La princesse de Clèves – Madame de Lafayette

par
Partagez l'article !
Par bscnews.fr – Madame de Lafayette est née à Paris, en 1634, sous le nom de Marie-Madeleine Pioche De La Vergne. La solide éducation littéraire qu’elle reçoit l’amène à être nommée fille d’honneur de la reine Anne d’Autriche à l’âge de 16 ans. Elle fréquente assidûment les salons précieux, dont La Princesse de Clèves porte inévitablement les marques, l’inspiration, et le vocabulaire.
Puis, son mariage avec le comte de Lafayette la propulse dans la haute noblesse. Elle n’en reste pas moins discrète, et c’est en 1659 que paraît sa première œuvre, la seule qu’elle signera de son nom.

La Princesse de Clèves fut publié de façon anonyme, ce qui ne manqua pas d’attiser les polémiques. Madame de Lafayette n’affirmera jamais publiquement être l’auteur de cet ouvrage, mais elle l’avouera à demi-mots dans une lettre adressée à l’un de ses conseillers.
Il est difficile de dire à quel genre littéraire il appartient. On pourrait parler de « roman » (historique, psychologique, d’amour, d’analyse ?), ou plus encore de « nouvelle » pour le qualifier, mais ce sont les mots « Mémoires » et « histoire » que Mme de Lafayette emploiera pour décrire son œuvre. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier la dimension historique qu’il revêt, et qui s’impose tout au long du récit, notamment par plusieurs digressions, rendant sa lecture parfois un peu contraignante. Précisément documenté, le récit est en réalité un mélange habile de différents genres existants, considéré comme un chef-d’œuvre de la préciosité classique.

La galanterie constitue le thème central de ce texte qui dresse un portrait de la haute société, de ses règles de bienséance et de son langage raffiné.
Les intrigues galantes sont nombreuses, le thème de l’apparence est très présent, et l’amour est représenté sous toutes ses formes et à tous ses stades : amour naissant, passionné, désintéressé, idéal, impossible, interdit, non partagé… ; mais toujours il finit mal, teinté de jalousie et d’infidélités.
L’histoire se déroule à la cour du roi Henri II, à la fin de son règne. Mademoiselle de Chartres est une jeune fille de seize ans que sa mère élève avec beaucoup de rigueur. Sur les conseils de cette dernière, elle s’est engagée à un mariage de raison avec M. de Clèves, qui fut immédiatement séduit par elle sans même la connaître et en tomba follement amoureux. Il ne fut d’ailleurs pas le seul à être touché par son incroyable beauté, objet de toutes les conversations à la Cour. Toutefois, M. de Clèves se désole que les sentiments de sa jeune épouse à son égard n’aillent pas au-delà de l’estime, et soient dénués de passion.
Un jour, lors d’un bal au Louvre, Mlle de Chartres rencontre le duc de Nemours, un homme charmant, précédé par sa réputation de Don Juan. Frappé par sa beauté et sa douceur, il s’éprend immédiatement d’elle, au point de renoncer à ses maîtresses ainsi qu’à ses espoirs d’accéder à la Couronne.
Peu à peu, Mlle de Chartres se découvre des sentiments pour cet homme qui semble l’aimer avec force et sincérité. Sa mère, qui est sur le point de mourir, lui conseille vivement de ne pas céder à cette passion qui la ferait tomber au rang des autres femmes et anéantirait sa réputation. Mlle de Chartres, qui se sent seule, perdue, et vulnérable face à ses sentiments, s’interdit de voir M. de Nemours et s’évertue à concentrer son cœur et son esprit sur son mari, en vain. Pourtant, de plus en plus troublée par le duc, elle décide de taire ses sentiments, de dissimuler sa peine derrière le prétexte du deuil de sa mère, et de le fuir le plus souvent en se retirant à la campagne. Si elle ne peut contrôler se sentiments, elle tente de contrôler ses actes au maximum, même si elle se trahit involontairement à certaines occasions.
Son mari ne comprend pas son goût soudain pour la solitude et devient si suspicieux que Mlle de Chartres se voit presque contrainte de lui avouer ses sentiments pour un autre homme – dont elle ne révèle toutefois pas le nom – et sa volonté de s’éloigner de la Cour pour résister à la tentation de trahir. Cet aveu l’effraye, pourtant elle se rassure en estimant qu’il est un témoignage de sa fidélité envers son mari. Mais ce dernier est rapidement en proie à une vive jalousie et est fermement décidé à connaître l’identité de ce rival. Tout le monde rentre à Paris, et une chasse à l’homme commence alors…
Après une première partie assez fastidieuse, dans laquelle l’auteur pose le contexte historique de l’époque à laquelle se déroule le récit, on se laisse transporter sur les eaux tumultueuses de la passion amoureuse qui unit et sépare à la fois Mlle de Chartres et M. de Nemours. Une passion que Mlle de Chartres s’interdira de vivre jusqu’au bout, même après la mort de son mari emporté par le chagrin, et malgré les nombreux témoignages d’affection du duc.
La fatalité de l’amour atteint ici son paroxysme.

