alors tu pourras demander pardon à ton père, te réconcilier avec lui-même et aider ton clone à devenir un homme.

Ce livre n’est pas qu’un simple témoignage d’ancien truand, d’un coupable condamné par la justice à vingt ans de réclusion. Il est un rappel de la fragilité de nos certitudes et que le bien n’est pas inné.  Il trace aussi la ligne fragile qui sépare le monde des bons et des méchants et se plait à nous dire que le tourment est humain. En réalité se livre dérange et c’est tant mieux. « Lumière » est donc à lire d’urgence.

(*CF François Mauriac)

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