MORCEAUX CHOISIS
« Lorsqu’elle arriva, le vidame alla au-devant d’elle. Il fut surpris de la grande beauté de Mlle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient plein de grâce et de charmes. […] Il demeura si touché de sa beauté et de l’air modeste qu’il avait remarqué dans ses actions qu’on peut dire qu’il conçut pour elle dès ce moment une passion et une estime extraordinaires. »

« Comment pouviez-vous espérer que je conservasse de la raison ? Vous aviez donc oublié que je vous aimais éperdument et que j’étais votre mari ? L’un des deux peut porter aux extrémités : que ne peuvent point les deux ensemble ? Eh ! Que ne sont-ils point aussi, continua-t-il ; je n’ai que des sentiments violents et incertains dont je ne suis pas le maître. Je ne me trouve plus digne de vous ; vous ne me paraissez plus digne de moi. Je vous adore, je vous hais, je vous offense, je vous demande pardon ; je vous admire, j’ai honte de vous admirer. Enfin, il n’y a plus en moi ni de calme, ni de raison. Je ne sais comment j’ai pu vivre depuis que vous me parlâtes à Coulommier et depuis le jour que vous apprîtes de Mme la dauphine que l’on savait votre aventure ? Je ne saurais démêler par où elle a été sue, ni ce qui se passa entre M. de Nemours et vous sur ce sujet ; vous ne me l’expliquerez jamais et je ne vous demande point de me l’expliquer. Je vous demande seulement de vous souvenir que vous m’avez rendu le plus malheureux homme du monde. »

« Il se mit à repasser toutes les actions de madame de Clèves depuis qu’il en était amoureux ; quelle rigueur honnête et modeste elle avait toujours eue pour lui, quoiqu’elle l’aimât. « Car, enfin, elle m’aime, disait-il ; elle m’aime, je n’en saurais douter ; les plus grands engagements et les plus grandes faveurs ne sont pas des marques si assurées que celles que j’en ai eues. Cependant je suis traité avec la même rigueur que si j’étais haï ; j’ai espéré au temps, je n’en dois plus rien attendre ; je la vois toujours se défendre également contre moi et contre elle-même. Si je n’étais point aimé, je songerais à plaire ; mais je plais, on m’aime, et on me le cache. Que puis-je donc espérer, et quel changement dois-je attendre dans ma destinée ? Quoi ! je serai aimé de la plus aimable personne du monde, et je n’aurai cet excès d’amour que donnent les premières certitudes d’être aimé, que pour mieux sentir la douleur d’être maltraité ! Laissez-moi voir que vous m’aimez, belle princesse, s’écria-t-il, laissez-moi voir vos sentiments ; pourvu que je les connaisse par vous une fois en ma vie, je consens que vous repreniez pour toujours ces rigueurs dont vous m’accablez. Regardez-moi du moins avec ces mêmes yeux dont je vous ai vue cette nuit regarder mon portrait ; pouvez-vous l’avoir regardé avec tant de douceur, et m’avoir fui moi-même si cruellement ? Que craignez-vous ? Pourquoi mon amour vous est-il si redoutable ? Vous m’aimez, vous me le cachez inutilement ; vous-même m’en avez donné des marques involontaires. Je sais mon bonheur ; laissez-m’en jouir, et cessez de me rendre malheureux. Est-il possible, reprenait-il, que je sois aimé de madame de Clèves, et que je sois malheureux ? » Lire aussi dans Littérature classique : Honoré de Balzac : un amour de paradoxe Mario Vargas Llosa : un demi-siècle de vocation littéraire Apollinaire : Modernité, érotisme et invitations au voyage Boni de Castellane : portrait d’un dandy des années 1900 Henry James : une ambigüité « hautement civilisée »

Laissez votre commentaire

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à